Au-delà du label AMF, qu'est-ce qu'une ICO responsable ?

L'Autorité des marchés financiers est désormais en mesure de délivrer des visas pour des entreprises voulant réaliser des levées de fonds en crypto-monnaies.

À moins d’avoir passé ces deux dernières années sur une autre planète, vous avez forcément entendu parler des technologies blockchain. Mais qu’en savez-vous vraiment ? Probablement encore peu de chose si ce n’est son lien avec Bitcoin et les crypto-monnaies. Et pourtant, ces technologies ne sont pas seulement une révolution monétaire, elles sont également porteuses d’un nouveau paradigme pour la gouvernance de projets d’entreprises.

Cette technologie est en effet à l’origine des initial coin offerings (ICO), une méthode de levée de fonds pour les start-up via l’émission d’actifs numériques contre des crypto-monnaies. Ces levées de fonds jouent sur le fait que les crypto-monnaies sont numérisées et mondiales : pour la première fois, elles donnent donc la possibilité à des entrepreneurs de lever des fonds à l’international en des temps records. Et cela généralement en l’échange de jetons numériques (tokens) donnant l’accès à des usages ou services… mais également de plus en plus à d’autres formes de valeurs (equity, dette, part financière...).

Si le nombre d’opération a largement décru ces derniers mois, nombreuses sont les arnaques en ligne : comment trier le bon grain de l’ivraie ? Le label AMF est-il une sécurité suffisante pour les investisseurs ? Qu’est-ce qu’une ICO responsable ? 

Enfin de la lumière dans la jungle des ICO 

L’explosion des ICO en 2016 a permis à des start-up de lever des fonds en crypto-monnaies de manière massive, avant que les montants levés ne chutent de plus de 90% à la fin de l’année 2018. Et c’est une bonne nouvelle, puisque "90% des projets étaient des arnaques" pour reprendre les mots de Vitalik Buterin, le fondateur d’Ethereum. Force est de le constater : la majorité des projets étaient sans fondements. Les fausses promesses suffisaient à lever des millions et les opérations frauduleuses proliféraient. Bien sûr, il restait toujours 10% d’opérations de grande qualité qui permettaient de créer de vrais projets décentralisés et internationaux en des temps records. Mais cette jungle ne pouvait pas durer. La "bulle" a éclaté assainissant l’écosystème. Mais les ICOs d’aujourd’hui sont-elles vraiment plus responsables ? 


Après la "bulle des ICO"

Pour protéger les investisseurs, en France, le législateur et les régulateurs ont travaillé plus d’une année sur le sujet. Et depuis quelques jours, l’AMF est désormais en mesure de délivrer des visas pour des entreprises voulant réaliser des ICO. Le gendarme financier s’attend à recevoir des projets plus matures et sérieux. Anne Maréchal, la directrice des affaires juridiques de l’AMF, affirmait ainsi il y a quelques jours que "ce visa optionnel doit donner un avantage compétitif au porteur de projet l’ayant obtenu en lui permettant de se dissocier des fraudeurs". Pour obtenir le label AMF, le porteur du projet devra répondre à plusieurs exigences. Il devra être une personne morale établie ou immatriculée en France, renseigner sur la sécurité des fonds recueillis pendant l’offre, mettre en place un système KYC (Know your customer) pour connaître l’origine des souscripteurs, respecter les obligations en vigueur en matière de lutte contre le blanchiment d’argent (AML) et le terrorisme. Il devra aussi fournir des informations sur la vente du jeton et la blockchain utilisée.

Autre condition : les ICO doivent être souscrites auprès du grand public par plus de 150 personnes. L’AMF n’octroiera pas son label aux levées de fonds ciblant uniquement quelques gros investisseurs. L’agrément de l’AMF au sujet des prestataires de services n’est pas encore prêt, et pourra l’être d’ici l’automne. Bien que ces éléments puissent contribuer à dissocier un projet solide d’une fraude, ce label permettra-t-il de faire table rase des arnaques ?  

Vers des ICOs enfin responsables ?  

Pour repérer les pépites et écarter les projets sans véritables fondements, c’est un véritable travail d’analyste financier mais aussi technologique qui est nécessaire. D’abord sur des critères plus ou moins évidents : les projets sérieux ont des équipes sérieuses et bien accompagnées, une vision long-terme et globale, un vrai cas d’usage...

Mais surtout, un projet d’ICO responsable est un projet dont la pertinence du jeton numérique (et sa token economy) est prouvée. De manière plus générale, n’oublions pas que la technologie blockchain n’est pas une solution miracle et qu’elle répond à des cas d’usages bien précis !

Un projet sérieux doit enfin intégrer des audits technologiques de ses smart-contracts (ces algorithmes qui automatisent l’exécution de termes et conditions d’une opération) et des processus internes de l’entreprise (par exemple, le stockage des tokens). Par ailleurs, l’absence d’audits des smart contracts est la principale faiblesse du label AMF qui ne les impose pas et labellisera donc des projets potentiellement très à risques. 

Tribune co-rédigée par l'équipe Havas Blockchain : Fabien Aufrechter, Milan Orban, Gaël Durand-Perdriel et Hugo Briand