DSP2 : que font les fintech de leurs agréments ?

DSP2 : que font les fintech de leurs agréments ? Depuis janvier 2018, les start-up de la fintech peuvent demander des agréments d'agrégation de compte et d'initiation de paiement. Mais pour quoi faire ?

La DSP2 va bientôt souffler sa deuxième bougie. La directive sur les services de paiement est entrée en vigueur le 13 janvier 2018, obligeant les banques à partager les données de paiement de leurs clients à des tiers, dont les agrégateurs. Ces derniers ont aussi leurs obligations, dont celle d'obtenir les agréments DSP2, à savoir AISP (Account information service provider) et PISP (Payment initiation service provider). Sans ces graals, impossible pour les Bankin', Linxo et Budget Insight de se connecter en toute conformité aux données bancaires et à initier des paiements depuis des comptes tiers.

"Avoir ces agréments montre que nous avons travaillé avec l'ACPR et la Banque de France, ce qui rassure nos clients et partenaires. Cela signifie aussi que nous sommes fiables et que nous avons un bon niveau de sécurité pour fournir nos services", ajoute Joan Burkovic, CEO de Bankin'. "Cela nous a permis de faire une levée de fonds importante, de signer de gros clients comme Cegid et Experian. Et nos partenaires assureurs, banques, courtiers, fournisseurs d'énergie et autres sont ravis de travailler avec nous alors qu'avant ils avaient une certaine réticence car ils ne savaient pas si c'était légal ou sécurisé", complète-t-il.

Les agrégateurs ne sont pas les seuls acteurs à avoir obtenu les agréments DSP2. D'autres sociétés comme la néobanque pour PME Qonto ou encore Iliad (maison-mère de Free) ont aussi coché cette case réglementaire. L'opérateur télécoms, qui est doté d'un agrément d'établissement de paiement et d'un code Swift, a tous les outils en main pour lancer des services autour du paiement et de l'agrégation bancaire. 

Toutes les entreprises françaises qui ont obtenu les agréments DSP2
Société Agrément AISP Agrément PISP Date d'obtention 
Bankin'/Bridge X X 13/01/2018
Budget Insight X X 29/03/2018
Cashbee X X 19/04/2019
Fintecture  X X 09/10/2019
Gérer mes comptes X   05/09/2019
Iliad 78 X X 24/10/2019
LaFinBox  X X 29/10/2018
Linxo X X 01/03/2018
MAIF Paiements X X 22/08/2019
Max  X X 3/08/2018 (AISP) et 24/12/2018 (PISP)
Qonto X X 21/06/2018
SI-Expertise X   03/05/2019

Pour ces fintech, ces agréments ouvrent la voie à la création de nouveaux produits ou services. Ibanfirst, société spécialisée dans le paiement international pour les PME, propose désormais de l'agrégation de comptes à ses clients. Ces derniers peuvent ainsi consulter sur une même interface leur compte Ibanfirst et des comptes externes (Société Générale, BNP Paribas…). Une fonctionnalité aussi prévue dans la roadmap de Qonto. "Nous avons beaucoup de clients multibancarisés qui veulent tout voir sur une seule interface", affirme Alexandre Prot, patron de la start-up qui a vocation à devenir "la clé de voûte de la gestion financière de l'entreprise", précise-t-il.

Ibanfirst a développé une autre fonctionnalité grâce à l'agrément : l'initiation de paiement. A l'origine, quand un client d'Ibanfirst souhaitait envoyer de l'argent à Singapour, il devait virer de l'argent de son compte Société Générale vers Ibanfirst et seulement après Ibanfirst s'occupait de faire le change et d'envoyer les dollars à Singapour. Avec l'initiation de paiement, ce même client peut initier un virement depuis son compte Société Générale directement sur son interface Ibanfirst. "C'est un super cas d'usage", s'enthousiasme Pierre-Antoine Dusoulier, CEO de cette start-up franco-belge. Mais cette fonctionnalité est seulement en test chez une poignée de clients. "Pour faire de l'initiation de paiement qui marche, il faut que les banques aient de bonnes API, ce qui n'est pas encore le cas", explique Pierre-Antoine Dusoulier, qui ne sait donc pas encore quand cette fonctionnalité sera déployée.

