Seul, le visa de l'AMF ne dynamisera pas le secteur des ICO en France

Seul, le visa de l'AMF ne dynamisera pas le secteur des ICO en France L'article 26 du projet de loi Pacte prévoit un cadre juridique dédié aux ICO et la possibilité pour l'AMF de délivrer un label aux projets sérieux.

Paris, capitale des ICO. C'est l'ambition du gouvernement français, ou du moins celle de Bruno Lemaire. Dans une tribune publiée dans Numerama en mars dernier, le ministre de l'Economie et des Finances avait fait l'éloge de ces levées de fonds en crypto-monnaies et de la blockchain en général. Si bien qu'un article spécialement dédié aux ICO a fini par être intégré au projet de loi Pacte qui doit être examiné prochainement. Ce futur article 26 devrait donner naissance à un cadre juridique pour les ICO et la possibilité pour l'Autorité des marchés financiers (AMF) de délivrer un visa aux porteurs de projets respectant des critères de protection des épargnants (ce visa n'est donc pas obligatoire). "La liste des entreprises respectant les critères de l'Autorité des marchés financiers (dite liste blanche) constituera un repère précieux pour les investisseurs qui souhaitent financer des projets sérieux et créateurs de valeur", est-il écrit sur le site du ministère.

Mais ce visa ne permettra pas de faire de Paris la capitale des ICO, estiment les professionnels. "La France est un petit pays d'ICO avec peu de projets et peu d'investisseurs. En général, les projets qui se lancent sont cleans, ce qui n'est pas le cas dans d'autres pays", explique William O'Rorke, legal advisor du cabinet Blockchain Partner et fondateur de Blockchain Legal, cabinet d'avocats dédié aux blockchains et crypto-actifs. Il n'existe encore aucune étude sur la nationalité des investisseurs d'ICO mais la communauté crypto française assure que les fonds levés viennent majoritairement d'Asie. Difficile d'imaginer qu'un investisseur coréen aille vérifier si un projet français a bien le visa de l'AMF….

"Un entrepreneur du secteur ne peut par exemple pas ouvrir de compte bancaire d'entreprise en France"

Le visa ne permettra pas non plus d'attirer plus de porteurs de projets à réaliser leur ICO en France ou de convaincre les projets français de lancer la leur sur le territoire national. Tout d'abord parce que l'AMF se retrouve assez seule dans cette histoire. "L'AMF a une équipe pro-blockchain de qualité mais elle ne peut malheureusement que se cantonner à son champ d'actions qui est la régulation des marchés financiers comme le marché des changes, des actions et plus tard peut-être des jetons (ou token, les actifs digitaux proposés lors des ICO, ndlr)", déplore François-Xavier Thoorens, cofondateur de la blockchain Ark. En effet, l'AMF a pour mission de veiller "à la protection de l'épargne investie dans les produits financiers, à l'information des investisseurs et au bon fonctionnement des marchés financiers", est-il indiqué sur son site.

L'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), qui est adossée à la Banque de France, est aussi concernée par le phénomène des ICO. Elle s'occupe notamment de préserver la stabilité du système financier et d'assurer la mission de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme. Contrairement à l'AMF,  la Banque de France est bien plus critique avec les crypto-monnaies. Dans une note publiée en mars dernier intitulée "L'émergence du bitcoin et autres crypto-actifs : enjeux, risques et perspectives", elle s'attarde principalement sur les risques liés aux crypto-actifs (elle utilise ce terme à dessein au lieu de crypto-monnaies)… sans vraiment parler des opportunités.

L'absence de cadre juridique, comptable et bancaire

Le visa de l'AMF protégera les investisseurs mais ne permettra pas d'aider les porteurs de projet. "Rien n'incite un entrepreneur du secteur à se développer en France. On ne peut par exemple pas ouvrir de compte bancaire d'entreprise dans le pays", regrette François-Xavier Thoorens. "En France, les banques refusent systématiquement tout ce qui s'appelle crypto", abonde Paul Allard, patron d'Impak Finance, une société franco-canadienne qui a réalisé son ICO au Canada et prévoit d'en lancer une en France à la rentrée 2018. "Si les entrepreneurs des crypto-monnaies ne peuvent pas ouvrir de compte bancaire, quel est l'intérêt de lancer une ICO en France ?", s'interroge Clément Jeanneau, cofondateur de Blockchain Partner et d'ICO Mentor. Ark est une des rares sociétés du secteur à avoir réussi à ouvrir un compte bancaire en France mais assure "avoir mis quatre mois pour convaincre une banque française", dont le nom est volontairement tu.

"Appliquer le PFU ne permettrait pas d'être leader, mais limiterait l'hémorragie vers Malte ou l'Allemagne"

Les porteurs de projet d'ICO se heurtent aussi à des obstacles d'ordre juridique et fiscal. En France, comme il n'y a pas de qualification juridique, un token rentre par défaut dans la définition du bien meuble (un bien qui peut être déplacé). Problème, il existe trois types de tokens : les utility token (jetons avec un droit d'usage sur le produit ou service), les security tokens (assimilables à des titres financiers) et les crypto-monnaies (jetons utilisables comme des moyens de paiement). Dans un rapport intitulé "Vers un cadre réglementaire pour les crypto-actifs", les associations La Chaintech et France Digitale appellent à une clarification "pour déterminer quelle catégorisation juridique doit être appliquée à ces tokens". Ce qui permettrait ensuite de déterminer quelle taxe s'applique et comment les inscrire dans la comptabilité de l'entreprise. "Notre comptable a tout mis en compte de tiers en attendant les recommandations de l'ordre des experts comptables qui devraient être connues en octobre", témoigne François-Xavier Thoorens. La Chaintech et France Digitale proposent notamment que les jetons qui représentent un droit financier soient alignés sur les taxes des valeurs mobilières existantes (prélèvement forfaitaire unique (PFU) au taux de 30%, exit tax, sursis ou report d'imposition en cas d'apport à une société). 

L'absence de cadre juridique pour le bitcoin et l'ether, les principales crypto-monnaies récoltées lors des ICO, est aussi handicapant pour les porteurs de projet. Le Conseil d'Etat a rendu une décision en avril dernier qui stipule que les gains qualifiés d'habituels soient soumis au régime des bénéfices industriels et commerciaux (BIC), c'est-à-dire à un taux effectif pouvant aller jusqu'à 62,2 %. "Appliquer le PFU ne permettrait pas d'être leader, mais limiterait l'hémorragie vers Malte ou l'Allemagne, des pays qui ont des politiques fiscales incitatives", indique Clément Jeanneau.

Pour l'instant, le volet ICO de la loi Pacte ne mentionne que le visa, mais les acteurs de l'écosystème espèrent que des éléments seront ajoutés. "On verra si le gouvernement propose une stratégie ou des mesurettes. Par exemple, est-ce qu'avoir le label permettra aux entrepreneurs d'ouvrir un compte en banque ?", se demande William O'Rorke.