Néobanques pour ados : l'âge ingrat

Néobanques pour ados : l'âge ingrat Trois start-up françaises, qui cumulent près de 80 000 utilisateurs, doivent déjà envisager des sources de revenus supplémentaires pour faire face à la faible rentabilité de leurs clients.

Les néobanques ont fait des petits. Ou plutôt des ados. En 2019, trois banques mobiles pour les 10-17 ans ont été lancées en France : Kard, Pixpay et Xaalys. Toutes proposent une carte de paiement et des fonctionnalités plus ou moins similaires (suivi du solde en temps réel, notifications, catégorisation des dépenses, cagnottes…). Certaines ont aussi développé une application miroir pour les parents qui permet d'envoyer de l'argent instantanément à son enfant ou encore de bloquer les achats sur certains types de marchands. Le tout servi via une expérience utilisateur proche des N26 et Revolut. Pour l'heure, seuls 15% des adolescents sont bancarisés en France. Une population qui se limite souvent à une simple carte de retrait. 

  Date de lancement Nombre d'utilisateurs Fréquence d'utilisation Prévisions à l'international
Kard Fin mai 2019 50 000 Au moins 8 fois par mois Trois pays d'ici fin 2020
Pixpay Septembre 2019 NC 6-7 fois par mois "Plusieurs pays européens" 
Xaalys Avril 2019 22 000 7 fois par mois Pays européens et en marque blanche pays hors zone euro

Plusieurs mois après leurs lancements respectifs, où en sont ces trois acteurs ? Chez Xaalys, la première à s'être lancée en avril 2019, on revendique plus de 22 000 clients (seulement les enfants), chez Kard 50 000 utilisateurs, mais pas de communication chiffrée du côté de Pixpay. "Nous sommes très satisfaits. C'est deux fois plus que ce qu'on avait prévu", se contente de commenter Benoît Grassin, cofondateur de la fintech. Mais comme chez les néobanques classiques, le nombre d'utilisateurs n'est pas une métrique fiable, contrairement au nombre d'utilisateurs actifs. Chez Kard,  tous les utilisateurs effectuent au moins deux opérations chaque semaine "et à un rythme de plus en plus fréquent", assure son patron, Scott Gordon. Quant aux clients de PixPay et Xaalys, ils ont recours à leur carte en moyenne sept fois par mois. Une récurrence logique puisque ces deux acteurs proposent uniquement une offre payante, toutes deux à 2,99 euros par mois. Xaalys facture également 10 euros pour la souscription et 15 euros pour l'option internationale (disponible 30 jours). A part les frais d'interchange, les deux fintech n'ont pas d'autres sources de revenus et assurent ne pas monétiser les données de leurs utilisateurs.  

Une cible peu rentable 

De son côté, l'offre de Kard est entièrement gratuite. La start-up ne vit que des frais d'interchange, qui sont très faibles en France, mais prévoit une offre premium en 2020 et de nouveaux produits financiers (une assurance sport d'hiver par exemple). La néobanque noue aussi des partenariats avec des marques telles que UberEats via un business model à la commission. En mars, Pixpay ajoutera à son offre un club accessible par abonnement avec une dizaine de marques qui permettront aux ados d'avoir des réductions. "On ne se rémunérera pas sur les transactions et on ne partagera pas les données", indique Benoît Grassin. A 2,99 euros par mois, il faudrait une grosse brochette d'utilisateurs pour être rentable. "Il est difficile de dire si ce segment peut être suffisamment large et juteux pour que l'activité soit pérenne", souligne Angelo Caci, directeur général de Syrtals Cards, cabinet spécialisé dans la monétique.

"Il est difficile de dire si ce segment peut être suffisamment large et juteux pour que l'activité soit pérenne"

Une équation délicate. Contraintes par les réglementations, les néobanques pour ados ne peuvent pas proposer une large palette de produits financiers comme le crédit, en raison de l'âge de leurs clients. Et elles ne resteront pas longtemps trois sur le marché. La start-up Vybe a prévu de lancer prochainement une offre similaire tandis que les banques traditionnelles pourraient contre-attaquer.

