Pour mieux séduire les entreprises, l'épargne salariale investit le digital

Pour mieux séduire les entreprises, l'épargne salariale investit le digital Pour démocratiser ce placement, les banques et fintech multiplient les contacts à la fois avec les entreprises et les salariés bénéficiaires.

L'épargne salariale permet de placer ses primes de participation et/ou d'intéressement. Elle a surtout deux grands avantages : la somme est directement versée par l'entreprise, et incite donc à se constituer une épargne, et elle n'est pas soumise à l'impôt sur le revenu du bénéficiaire sauf en cas d'encaissement avant cinq ans. Fin juin 2019, les encours des plans d'épargne salariale, à savoir le plan d'épargne d'entreprise (PEE) et le plan d'épargne pour la retraite collectif (PERCO), ont atteint près de 140 milliards d'euros en France, d'après l'Association française de la gestion financière (AGF). Plus de 320 000 sociétés totalisant 10 millions de salariés bénéficient de ces dispositifs. C'est encore peu sachant que l'Hexagone compte près de 2,8 millions d'entreprises.

"En France, l'épargne financière est un sujet dont la maturité et la compréhension sont moindres que dans d'autres pays. Cela nous oblige à travailler sans cesse sur la pédagogie, avec nos clients corporate comme avec les salariés bénéficiaires", explique Frédéric Lenoir, directeur de l'expérience client chez Natixis Interépargne, un des leaders de l'épargne salariale en France avec 75 000 entreprises clientes, représentant 3 millions d'épargnants, et 30 milliards d'euros d'encours fin 2019.

"La quasi-totalité des épargnants se rend sur le site et l'application de Natixis Interépargne"

Pour mieux faire connaître ce placement, la filiale du groupe BPCE a d'abord revu toutes ses interfaces web pour les rendre aussi claires que celles des comptes courants pour particuliers et a créé une application dédiée. Résultat : les salariés se connectent en moyenne à leur compte six fois par an, contre une fois il y a trois ans. "La quasi-totalité des épargnants se rend sur le site et l'application. Ils se connectent pour placer leur argent, voir comment évolue leur placement, piloter leur épargne… En 2017, c'était encore beaucoup de papier et téléphone", indique Frédéric Lenoir. Environ 100 000 épargnants se rendent exclusivement sur l'application, et la consultent en moyenne 34 fois par an. Autre leader du secteur, Amundi a également fluidifié ses parcours digitaux. Contactée, la société de gestion d'actifs n'a pas souhaité répondre à notre demande d'interview.

"A part ces deux acteurs qui ont développé des interfaces correctes, la plupart des entreprises du domaine proposent des sites à l'image de ce qui se faisait dans les années 2000", observe Benjamin Pedrini, cofondateur d'Epsor. Lancée en 2018, cette jeune fintech s'est spécialisée sur l'épargne salariale pour les petites et moyennes entreprises. Son expérience fluide et ses profils de risque décalés ("aventurier", "zen"…) sont assortis d'un accompagnement tout au long de l'année à la fois côté bénéficiaire et entreprises. "Si une entreprise cliente ne nous contacte pas, on la sollicitera  simplement tous les deux mois pour la tenir au courant de l'actualité réglementaire. On organise aussi des événements pour les DRH", précise Julien Niquet, autre cofondateur d'Epsor. "Nous fournissons également un état des lieux de l'épargne, donnons des informations tout au long de l'année pour maintenir le contact avec le collaborateur. L'idée n'est pas qu'il consulte son compte tous les jours mais au moins une fois par mois."

Une aide à la décision très recherchée

Une belle interface ne suffit pas. Sans assistance, les épargnants sont rapidement perdus face à la complexité des fonds proposés pour placer leurs primes. Le robo-advisor Yomoni, qui a lancé une offre d'épargne salariale fin 2018, apporte cette couche nécessaire de conseil. "Les salariés peuvent avoir en ligne un coach financier et peuvent changer de profil à tout moment", indique Charlotte Thameur, en charge de l'offre en question. Aujourd'hui, la start-up revendique 150 clients sur ce terrain, dont 75% est issu de son service de conseil d'origine (ses clients étant quasi-exclusivement des chefs d'entreprise). En revanche, elle ne communique pas le montant de la collecte de fonds correspondante, pourtant véritable indicateur du secteur.

