Nicolas Dufourcq (Bpifrance) "Depuis début mars, Bpifrance a réalisé 52 investissements dans des start-up"

Le JDN poursuit ses interviews de dirigeants face au coronavirus. Le directeur général de la banque publique d'investissement nous fait part de son optimisme pour la tech française.

JDN. A ce jour, près de 500 000 entreprises ont bénéficié de PGE pour un montant total de 85 milliards d'euros. Combien de start-up en ont bénéficié et pour quel montant ?

Nicolas Dufourcq, directeur général de Bpifrance. © Bpifrance

Nicolas Dufourcq. Plus de 5 000 entreprises innovantes de moins de 15 ans ont bénéficié de 3 milliards d'euros de PGE Innovation à ce jour. Ce n'est pas terminé puisque les PGE sont disponibles jusqu'à la fin de l'année.  

Parmi les conditions d'octroi du PGE, il est indiqué que les entreprises qui ne respecteraient pas leurs obligations en termes de délais de paiement,n'auront pas accès à cette garantie de l'Etat. Comment vérifier qu'elles jouent bien le jeu ?

On ne peut pas totalement le garantir. Nous avons demandé à ceux qui bénéficient du PGE de s'engager sur l'honneur. Le conseil que je peux donner aux start-up qui se trouveraient confrontées à ce problème est de joindre le médiateur du crédit, qui fonctionne très bien.

Quelles autres instruments avez-vous mis en place ? 

Depuis le début de l'année, Bpifrance a déployé 800 millions d'euros d'aide à l'innovation auprès de 3 000 entreprises, dont 600 millions depuis mi-mars. Les prêts spécifiques du plan Covid-19, les prêts de soutien à l'innovation et les prêts directs de Bpifrance, ont été octroyés à 673 entreprises pour un total d'environ 300 millions d'euros. Les subventions accordées dans le cadre du  PIA (programme d'investissements d'avenir, ndlr) ont profité à 102 entreprises. Le French Tech bridge (instrument qui  vise à financer des "equity bridges" entre deux levées de fonds, ndlr) a financé 120 dossiers pour un montant total de 125 millions d'euros. L'enveloppe a été relevée de 80 à 160 millions. En tout, depuis le début de l'année, nous avons débloqué 4 milliards d'euros, c'est colossal. Surtout quand on compare aux 5 milliards levés par les start-up en 2019.

Vous avez annoncé récemment un nouveau fonds de 500 millions d'euros. A quoi servira-t-il ?

"En tout, depuis le début de l'année, nous avons débloqué 4 milliards d'euros, c'est colossal"

A mobiliser du capital dans les cas où nous devons investir de gros tickets pour garder nos licornes françaises et éviter de se faire intercepter. Nous voulons que nos belles licornes restent françaises ou européennes. Beaucoup de biotech et de medtech ont été vendues ces dernières années à des grands groupes industriels, en particulier américains. Est-ce que ça va s'améliorer ? Peut-être un peu. S'aggraver ? Je ne crois pas. 

Depuis le début de la crise, certains fonds de capital-risque reviennent sur des signatures de levées de fonds, d'autres tentent d'avoir des ristournes sur des valorisations… Quelle a été votre réaction ?   

Nous avons constaté que beaucoup de fonds gardaient leur sang-froid en maintenant leurs souscriptions et qu'une minorité se retirait. Nous avons fait passer le message que le rôle des fonds est de tenir collectivement l'écosystème et pas de revenir sur des engagements pris. Pour notre part, nous avons augmenté certains tickets que nous avions prévus d'injecter dans le futur pour pallier les retraits de certains fonds. 

Bpifrance investit elle-même dans des fonds. Allez-vous stopper vos futurs investissements auprès des "mauvais élèves" ?

Non, nous ne pratiquons pas la culture du name and shame. Et au final, l'écosystème de la tech a bien tenu en France.  

Allez-vous poursuivre vos investissements en direct dans les start-up au même rythme que prévu en 2020 ?

"En fonds de fonds, nous avons investi 200 millions pendant le confinement"

S'il y a une chose que nous devons faire c'est accélérer. Le marché en a besoin et pour les investisseurs, le millésime 2020 sera excellent. C'est au contraire le moment d'investir et nous serons toujours là pour ça. Depuis le début du mois de mars, nous avons réalisé 52 investissements, dont 34 refinancements. Nous sommes donc beaucoup venus au secours de nos participations. Nous ne sommes pas un guichet, nous prenons nos décisions toujours au cas par cas. Pour que les start-up tiennent tranquillement la période, et qu'elles profitent des opportunités post covid, et accessoirement qu'elles restent indépendantes. A noter aussi qu'en fonds de fonds, nous avons investi 200 millions pendant le confinement. 

Pour les grosses start-up, il va falloir mettre des tickets de l'ordre de 100 millions. Ce qui passe par des fonds étrangers. Ce n'est pas un problème nouveau, ça ne va pas être encore plus difficile de les attirer ?

Je ne pense pas car grâce au plan Tibi (5 milliards d'euros pour les scale-up dans les trois prochaines années, ndlr) et à notre fonds Large Venture, il y a pas mal de poudre sèche en France. Si les fonds français se comportent bien, cela devrait aller. De plus, le nombre de méga deals supérieurs à 100 millions d'euros continuent de progresser. Il y en a déjà eu 8 en 2020 contre 6 en 2019.

Vous semblez très optimiste pour les start-up françaises...

Je le suis. Il y a beaucoup d'argent à Paris et beaucoup d'équipes de capital-risque 100% engagées. Et les start-up s'en aperçoivent. Il n'y a pas eu de mouvement de panique de start-up. Certes, nous avons connu une période d'inquiétude et de sidération puis ça s'est calmé. Depuis, je n'ai plus reçu un mail de start-up qui s'est plainte d'être lâchée en rase campagne. 

Nicolas Dufourcq est directeur général de Bpifrance depuis février 2013. Il a débuté sa carrière au ministère de l'Economie et des Finances puis a rejoint le ministère de la Santé et des Affaires Sociales en 1992. En 1994, il passe chez France Telecom, où il crée la division multimédia, avant de présider Wanadoo. En 2003, il entre chez Capgemini, où il dirige dans un premier temps la région de l'Europe Centrale & l'Europe du Sud, puis est nommé directeur financier du groupe. En 2005, il devient directeur général adjoint chargé des finances, de la gestion des risques, des systèmes d'information, du delivery et des achats et, à partir de 2007, du suivi de grands comptes du groupe. Nicolas Dufourcq est également administrateur d'Orange, et président non-exécutif du conseil de surveillance de STMicroelectronics.

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