Pieter van der Does (Adyen) "Un marchand ne veut pas seulement des moyens de paiement pour des raisons marketing"

Le CEO et le CFO du prestataire de paiement néerlandais Adyen évoquent les défis liés à la directive sur les services de paiement.

JDN. L'entrée en vigueur de l'authentification forte, qui risque de bloquer de nombreuses transactions, a finalement été reportée à fin 2020. Est-ce une bonne nouvelle pour l'industrie du paiement ?

Ingo Uytdehaage, CFO d'Adyen. © Adyen

Ingo Uytdehaage (CFO). On ne fait que repousser le problème. Cette réglementation est une bonne chose car elle renforce la protection du consommateur. Nous pensons que c'est aux prestataires de paiement d'implémenter les exigences de la DSP2 (directive européenne sur les services de paiement qui comprend un volet sur l'authentification forte, ndlr) de la meilleure façon possible. Pour notre part, nous étions prêts et nous regrettons qu'elle ait été reportée. Cela a toujours été notre philosophie de nous adapter aux changements. Nous évoluons dans une industrie qui change tellement vite, il faut donc s'assurer qu'on a mis en place la meilleure implémentation pour nos clients. Je crois qu'Adyen a rempli cette mission, c'est en tout cas les feedbacks que nous avons eus de nos clients. Et commercialement, cela nous a aidé à gagner de nouveaux clients.

Comment cela se traduit concrètement chez Adyen ?

Pieter van der Does (CEO). Nous essayons de minimiser les efforts que les marchands ont besoin de faire. Et nous essayons aussi de minimiser l'impact sur leurs ventes. La SCA (strong customer authentification, authentification forte, ndlr) peut avoir théoriquement un impact négatif. Je ne dirais pas que nos clients sont inquiets mais ils sont très impliqués. Ils veulent comprendre ce que cela signifie pour leur parcours client et ce qu'ils doivent faire pour être le moins impactés possible.

Même si vous êtes techniquement prêts, cela ne garantit pas aux marchands un bon taux de conversion car les banques émettrices doivent aussi être prêtes…

Ingo Uytdehaage. Bien sûr que nous voudrions que toutes les banques émettrices implémentent vite le nouveau protocole, ce serait le scénario idéal. Nous sommes toujours partis du principe que toutes les banques émettrices ne seront pas prêtes à l'échéance prévue. Donc nous nous sommes assurés d'avoir les bons plans de secours qui permettront de garder le niveau de conversion espéré.

L'autre sujet lié à la DSP2 est le développement de l'initiation de paiement. Comment appréhendez-vous ce moyen de paiement ?

Ingo Uytdehaage. Nous avons toujours eu la conviction que c'est au marchand et au final au consommateur de choisir quel moyen de paiement il veut utiliser. Il y a eu beaucoup de changements ces dernières années, le nombre de moyen de paiement a augmenté et ça ajoute de la complexité aux systèmes. C'est à nous de réduire cette complexité et d'être sûr d'accepter ces nouveaux paiements rapidement. On voit plutôt une opportunité dans l'initiation de paiement. Nous suivons les développements en cours pour comprendre ce que nous pouvons construire dessus.

Allez-vous donc implémenter l'initiation de paiement chez tous vos marchands ?

Peter van der Does, CEO d'Adyen. © Adyen

Pieter van der Does. Nous implémenterons ce qui a de la traction. A long terme, il y aura encore de nouveaux moyens de paiement et on verra ceux qui survivront et ceux qui ne survivront pas. Adyen a toujours rendu disponible ce qui existe. Si vous regardez ce qui est arrivé sur le marché ces dernières années, il y a beaucoup de nouveautés, de Google Pay à Apple Pay en passant par Alipay et WechatPay. Ces wallets chinois sont même acceptés ici à Paris. Pour nous, c'est du business as usual d'implémenter ces nouvelles tendances. A contrario, nous avons aussi vu des choses qui n'ont pas eu la traction qu'on attendait.

Pouvez-vous-donner un exemple ?

Pieter van der Does. Pendant un moment, tout le monde pensait qu'on allait payer avec le bitcoin sur les terminaux de paiement. Et ça n'est pas arrivé. Le marchand veut du réel et des moyens de paiement qui mènent à plus de ventes. Pas seulement des moyens de paiement qui sont là pour des raisons marketing. 

L'initiation de paiement n'est pas forcément une bonne chose pour vous car cela diminuerait les transactions par carte, dont vous tirez une grande majorité de vos revenus…

Ingo Uytdehaage. Bien sûr, nous nous rémunérons sur les transactions en carte bancaire mais aussi sur les moyens de paiement locaux. Aux Pays-Bas et en Allemagne par exemple, il existe déjà l'initiation de paiement depuis des années. Nous les avons implémentés et nous en tirons des revenus. Il y a une chose que les gens oublient sur les cartes bancaires : elles sont associées à des droits à la consommation. Si le produit n'est pas délivré ou le service pas rendu, je peux faire un valoir mes droits et être remboursé. Je ne suis pas sûr que dans l'e-commerce l'initiation de paiement soit toujours une bonne chose à faire. Bien sûr, il y a des entreprises en qui j'ai confiance, notamment des grands retailers, avec lesquels je ferai certainement de l'initiation de paiement. Mais avec un petit commerçant que je ne connais pas, je préférerais personnellement payer avec une carte.

Avec tous ces nouveaux moyens de paiement, le monde est de moins en moins uniforme pour les marchands. Comment pouvez-vous simplifier toute cette complexité tout en proposant des parcours personnalisés à vos grands clients ?

Pieter van der Does. Effectivement, nous standardisons notre solution pour enlever cette complexité, mais en même temps les marchands ont des besoins spécifiques. Est-ce que ce besoin spécifique peut être réutilisé ou sera utilisé par tous les marchands ou est-ce un cas à part et ce marchand doit donc avoir recours à un protocole propriétaire ? Si un marchand a une requête spécifique, on l'écoutera car peut-être que ce sera quelque chose que les autres marchands voudront aussi ou que ce sera visionnaire. Mais si nous utilisons tous nos ingénieurs pour une implémentation unique, il sera difficile de tenir nos promesses de rapidité d'exécution pour tous nos clients. Sans compter que les systèmes deviennent très complexes à maintenir.

Adyen est aujourd'hui valorisée 24,4 milliards d'euros. Certains acteurs dans l'industrie dénoncent un tel niveau de valorisation. Que leur répondez-vous ?

Ingo Uytdehaage. Il est difficile de répondre sur le niveau du prix de l'action. Nous cherchons à construire une entreprise qui importe à nos clients. Et si ça marche, cela se traduit par de la croissance, ce qui est apprécié par les investisseurs. Et si  nous continuons à cette vitesse, nous sommes convaincus de continuer à grossir. Tout ce que nous réalisons est focalisé sur le long terme. Nous pensons à ce qui est le mieux pour dans 2-3 ans. Je me fiche de ce qui se passe dans le prochain trimestre. Ce n'est pas pertinent, juste du bruit.