La décoration, l'arme anti-crise de la distribution

La décoration, l'arme anti-crise de la distribution Accessible et ludique, la déco reste l'une des dépenses préférées des Français, quel que soit l'état de leurs finances.

Elle remplit les caisses des distributeurs sans pour autant vider le portefeuille des clients. La décoration est devenue l'un des secteurs qui résiste le mieux à la crise grâce aux petites dépenses réalisées sur un coup de tête, ces cadeaux accessibles qui font autant plaisir à offrir qu'à recevoir.

Car ces petites tentations, les Français ne sont pas prêts à les sacrifier. Quoi qu'il arrive, ils dépensent toujours autant dans la décoration, quitte même à sacrifier d'abord d'autres postes de consommation plus onéreux, comme l'habillement ou la restauration. Un arbitrage qui fait le bonheur des marques spécialisées.

"Si nous avions fait des études de marchés, on nous aurait formellement déconseillé de vendre des produits colorés dans des magasins colorés"

Justement, quand on parle décoration, il y a une enseigne qui ne passe pas inaperçu dans le secteur : Pylones. Depuis cinq ans, ses vitrines, remplies de parapluies à têtes de chat, de plateaux décorés ou de porte-capsules de café en forme de hiboux égayent les trottoirs des grandes villes de l'Hexagone. Un pari fou, selon Jacques Guillemet, le PDG de la société : "Si nous avions fait des études de marchés avant l'ouverture en 2010 de nos propres boutiques, on nous aurait formellement déconseillé de vendre des produits colorés dans des magasins colorés." Auparavant, Pylones, créée en 1985, passait par la grande distribution pour vendre ses produits, qu'elle conçoit et fabrique elle-même.

Des produits design qui, selon le patron, ont trop longtemps été réservés aux foyers les plus aisés. Aujourd'hui, ils se frayent un chemin dans le budget des ménages, même modestes : "Quand on a démarré en 1985, le marché était étroit et très spécialisé. Le design était réservé à une élite. Le panier moyen de nos clients est aujourd'hui d'une vingtaines d'euros, pour des articles vendus en moyenne 9 euros", raconte l'ancien brocanteur.

Chez Pylones, le panier moyen ne dépasse pas la vingtaine d'euros

Cette rupture colorée dans un marché dominé à l'époque par le noir et l'argent n'a depuis cessé de se développer. Pylones a réalisé 42 millions d'euros de chiffre d'affaires en 2014 grâce à ses 25 points de vente français, soit une hausse de 6% par rapport à 2013. C'est aussi 11 millions de plus qu'en 2010, quand les premières boutiques sortaient de terre. Depuis le lancement de son propre réseau de distribution, le groupe ouvre entre 3 et 4 boutiques par an en France.

Et la magie fonctionne jusqu'à l'étranger : "Même les Hongrois, avec un pouvoir d'achat trois fois moins important que les Français, dépensent chez Pylones", affirme Jacques Guillemet. Désormais présent dans 60 pays, l'enseigne ouvre depuis trois ans 1 boutique par mois en Europe, avec un chiffre d'affaires global (étranger compris) qui a bondi de 41% entre 2011 et 2015. Cette année, il devrait atteindre 62 millions d'euros, soit 2 millions de plus qu'en 2014.

Une réussite d'autant plus insolente que Pylones n'a même pas eu besoin de se lancer dans le e-commerce. Un effort inutile pour la marque, selon son PDG : "Quand on souhaite faire un cadeau, on ne sait souvent pas vraiment ce que l'on cherche. Et sur Internet, il est difficile de trouver quand on ne sait pas précisément ce que l'on veut. Nous pensons que les consommateurs ont besoin de venir toucher nos produits dans l'ambiance chaleureuse de nos magasins."

"Nous implantons nos magasins dans les flux de déplacement, notamment dans les gares et les centres-villes, là où nos clients se trouvent"

Un constat partagé par la concurrence : comme Pylones, Ikea ou encore Casa, le néerlandais Hema, lui aussi spécialisé dans les objets de la maison et la décoration, donne la priorité au commerce physique, avec un soin particulier accordés aux implantations. "Nous installons nos magasins dans les flux de déplacement, notamment les gares et les centres-villes, là où nos clients se trouvent", explique Anthony Giron, directeur général d'Hema France. Ou plutôt ses clientes, car 90% sont des acheteurs sont en réalité des acheteuses.

