Le biais d’ancrage, travers psychologique des traders débutants

Le biais d’ancrage est la tendance selon laquelle un trader va rester fixé sur une information donnée (l'ancre) pour prendre une décision, même lorsque cela signifie aller à l’encontre du marché.

Ce phénomène d'ancrage se produit dans de nombreuses situations de la vie quotidienne, l'un des exemples les plus parlants étant le Black Friday. Le principe marketing derrière toute période de soldes importantes est d’indiquer aux consommateurs combien tel ou tel produit devrait coûter avant de finalement offrir un rabais important. La perception de valeur est ici, en grande partie, liée à l’ancrage et guère plus. 

Plusieurs études réalisées par les psychologues Kahneman et Tversky dans les années 1970 expliquent l'effet d’ancrage. Ils s'intéressaient à la façon dont les gens se forment un jugement lorsqu'ils ne sont pas certains des faits. Ils ont par exemple constaté que lorsque les gens doivent estimer une grandeur dont ils sont incertains, ils prennent comme point de référence le chiffre le plus récent qu’ils ont entendus, indépendamment de la pertinence de celui-ci, puis procèdent à des ajustements. Diverses études ont montré que même lorsqu'on informe les gens que les données qu'ils ont déjà entendues sont erronées ou non pertinentes, il leur reste extrêmement difficile de ne pas en tenir compte dans leurs prises de décisions.

Le biais d’ancrage appliqué au trading

Les traders présentant ce biais sont souvent influencés par leurs opinions initiales, comme par exemple un titre sur lequel ils ont réalisé un bénéfice lors d'une transaction précédente ou des niveaux de prix arbitraires tels que leur prix d'entrée ou leur prix cibles. Ils sont enclins à se raccrocher à ces chiffres au moment de prendre des décisions d'investissement.

Or il est nécessaire de trouver le bon équilibre : être capable de se référer à des informations passées tout en s’adaptant à l'évolution du marché. En effet, donner trop de poids à la première source d’information peut entraîner de graves erreurs de jugement si le risque n'est pas bien géré.

Pour les traders qui manifestent cette propension, le biais d’ancrage signifie également risquer d’écarter les fondamentaux propres à un cours boursier ou encore de ne pas agir à temps lorsqu’une tendance s’inverse. Cette réticence à vouloir changer leur position signifie que le trader s’expose à une chute des prix vers le bas et risque de subir d’énormes pertes en conséquence.

Une façon d'éliminer ce biais psychologique pour les traders est d'adopter une stratégie de "stop loss", c’est-à-dire fermer automatiquement une position perdante qui serait autrement restée ouverte.

Avantages et inconvénients du recours au "stop loss"

Un ordre "stop loss" vise à empêcher les traders de se raccrocher à des transactions perdantes en conservant comme prix d’ancrage un prix d'achat initial. Il s'agit d'un mécanisme de protection qui signale lorsqu’un un trader devrait accepter d’essuyer une petite perte avant que le prix ne baisse davantage.

Les analystes ne tombent pas tous d’accord quant aux mérites des ordres stop loss : s’ils représentent un filet de sécurité permettant de limiter ses pertes en sortant rapidement d’une opération de trading perdante, encore faut-il savoir où placer ce stop loss. Ce concept délicat repose en effet sur la capacité d'un trader à savoir évaluer comment et à quel moment déclencher cette limite. Ainsi, certains traders auront tendance à remonter le stop loss ou l'annuleront lorsque le prix approchera le niveau fixé, dans l'espoir que le marché revienne au niveau d'ouverture. Mais il ne s'agit là en réalité que d'une autre forme d'ancrage qu'il convient d'éviter. Il est donc important d'apprendre à calculer un stop loss avec précision, et de s'y tenir.

À noter néanmoins qu’un ordre stop loss n’a de chance de fonctionner avec précision que dans le cadre d’un fonctionnement ordonné du marché, qui n’est pas la norme. Dan Dzombak, analyste au Motley Fool, n’est pas un adepte des stratégies de stop loss. Selon lui, un trader devrait vendre une action si son hypothèse d'investissement initial s'avère incorrecte, mais si l'action chute et que l’hypothèse se tient, alors il devrait acheter à la valeur la plus basse, plutôt que de vendre. Il utilise comme exemple le krach éclair d'Apple en 2014 : l'action se négociait à environ 119 dollars. En quelques minutes, le titre a chuté à 112 dollars avant de remonter à 115 dollars. Si le trader avait fixé le stop loss à 113 dollars, son courtier aurait vendu les actions quelque part en dessous de ce niveau, juste avant que le cours de l'action ne remonte immédiatement à 115 dollars. Il aurait alors fallu que le trader rachète l’action à un prix plus élevé.

Apprendre à perdre, règle d’or du trading

Avant de devenir un gagnant professionnel, un trader doit d'abord devenir un perdant professionnel. Dès lors que l’on souhaite surmonter les biais comportementaux, et notamment le biais d’ancrage, il est important de changer la perception de "perte".

Nial Fuller, trader professionnel, auteur et coach, explique que l’incapacité des traders à subir une perte est justement la raison majeure pour lesquelles la plupart d’entre eux perdent de l'argent. Selon lui, "au lieu de simplement essuyer une perte, ils tentent toutes sortes de choses déraisonnables : déplacer leur stop loss plus loin que leur point d'entrée, ouvrir des positions multiples alors que le marché va à l’encontre de leur position initiale et d'autres erreurs de trading bêtes liées à leur état émotionnel".

Les traders doivent apprendre à accepter les pertes – la clé étant de s'assurer que les pertes soient toujours inférieures aux gains réalisés dans les transactions réussies. En empêchant le trader d'accepter une petite perte, son biais d’ancrage peut le mener à une perte plus importante et nuire à ses performances de trading sur le long terme.

Comment éviter un biais d'ancrage ?

Il est possible de contrecarrer un biais d'ancrage si l’on identifie correctement les facteurs déclenchants et que l’on accepte que la plupart des décisions soient induites par les émotions. Les investisseurs qui réussissent ne basent pas leurs décisions sur un seul élément, ils croisent leurs informations et s’appuient sur l'opinion d'autres personnes. Ils apprennent aussi par l'expérience et tiennent un registre de leurs pertes et de leurs gains afin de pouvoir identifier les erreurs de performance.

Il est parfois préférable d'ignorer complètement le niveau des prix pour privilégier des investissements réguliers cohérents et d'être discipliné lorsqu’on maintient une position sur une période donnée.

En substance, il faut savoir rester flexible et objectif, être capable d'évaluer les prix et garder la tête froide pour prendre des décisions, quelle que soit sa position.