L’hypercroissance, un enjeu stratégique pour les néobanques européennes

Malgré la débâcle WeWork, le financement de l’hypercroissance reste un enjeu stratégique afin de recomposer le paysage bancaire mondial. Par Diana Brondel (Xaalys), Adrien Touati (Manager.One) et Mung Ki Woo (Ditto).

Les récentes mésaventures de Wework ont ravivé les polémiques sur l’hypercroissance des nouveaux acteurs de la tech. Elles ont surtout révélé l’incompréhension de ce modèle par WeWork, qui a tout misé sur une croissance débridée, au détriment de la rentabilité à court terme jusqu’à atteindre des niveaux stratosphériques de valorisation. Or, l’hypercroissance n’est pas censée être une fuite en avant financière, mais un modèle où la technologie et son déploiement à grande échelle sont le moteur de la croissance, davantage que la rentabilité. Si la technologie n’est pas "scalable", toute rentabilité future est un leurre. WeWork n’était pas une entreprise d’hypercroissance, ni même une entreprise technologique ; son échec était donc inéluctable en l’absence de rentabilité.

En matière d’hypercroissance, l’Europe accuse du retard mais tient le haut du pavé dans un secteur : la banque digitale. Plusieurs sociétés en réelle hypercroissance dans ce secteur sont nées en Europe. Par exemple, la britannique Revolut serait en train de lever 1,5 milliard de dollars et ambitionne de doubler de taille d’ici 2021, en passant de 6 à 12 millions de clients et en ajoutant 24 marchés (dont les Etats-Unis, le Japon et Singapour) aux 32 qu’elle sert déjà. L’allemande N26, qui opère déjà dans 24 pays, a levé 170 millions de dollars en juillet 2019 et vient de démarrer sa commercialisation aux Etats-Unis. Pour l’instant, aucun autre continent n’a engendré de banque digitale capable de se déployer si rapidement et à l’international.

Dans la foulée de la débâcle WeWork, faut-il s’attendre à un coup de frein vis-à-vis de ces stars européennes parties à la conquête du monde ? Si tel était le cas, les consommateurs et l’écosystème européen en pâtiraient. Pour les consommateurs, il est indéniable que la concurrence de ces nouveaux entrants a aiguillonné les acteurs traditionnels, qui ont consenti d’énormes investissements dans leurs plans digitaux, pour amener leurs services et l’expérience client à un niveau comparable. En d’autres termes, l’hypercroissance de ces néobanques a stimulé tout le marché.

Le coup d’avance de l’Europe sur le reste du monde s’explique en grande raison par la libéralisation de son marché bancaire. Les directives successives sur les paiements (DSP1 en 2007, complétée par une version 2 en 2018) doivent permettre d’ouvrir l’ère de l’open banking en favorisant l’innovation et en permettant à un grand nombre de nouveaux acteurs non bancaires de s’installer sur le marché. Par ailleurs, la possibilité pour un acteur agréé dans un seul pays de l’Union européenne d’offrir ses services financiers à travers toute l’Europe, grâce au passeport financier européen, facilite grandement l’expansion des nouveaux entrants. Elle les confronte directement à des acteurs européens dont la qualité de service, bien qu’imparfaite, est infiniment plus élevée que sur le marché américain. Les acteurs comme Revolut et N26 sont armés contre les Gafa, qui tentent de s’infiltrer sur le marché bancaire via la tenue de compte. Ils savent combiner une expérience radicalement moderne et une expertise bancaire que les Gafa ne possèdent pas encore.

Si le cas WeWork pourrait échauder les investisseurs européens, déjà moins enclins que leurs homologues américains à prendre des risques, l’hypercroissance est aujourd’hui un enjeu stratégique pour l’Europe si l’on veut atteindre une taille suffisante afin de lutter à armes égales avec les Gafa et recomposer le paysage bancaire mondial. A défaut, le futur sera inventé par d’autres, et nous ne pourrons pas nous en plaindre. 

Une tribune co-écrite par Diana Brondel (Xaalys), Adrien Touati (Manager.One) et Mung Ki Woo (Ditto).