Ces clientes, Hema les attire grâce à une stratégie en revanche ultra-connectée. La marque a su se créer une grande communauté sur les réseaux sociaux, avec plus de 63 000 "j'aime" sur Facebook et plus de 40 000 abonnés Instagram. "Nous travaillons la clientèle plutôt que le marketing", affirme Anthony Giron. Un réseau de fidèles jeunes et actifs qui fait le dynamisme du marché.

Les réseaux sociaux sont aussi des révélateurs de tendance indispensables pour l'enseigne, qui mise sur l'originalité de ses accessoires : "Nous sommes la seule enseigne qui propose des fournitures de bureau originales et accessibles, loin de l'offre classique, souvent rébarbative", affirme Anthony Giron.

Le chiffre d'affaires d'Hema a augmenté cette année de 27%

C'est aussi une économie sur les moyens de communication pour l'enseigne, qui propose des prix défiant toute concurrence. Le prix moyen d'un article siglé Hema est inférieur à 5 euros pour un panier moyen ne dépassant pas les 14 euros.

Comme Pylones, l'enseigne surfe sur la vague du design utile. Avec la même réussite : Hema dispose de 43 magasins en France et en ouvre chaque année une dizaine dans l'Hexagone. La marque y affiche une augmentation de 27% de son chiffre d'affaires rien que cette année.

Un besoin contemporain

Un succès qui n'est pas dû qu'au talent de l'enseigne. Comme ses concurrentes, elle surfe sur les difficultés économiques des ménages français. Car si leur budget décoration, soit 400 euros annuels, est toujours à son niveau d'avant-crise, c'est d'abord parce qu'ils savent qu'ils pourront continuer à se faire plaisir à moindre coût : "Les faibles montants des achats dans la décoration permettent aux enseignes du secteur de faire face à la crise", souligne Delphine David, auteure de l'étude Xerfi Precepta sur "La distribution d'articles de décoration". "Quand les tensions sur le pouvoir d'achat perdurent, les ménages finissent par faire des arbitrages sur des postes de dépense qu'ils jugent moins importants, comme l'habillement et la restauration. Mais le bricolage et la décoration passent en dernier", ajoute-t-elle.

Cette demande constante permet même au secteur d'afficher une progression annuelle comprise entre 0,5% et 1% chaque année. "Nos clients compensent les gros plaisirs par des petits plaisirs", confirme Anthony Giron, directeur général d'Hema France. "Le marché du mobilier baisse car les gens n'ont plus forcément les moyens de s'équiper ou parce qu'ils sont suréquipés. Ils se reportent alors sur des objets plus futiles, moins chers qu'un canapé", poursuit-il.

Les discounteurs et les e-commerçants s'apprêtent à conquérir le marché de la décoration

Les contraintes économiques qui pèsent sur les familles encouragent aussi le phénomène du "cocooning" : "La décoration d'intérieur se développe aussi parce que les gens restent de plus en plus chez eux du fait du coût de la vie, notamment des sorties comme le cinéma et des voyages", observe Delphine David.

Cependant, la spécialiste des secteurs E-commerce, distribution, consommation de Xerfi appelle à la prudence : "Ces dernières années, il y a eu beaucoup de défaillances sur le marché de la décoration." Selon Delphine David, la décoration n'est pas forcément la poule aux œufs d'or : "De nouveaux acteurs continuent d'aller sur ce marché sans qu'il y ait forcément plus de demande."

Et ce alors que certains acteurs montent en puissance : "Nous observons une réorientation de la demande vers les discounteurs. Des enseignes low-cost comme la Foir'Fouille ou GiFi affichent des taux de croissance à deux chiffres", affirme Delphine David.

Autre avertissement de l'experte : délaisser la vente en ligne ne serait pas forcément une bonne idée selon elle. "L'e-commerce représentait 17% du marché de la décoration en 2014 et son poids devrait continuer d'augmenter. Le maillage du territoire n'est pas totalement assuré par les boutiques des acteurs actuels. Il y a donc de la place pour une offre en ligne."

Un argument auquel la grande distribution n'est pas insensible. Si elle ne représente pour l'instant qu'un quart du marché de la décoration, elle devrait, selon Xerfi, développer rapidement leur offre de décoration et leurs rayons maison sur le Web.