L'assistant personnel Max (filiale d'Arkéa), qui propose de l'agrégation de cartes et de comptes bancaires, envisage aussi de faire de l'initiation de paiement. "Nous y croyons beaucoup car cela simplifiera la vie de nos utilisateurs. Max deviendra une plateforme qui permettra de gérer tous ses flux financiers. Le tout en instant payment", assure Didier Ardouin, directeur général de Max.

Du cashback au scoring de crédit

Max, qui veut devenir "un agrégateur de solutions", travaille actuellement sur de l'agrégation de factures et sur un programme de cashback qui sera lancé début 2020 en partenariat avec deux start-up spécialisées dans l'analyse de la donnée bancaire, Plebicom et Paylead. Concrètement, quand un client de Max fera un achat avec sa carte agrégatrice, peu importe le compte qu'il choisit de débiter, il obtiendra forcément du cashback sur son compte Max.

"On pourrait facturer l'initiation de virement si on garantit que l'expérience est meilleure sur Ibanfirst que dans une banque"

Les agrégateurs, jusque-là cantonnés à connecter les comptes bancaires et co-créer des agrégateurs avec les banques et assureurs, diversifient aussi leurs services. Ils s'attaquent désormais aux sujets de l'onboarding, du KYC ou encore du credit scoring. "Ces cas d'usage existaient avant la DSP2 mais comme il n'y avait pas de cadre légal et d'agrément, l'écosystème n'était pas prêt à aller plus loin", se souvient Joan Burkovic. Bankin', via sa marque BtoB Bridge, s'est par exemple associé à Experian pour créer une solution d'octroi de crédit fondée sur l'historique bancaire transactionnel des demandeurs. Plus besoin de vérifier manuellement les relevés bancaires d'une personne, une API suffit pour consulter son historique, permettant ainsi de dire en quelques secondes si oui ou non il peut obtenir un crédit. L'agrégateur suédois Tink travaille quant à lui avec PayPal sur de l'onboarding. "Nous cherchons à faciliter tout le processus d'accès au wallet et éviter au consommateur de ressaisir manuellement ses données personnelles", illustre Jérôme Albus, patron France de Tink.

Toutes ces fonctionnalités sont potentiellement de nouvelles sources de revenus, sauf pour l'agrégation, pas suffisamment fiable (toutes les dépenses ne sont pas bien catégorisées) pour mériter rémunération. Avec son cashback, Max touchera une commission qui dépend du marchand. Sur l'initiation de paiement, Ibanfirst ne s'est pas encore décidé. "On pourrait facturer l'initiation de virement si on garantit au client que son expérience soit meilleure en utilisant Ibanfirst qu'en passant directement par sa banque", estime Pierre-Antoine Dusoulier.

Se passer des agrégateurs ?

Avoir ses agréments permet-il de se passer de Budget Insight and co ? Pour la majorité des fintech interrogées, pas question de couper les ponts avec eux. "Nous sommes très satisfaits du travail de Budget Insight pour l'agrégation de comptes mais on ne sait jamais de quoi demain sera fait. Avoir les agréments nous donne une grande liberté stratégique pour le futur", expose Marc Tempelman, CEO de Cashbee, une application d'épargne. "Avoir notre agrément ne nous empêche pas de passer par des providers. Nous ne savons pas encore ce que nous ferons. Peut-être que nous nous connecterons en direct avec les six grandes banques françaises et laisserons le reste à Budget Insight", élude Pierre-Antoine Dusoulier.

"Rester abonné à Bridge ou Budget Insight est pérenne tant que les API des banques ne sont pas matures. En revanche, avoir l'agrément donne la capacité de préparer l'avenir pour se défaire du prestataire technique", souligne Julien Maldonato, associé industrie financière chez Deloitte. Mais selon la dernière étude de Tink, aucune API DSP2 n'est conforme. Les fintech ont donc le temps de voir venir.