Le naufrage énergétique français menace la French Tech

Le naufrage énergétique français menace la French Tech Les prix de l'électricité pourraient flamber de 44%. Les entreprises du digital y sont bien plus sensibles qu'on ne le croit, notamment à cause du cloud. Qui va payer les pots cassés de la greenflation ?

Une des vérités économiques les moins enseignées est sans doute que l'économie n'est que de l'énergie transformée. De la nourriture (engrais, machines, transport) à l'immobilier (matériaux, transport), aucune richesse n'est créée qui ne prenne sa source initiale dans l'énergie. Lorsque l'énergie peut être extraite, raffinée, distribuée et consommée à bon marché, l'économie dispose d'un moteur capable de la propulser vers les sommets. Cette équation "énergie bon marché = croissance économique" est-elle réservée au "monde d'avant" ? Le numérique a-t-il ringardisé l'énergie ?

En réalité, pas du tout. Une étude réalisée en 2020 estimait que les datacenters où sont hébergés les serveurs qui font tourner l'économie numérique consommaient près de 1% de toute l'électricité produite dans le monde, soit 205 terawatt/heure. Ceci en excluant l'énergie consommée par le mining de cryptomonnaie, soit 100 terraWatt/heure en 2020. Entre 2010 et 2020, le trafic Internet a été multiplié par 15 mais la consommation d'énergie est restée stable, à 1% de la production mondiale. C'est la preuve que les fabricants de matériel et les exploitants de datacentres ont réussi une prouesse en matière d'économie d'énergie. Ils restent cependant fortement dépendants à l'énergie... bon marché.

Or que se passe-t-il actuellement sur le marché de l'électricité ? Les prix devraient progresser de 44% selon Le Monde, qui a consulté une estimation réalisée par la commission de régulation de l'énergie. Cette hausse soudaine - c'est un fait - et pérenne - c'est une forte probabilité - va lourdement pénaliser les acteurs de la French Tech. Premièrement, les acteurs du cloud français vont voir leurs factures exploser. Et ce malgré leurs contrats long terme et les mécanismes de protection de prix dont ils bénéficient. De plus, le prix de tout le matériel informatique - dont la fabrication est très énergivore - va aussi exploser à la hausse. Les acteurs du cloud vont répercuter ces hausses sur leurs clients (certains ont déjà reçu la note) au point de devenir moins compétitifs que certains acteurs américains qui, eux, continuent de bénéficier d'une énergie moins chère. Les hausses de coûts répercutés sur les clients se propageront aux services Saas. Et à l'ensemble de la French Tech. Qui devra en parallèle faire face à d'autres augmentations tarifaires liées à l'énergie, que cela soit le transport (pour les marchands), la fabrication (pour les DTC), l'infrastructure et, bien entendu, les salaires car les employés voyant leurs factures (pas seulement d'énergie mais de tout car tout dépend de l'énergie) augmenter vont demander massivement des augmentations de salaires fin 2022.

Avant de vouloir réparer le problème, on y viendra, il convient déjà d'établir le bon diagnostic. Diagnostic que beaucoup s'échinent à éviter car leur responsabilité est directement engagée. Comment en est-on arrivé là ?

- Une inaction politique française coupable. Depuis 2007 et le lancement de Flamanville-3, aucun plan d'ampleur pour développer la production d'énergie en France n'a été mis en œuvre. Les Français ont vu beaucoup de clientélisme électoral : fermer des centrales nucléaires en Alsace ou installer des éoliennes, c'est bien. Mais cela ne constitue pas une stratégie d'indépendance énergétique. Et l'actuel président de se réveiller quatre mois avant la fin de son mandat pour annoncer la construction de centrales nucléaires après avoir constaté la catastrophe de l'explosion des prix et s'être aperçu qu'il n'avait rien fait depuis cinq ans. Pour éviter que l'électeur lambda ne se fâche, bloquons les prix (meilleur moyen all time pour les faire exploser) et distribuons des chèques.