Dans le même temps, acquérir ces jeunes utilisateurs n'est pas gratuit. Ces néobanques doivent à la fois séduire les adolescents et les parents, qui sont les payeurs. Pixpay indique que son coût d'acquisition client s'élève à une vingtaine d'euros, dont la grande majorité est due aux réseaux sociaux. Alors que celui des banques traditionnelles est égal à zéro puisqu'elles récupèrent les enfants de leurs clients. Kard assure que son coût d'acquisition est quasi gratuit, grâce au bouche-à-oreille et à son compte Instagram. "Cela marche très bien car on peut personnaliser sa carte Kard et ajouter un surnom dessus", précise Scott Gordon. En revanche, la jeune pousse propose une offre de parrainage avec à la clé un euro versé pour chaque nouveau client recruté.  Xaalys, qui ne communique pas sur son coût d'acquisition, réalise des campagnes d'influence via Instagram et Snapchat pour les enfants et sur Facebook pour les parents et va se pencher prochainement sur l'affiliation.

La banque des jeunes adultes ?

La question de la rétention des clients est aussi très importante dans le modèle des néobanques pour adolescents. Une fois majeurs, que faire de ses utilisateurs ? "J'ai dû mal à voir comment ils vont garder leurs clients. Ils ne peuvent pas avoir une grande base d'utilisateurs. Or, la valorisation d'une néobanque se fait sur ce critère", constate Michele Foradori, VC chez BlackFin Tech.

"Kard ouvrira son premier pays dans les trois prochains mois et deux autres d'ici la fin de l'année"

Pour étendre sa base de clients, il y a évidemment la piste de l'expansion internationale. Toutes y pensent déjà. "Nous ouvrirons notre premier pays dans les trois prochains mois et deux autres d'ici la fin de l'année", indique Scott Gordon. Pixpay prévoit de se lancer dans plusieurs pays européens plus vite que prévu. "Le besoin que nous avons identifié en France est le même partout", estime Benoît Grassin. Il existe déjà plusieurs néobanques pour ados sur le Vieux continent. Le précurseur est le britannique GoHenry (créé en 2012) qui compte à ce jour plus de 500 000 clients. Pour Xaalys, l'international n'est pas une priorité mais les projets pourraient s'accélérer. "Nous avons déjà eu quelques demandes d'ouverture de compte en Belgique et en Suisse notamment. Jusque fin 2019, on était contraint par Treezor (leur prestataire de plateforme de paiement, ndlr) qui n'avait pas passeporté son agrément en Europe", explique Diana Brondel, CEO de Xaalys. "Dès qu'il aura passé le pas, nous nous déploierons nous-mêmes en Europe. Pour les pays en dehors de la zone euro, nous signerons des partenariats en marque blanche avec des acteurs cherchant à se doter d'une brique paiement", avance-t-elle.

Reste la possibilité de fidéliser les clients au-delà de 18 ans. C'est la stratégie de Kard (qui assure que 150 000 personnes majeures sont en liste d'attente sur son site). "On veut les garder le plus longtemps possible. On va donc faire évoluer l'application", confie Scott Gordon, qui réfléchit à des offres d'assurance voyage, de micro-crédit…  A l'inverse, Pixpay et Xaalys comptent réorienter leurs clients majeurs vers d'autres banques. "Les demandes ne sont plus les mêmes. Après 18 ans, ils ont des besoins financiers plus structurés comme les prêts auto et étudiant. C'est plus difficile à opérer", argue Diana Brondel.

Les néobanques pour ados vont-elles recommander N26, Orange Bank ou Revolut ? "Ce ne sont pas des banques principales, elles servent surtout à voyager. Je ne les recommanderai pas à moins qu'elles étoffent leurs services dans les années à venir", prévient Diana Brondel. Retour à la case banque traditionnelle.