Les balbutiements de la finance décentralisée

Les balbutiements de la finance décentralisée Surnommé DeFi, ce concept regroupe les produits financiers développés sur la blockchain. Près de 600 millions de dollars circulent dans ces nouvelles applications.

Dans le top 10 des tendances de la blockchain en 2020, on demande… la DeFi. Comprendre : decentralized finance, ou finance décentralisée en français. Ce phénomène englobe des produits et services financiers basés sur la blockchain. Comme le bitcoin, il n'y a pas d'intermédiaire et les utilisateurs ont le contrôle sur leurs fonds. "L'idée de la DeFi est de rendre les services financiers pour particuliers accessibles au plus grand nombre avec seulement un smartphone et une connexion Internet", résume Pierre Laurent, cofondateur du cabinet de conseil spécialisé dans la blockchain Atka. En clair, viser les 1,7 milliard de personnes qui n'ont pas accès à des services bancaires.

Mais comment marche la DeFi ? Ces produits sont en fait des ensembles de smart contrats, des contrats qui s'exécutent automatiquement suite à des conditions prédéfinies. Ces contrats émettent, échangent et bloquent des actifs de façon automatique. Aucune entité centralisée n'est cachée derrière. Le code au sein du smart contract est transparent sur la blockchain et donc consultable par tous. N'importe qui peut développer des applications DeFi. 

Dans la famille de la finance décentralisée, on compte une petite dizaine d'applications, que le site spécialisé américain The Block a catégorisées dans un mapping. On retrouve par exemple des plateformes de trading décentralisées, des produits dérivés décentralisés, ou plus connus, des stablecoins, des crypto-monnaies stables. Attention, tous les stablecoins ne sont pas décentralisés. Par exemple, le projet de Facebook, Libra, repose sur une blockchain fermée et contrôlée par une poignée de participants. Le projet de stablecoin décentralisé le plus développé à ce jour est le Dai, issu du protocole blockchain MakerDAO, protocole qui propose de prêter et d'épargner sans intermédiaire. Appelées aussi prêts crypto, ces applications sont les plus diffusées dans le monde de la DeFi. Pour contracter un prêt sans passer par un intermédiaire, il faut mettre en garantie des crypto-monnaies. C'est ce qu'on appelle le principe de collatéralisation, ou plutôt de sur-collatéralisation car il faut mettre plus de garantie que ce qu'on souhaite emprunter pour protéger les prêteurs des risques contre la perte d'argent.

Liste non-exhaustive des applications DeFi et leurs acteurs
Application Prêt et épargne Trading Stablecoin Produits dérivés  Actifs 
Acteurs MakerDAO
Compound
InstaDapp
DydX
BZx
Nuo Network
DDeX
Dharma
Uniswap
Bancor
Kyber
Dai Synthetix
Nexus Mutual
Augur
Veil
WBTC
Set Protocol
Melon

Même si la majorité de ces projets datent d'il y a moins de deux ans, leur utilisation a augmenté de façon significative ces derniers mois. Pour mesurer ce phénomène, il existe une métrique bien particulière : le nombre d'ethers verrouillés, ou "lockés" dans les smart contracts DeFi. A l'heure où nous publions cet article, 3,15 millions d'ethers sont lockés, soit l'équivalent de 591 millions de dollars, d'après le site spécialisé DeFi Pulse. Cela représente 2,9% des ethers en circulation. En un an, le nombre d'ethers verrouillés a augmenté de 52% et le montant en dollars de 167% compte tenu de l'évolution des cours de l'ether face au dollar (+76%).

En un an, le nombre d'ethers verrouillés a augmenté de 52%. © DeFi Pulse

Les applications de prêts sont celles qui mobilisent le plus d'ethers, lockés pour environ 655,5 millions de dollars, suivies par les dérivés (160,2 millions de dollars) et les exchanges décentralisés (65,2 millions de dollars). A noter que les stablecoins ne sont pas référencés sur ce site.

MakerDAO domine clairement la DeFI avec 57,5% "de parts de marché" et ses 515,6 millions de dollars verrouillés dans ses smart contracts. Le contrat est live depuis deux ans. "Lending Club (plateforme US de prêts personnels entre particuliers, ndlr) a mis huit ans pour atteindre 500 millions alors que Maker l'a fait en en peine deux ans", indique William Piquard, autre cofondateur du cabinet Atka. MakerDAO permet d'emprunter (ou prêter) des crypto-monnaies. Son stablecoin, le Dai est adossé au dollar US et backé par une crypto-monnaie. Concrètement, il suffit de mettre en collatéral des ethers pour obtenir des Dai qui vous permettent ensuite d'emprunter de la crypto. Le taux d'intérêt tourne autour de 8%, intéressant pour celui qui prête, moins pour celui qui emprunte. "L'idée à terme est que le collatéral soit n'importe quel actif : des crypto, de l'or, un appartement... Et grâce à ça, on réduira le risque systémique", fait remarquer William Piquard, faisant référence au fait que le cours des crypto est toujours très volatile.

Pour l'instant, les utilisateurs de ces services ne sont pas les fameux 1,7 milliard de non bancarisés dans le monde. "Une étude montre que ce sont des utilisateurs américains et occidentaux qui ont besoin de gagner de l'argent. Ironiquement, ce n'est pas l'objectif affiché de DeFi", souligne Clément Jeanneau, cofondateur de Blockchain Partner. D'après le dernier rapport de Binance Research sur la DeFi, il y aurait seulement 40 000 utilisateurs mensuels d'applications Defi mais certains projets ne sont pas pris en compte dans l'étude car ils ont mis en place du KYC (Know your customer), processus de vérification d'identité, ce qui rend le service moins décentralisé.

Même si on regroupe tous les produits de la finance décentralisée, le nombre d'utilisateurs reste minime comparé à la finance traditionnelle. "Faire des transactions sur la blockchain avec des actifs virtuels est complexe. Il faut savoir acheter de l'ether, utiliser un wallet, le transférer sur une plateforme", explique un expert de Binance Research . "Pour quelqu'un qui ne connait pas les crypto c'est inaccessible. Pour quelqu'un qui utilise Ethereum c'est un jeu d'enfant", assure Owen Simonin, fondateur de Just Mining, société proposant des solutions d'investissements dans les crypto-monnaies. Mais comme tout produit crypto, la DeFi est très risquée et l'absence de régulation ne permet pas aux consommateurs d'être complètement protégés.