- Un aveuglement de nature religieuse sur la transition énergétique. Proclamée mère de toutes les causes, la lutte contre le changement climatique est devenu l'obsession des décideurs. Ainsi, les banques françaises ont arrêté de financer les recherches de champs d'hydrocarbures, les entreprises travaillant dans l'énergie carbonée ont été sanctionnées, mises au pilori. Une inquisition s'est installée sur les énergies fossiles, menées par des penseurs qui n'ont jamais compris le poids de l'énergie dans l'économie. Tout a été détruit, rien n'a été construit. On a remplacé des sources d'énergies stables par des procédés intermittents (le solaire) ou non prévisibles (l'éolien). La greenflation s'installe donc, poussée par le manque d'investissements côté fossile et la faible productivité côté renouvelable. Preuve ultime de la forfaiture des climato-curés : tout cela n'a pas fait baisser nos émissions de CO2. Elles ont au contraire augmenté puisque des centrales à charbon sont remises en service. Une approche religieuse des problèmes amène souvent à plus de dégâts qu'à de véritables solutions.

- Une idéologie européenne de concurrence mal placée. Bornée, la Commission européenne s'attèle à installer la concurrence dans tous les secteurs économiques (ce qui est bien) même quand cela n'est pas possible (ce qui est mal). Ainsi sur l'énergie, le point de concurrence réel ne se situe pas sur la distribution mais sur la production. Avoir plus de producteurs, employant des procédés innovants, est à même de produire de l'énergie moins carbonée et moins chère. En revanche, répartir la distribution d'une énergie produite par un seul producteur (EDF) entre dix acteurs usant de démarchage illégal, de dumping et de concurrence déloyale ne fait pas avancer le marché. C'est pourtant ce qui a été mis en place par la Commission européenne. Aujourd'hui le consommateur a un choix énorme mais il achète toujours la même énergie. Evidemment, à ce jeu, c'est le producteur initial qui a été défavorisé alors que c'est le seul qui crée de la valeur sur le marché. Les coucous se délectent de l'incurie des décideurs européens mais l'Europe ne produit pas plus d'énergie moins chère : elle en produit moins, plus chère.

- La faillite organisée de la filière énergétique française. Javier Blas, le spécialiste énergie de Bloomberg, a traité EDF d'homme malade de l'Europe. Il est très inspiré. Mais il pourrait aller plus loin : c'est toute la filière française qui a été sacrifiée. La France ayant arrêté de construire des centrales nucléaires, elle n'a plus aujourd'hui de compétences pour le faire. Les personnels qualifiés ont, faute de travail, changé de voie ou pris leur retraite. D'où les gags à répétition sur l'EPR. Nous ne savons plus faire. Après que DSK ait nommé Anne Lauvergeon à la tête d'Areva, l'entreprise a enchaîné les erreurs stratégiques dont les deux plus connues, la centrale d'Olkiluoto et l'achat d'UraMin, ont coûté plus de cinq milliards d'euros et ont fini d'entraîner le démantèlement de l'entreprise. Quant à EDF, l'entreprise est passée d'un vendeur d'énergie à nos voisins européens à un client qui doit acheter car il ne produit plus assez pour nos besoins.

- Une naïveté géopolitique risible. Dépendante au gaz russe et au gaz algérien, la France a réussi le tour de force de se fâcher avec les deux... en même temps comme on dit. Alors que l'Europe mourrait de froid sans le gaz russe, la voila qui pérore à donner des leçons. La grenouille se voit plus grosse que le bœuf mais n'a aucun plan stratégique. Pas même le début d'une idée. Alors elle va devoir payer. Cher. Très cher même. Poutine la tient dans sa main et se délecte.

Pour que notre industrie numérique soit compétitive dans le monde, elle doit bénéficier d'une énergie bon marché. Nous devons établir un diagnostic sérieux des raisons qui ont mené à ce naufrage. La greenflation en est une mais ce n'est pas la seule. Quand nous aurons compris nos erreurs, nous pourrons à nouveau aller de l'avant. En attendant, comme d'habitude, nous allons collectiviser les pertes à travers, cette fois-ci, non des impôts ou des dettes mais via une inflation incontrôlée.