L'omnisports FC Barcelone, un modèle économique et managérial à suivre ?

FCB, trois lettres dorées pour désigner le Futbol Club Barcelona. Une institution catalane omnisports, imbibée de principes éducatifs, avec en figure de proue son équipe première de football. Derrière le prestige quant est-il du modèle sportif barcelonais ? Enquête.

Tout commence sur un terrain de handball à 500 mètres du Camp Nou, le « nouveau stade » qui a remplacé le « vieux » (Camp Vell) au sud-ouest de Barcelone en 1957. Des gamins jouent au foot à cinq contre cinq, coincés entre les imposants bâtiments qui jouxtent l'Avinguda Diagonal. Ces petits Catalans tâtent du cuir donc, mais le font-ils comme tous les gamins du monde ? Non. Là ou ailleurs les footballeurs en herbe privilégient le dribble permanent ou la frappe perpétuelle, les petits Barcelonais passent, remisent, passent, sans relâche. Une musique, un ballet sans fioritures où le mouvement est permanent et le relâchement presque irritant.
C'est cette insouciance récréative matinée de  rigueur collective que l'on retrouve 3 heures et 52 minutes plus tard au Camp Nou, cathédrale footballistique de 99 354 places.
Nous sommes à la 90e minute du match FC Barcelone - Bayer Leverkusen. Le stade se lève pour un but des... visiteurs. Une belle action collective des Allemands qui conclut un chef-d’œuvre barcelonais, avec comme maestro Lionel Messi. 7-1, sans même forcer leur talent. Quasi une soirée habituelle. Le tiers du stade a déjà filé dans les embouteillages de la capitale de la Catalogne. Les Catalans vivent sport, dorment sport, mangent sport, jusqu'à l'indigestion, « Mès Que Un Club » (« Plus qu'un club ») est la devise du Futbol Club Barcelona, créé en 1899. On oublie d'ailleurs que sous Franco, de 1940 à 1973, le nom avait été espagnolisé, Club de Fútbol Barcelona 

Omnisport et omnipotent

Le Barça c'est donc, depuis 112 ans, l'affirmation de la fierté catalane. Instrumentalisée, parfois. Car l'association sportive barcelonaise compte plus de 170 000 membres habilités à choisir les grandes orientations et la direction du club, s’ils s'enregistrent au Nou Camp le jour du vote. Être porté à la tête du FC Barcelone requiert une vraie campagne électorale. L'histoire locale est ainsi jalonnée de moments « politiques » saisissants. Dernier en date, l'élection du peu charismatique Sandro Rosell, en juin 2010 sur le thème « le club n'est pas géré de façon transparente, indépendante et démocratique » par son ancien ami Juan Laporta. Ce dernier est d'ailleurs parti faire de la « vraie politique ». Il est désormais député de Catalogne. « Le président du Barça a plus d'importance qu'un chef d’État ici, il est inaccessible. Tellement inaccessible dans le cas de  Sandro Rosell qu'il refuse de parler aux journalistes locaux mais s'exprime sur Al-Jazira. Ça pose problème quand même ! » s'exclame un journaliste de Barcelona Televisió, anonymement.
Diriger le FCB, c'est en fait diriger un véritable empire omnisport. Treize sections pour autant de sports collectifs, comprenant même le... hockey sur glace. Hernán Muñoz Ratto, journaliste suivant le club pour l'Associated Press, analyse cette politique sportive « Il ne s'agit pas simplement de football, contrairement au Real Madrid. Le FC Barcelone a établi une vraie stratégie d'ensemble pour atteindre l'excellence dans de nombreuses disciplines comme le basket-ball et le hand-ball ». Une excellence basée sur l'éducation. « C'est une philosophie qui est inculquée dès le plus jeune âge, basée sur le travail. Mais il ne s'agit pas simplement de devenir un sportif ou une sportive de haut-niveau, mais une personne réfléchie, un citoyen à part entière » détaille Maria Guixà, journaliste sport pour la publique Catalunya Radio. La Masía, centre de formation multisports créé en 1979, compte plus de 300 joueurs et 24 entraîneurs à ce jour. Tout un symbole.

Antijeu financier
Plus qu'un club, mais plus qu'un commerce aussi. De 1996 à 2002, Sandro Rosell a été directeur marketing de haut-rang pour Nike. L'Espagnol a notamment été chargé d'imposer le géant à la virgule comme équipementier des... Blaugranas - bleu et grenat, les couleurs du club. Ce qui est le cas depuis 1998. Un contrat renouvelé en 2006, moyennant 142 millions d'euros pour 5 ans d'exploitation commerciale. Mais si le FCB génère de l'argent - 450,7 millions d'euros en 2011 selon le cabinet Deloitte - il court après une dette tout aussi colossale : 367,3 millions et des pertes estimées à 9,3 millions d'euros pour le dernier exercice. « Le prix de l'éducation par le sport » argumente une analyste catalane, sous couvert d’anonymat, oubliant les 193 millions de primes et salaires versés aux athlètes, principalement les footballeurs, la saison passée. L'endettement, une habitude espagnole, une mauvaise habitude au regard du fair-play financier porté par l'UEFA depuis deux ans et demi. « Un club ne doit pas dépenser plus d'argent qu'il ne peut en générer », selon la formule du patron du football européen, Michel Platini.  Une règle que les dirigeants barcelonais combattent par principe et freinent dans son application.

Longtemps le
Barça a également résisté au sponsoring maillot, par philosophie, par philanthropie. Après l’intermède tunique UNICEF- l’institution catalane a versé 2 millions d'euros par an de 2006 à 2011 à l'organisation internationale - le mercantilisme l'a finalement emporté. C'est la Qatar Foundation qui barre désormais le maillot bleu et grenat contre 165 millions d'euros sur cinq ans. Notons également que Pep Guardiola, « philosophe » et tacticien génial de l'équipe première de football,  aurait perçu 200 000 euros par mois pour soutenir la candidature (gagnante) du Qatar à l'organisation de la Coupe du monde 2022. Les hypothèses les plus ébouriffantes circulent désormais. 20 millions d'euros d'annuités par exemple, pour que l’entraîneur blaugrana devienne le sélectionneur du Qatar.

Vitrine fissurée
La sociale et caritative FC Barcelona Foundation est chargée d'entretenir les apparences. Sandro Rosell défend cette ramification lors du Global Sports Forum Barcelona, le 8 mars : « Barcelone a 150 millions de supporters à travers le monde et ce grâce à nos joueurs. Ils sont une vitrine bénéfique pour notre fondation », ajoutant que, « la parole d'un Andrès Iniesta ou d'un Lionel Messi est tout aussi importante que celle d'un professeur ». Une vitrine qui a tendance à se fissurer avec le temps. « Il faut bien voir que l'émergence de la meilleure équipe de football de tous les temps est le second d'acte d'affirmation de Barcelone comme ville incontournable en matière de sport après les Jeux Olympiques de 1992. Néanmoins c'est au prix d'une distance grandissante entre ces joueurs soi-disant modèles et les Barcelonais » commente  Hernán Muñoz Ratto, qui fut le premier journaliste à interviewer Messi pour un média non-espagnol.
 

Loin de ces considérations, au Nou Camp, deux vieux culés - supporters/membres du Barça - lèvent leurs bras, emportés par une ola. Casquette bleue et grenat vissée sur la tête, l'un d'eux lâche entre deux gloussements, « Ça vaut quand même le coup de se lever à 7-1 ».