En 2019, Epsor a collecté 100 millions d'euros

Natixis Interépargne a de con côté noué un partenariat avec le robo-advisor BtoB Fundvisory afin de mettre en place un service d'allocation des fonds. Il  est actuellement en phase pilote avec quelques entreprises. "Avant, le robo-advisor était un service réservé chez nous aux clients de la gestion privée. Grâce à ce partenariat, nous comptons le proposer  gratuitement à nos clients de l'épargne salariale", confie Frédéric Lenoir. La filiale de BPCE vient tout juste de lancer agrégateur pour permettre aux épargnants de visualiser l'ensemble de leur épargne salariale et retraite.

La start-up Filib', lancée fin 2018, propose quant à elle une plateforme qui met en relation les bénéficiaires d'épargne salariale avec un coach financier indépendant qu'elle forme elle-même. Chaque salarié peut obtenir un rendez-vous en visioconférence de 30 minutes maximum avec un des 25 coachs sélectionnés par la plateforme. Aujourd'hui, une dizaine d'entreprises, représentant quelque 5 000 bénéficiaires, ont opté pour Filib'. Un positionnement qui coûte forcément cher. Filib' facture aux entreprises entre 15 et 20 euros par salarié et par an. Une somme qui vient s'ajouter aux frais de gestion souvent élevés que prélèvent la banque (2,5-3% par an). "Nous pratiquons un prix raisonnable, et le service est apprécié et fidélisant", assure Sébastien Forêt, patron de Filib. 

Des tarifs plus ou moins élevés

Les frais d'entrée et de gestion sont moins élevés chez Epsor tout comme chez Yomoni. Ce dernier facture par exemple des frais de gestion compris entre 0,7% et 1,5% et aucun frais d'entrée ni de sortie. "Nous pouvons pratiquer des prix bas car notre matière première est l'ETF (exchange traded-fund, un fonds indiciel, ndlr). Nous sommes d'ailleurs les seuls à y recourir", souligne Charlotte Thameur. Face à ce positionnement tarifaire, Natixis Interépargne se défend. "Le digital est un investissement pour nous. Mais nous proposons ce nouveau canal sans coût supplémentaire pour l'épargnant", rappelle Frédéric Lenoir, qui ajoute que ces services sont disponibles en huit langues. Ce que les fintech ne sont pas capables de faire.

Epsor a coupé la poire en deux et s'est associé à Société Générale qui assure la tenue de compte. "Il faut minimum 4 millions d'euros libérés et lockés pour décrocher l'agrément de teneur de compte. Ce sont beaucoup de contraintes opérationnelles. Du coup, la rentabilité n'est pas forcément évidente", explique Benjamin Pedrini. "Avoir Société Générale avec nous est un gage de confiance, surtout pour les grandes entreprises. Même si on était teneur de compte, on est encore une start-up. Les entreprises ne savent pas si on va perdurer ou disparaître", nuance Julien Niquet. Pour Société Générale, ce partenariat est un booster de revenus. "Il fait grandir notre fonds de commerce", confirme Lucile Dhenin, responsable tenue de compte épargne salariale pour la banque. Mais parfois, les deux parties se retrouvent en concurrence, de l'aveu même de Société Générale. Surtout qu'Epsor commence à s'attaquer à de plus grandes entreprises, synonymes de grandes collectes. Elle a récemment passé un appel d'offres pour une entreprise de 40 000 personnes. Une première. "Aller chercher des gros poissons n'est pas facile car on passe beaucoup de temps sur un deal, mais ça peut rapporter beaucoup", se réjouit Benjamin Pedrini. En 2019, la fintech a collecté 100 millions d'euros auprès de 200 entreprises et vise 500 millions d'euros de fonds en 2020 et le milliard en 2021.