Concurrence : la guerre est ouverte contre Apple Pay

Concurrence : la guerre est ouverte contre Apple Pay La solution de paiement mobile du géant américain est accusée de pratiques anti-concurrentielles en Europe. Une proposition de loi a même été déposée en France.

Une enquête par ci, une enquête par là. Les Gafa sont de plus en plus attaqués par les régulateurs à travers le monde et Apple ne fait pas exception. En juin 2020, la Commission européenne a annoncé le lancement de deux enquêtes pour les pratiques anti-concurrentielles de la firme à la pomme. La première concerne l'App Store et la seconde Apple Pay. En décembre dernier, c'est au tour de l'autorité de la concurrence des Pays-Bas de viser la solution de paiement mobile d'Apple, sans vraiment la nommer. De son côté, le patron de la banque centrale australienne a déclaré le même mois que l'approche d'Apple dans les paiements "soulevait des problèmes de concurrence". Mais quels sont les fondements de ces attaques ? La Commission dénonce notamment "les modalités, conditions et autres mesures imposées par Apple pour l'intégration d'Apple Pay dans les applications commerciales et les sites web commerciaux sur les iPhones et les iPads", est-il précisé dans un communiqué.

"Une fois que vous avez un iPhone, Apple Pay est clairement en monopole"

Concrètement, Apple empêche ses concurrents d'utiliser sa technologie NFC, qui permet de réaliser des paiements sans contact. Les utilisateurs français d'iPhone peuvent par exemple installer d'autres wallets comme Paylib et Lyf Pay mais ne peuvent pas utiliser la fonctionnalité de paiement sans contact en magasin, aussi appelée "tap and go". Les concurrents directs d'Apple Pay, que sont Google Pay et Samsung Pay, ne sont, quant à eux, même pas disponibles sur l'App store. "Une fois que vous avez un iPhone, Apple Pay est clairement en monopole. Pour utiliser un autre wallet, vous n'allez tout de même pas acheter un autre smartphone", s'agace le patron d'une application de paiement française.

Avoir le choix  

Fin 2020, le député LREM Pierre-Alain Raphan a déposé une proposition de loi (PLL) visant à réguler le paiement mobile sans contact en France. Un sujet technique mais aussi géopolitique, d'après son auteur. "Nous pouvons agir sur le sujet du paiement sans contact, préempté principalement par Apple Pay. Il y a un transfert de valeur qui s'échappe du territoire européen", explique le député au JDN. Début 2021, Donald Trump a de con côté signé un décret qui doit interdire toute transactions avec huit applications de paiement chinoises, dont les stars Alipay et WaChatPay. En plus de l'argument de "sécurité nationale", évoqué par le président américain, il est question de souveraineté puisqu'on parle d'une donnée sensible et qui vaut de l'or : la donnée de paiement.

Le député français a opté pour une issue bien moins radicale que celle de Trump. Dans les grandes lignes, la proposition de loi permettrait au consommateur de choisir la solution de paiement mobile qu'il désire, peu importe l'appareil utilisé. "Le but n'est pas de faire de l'anti-Gafa par principe mais d'avoir le choix dans les outils qu'on utilise", explique le député. "Quand je veux payer, je dois pouvoir choisir mon opérateur de paiement sans contact. Il existe plusieurs acteurs en France et en Europe", ajoute-t-il. Un des articles de ce texte stipule ainsi que "le terminal mobile ne contient, lors de sa première vente au consommateur, aucune application de paiement préinstallée liée au groupe du fournisseur de système d'exploitation". Comprendre, pas de pré-installation d'Apple Pay dans l'iPhone, comme c'est le cas aujourd'hui. Et rendre l'accès à n'importe quel wallet.

"Le but n'est pas de faire de l'anti-Gafa par principe mais d'avoir le choix dans les outils qu'on utilise"

Un autre article de la PLL propose qu'un "fournisseur de système d'exploitation n'est pas soumis à l'obligation d'accès s'il établit que ce système compte moins de deux millions d'utilisateurs enregistrés dans le marché intérieur de l'Espace Economique Européen au cours du dernier exercice financier". Si Apple Pay prouve qu'il a moins de 2 millions d'utilisateurs sur le Vieux Continent, alors il ne serait pas concerné. "L'idée est de mettre carte sur table. Comme on veut jouer avec les mêmes règles du jeu, cela forcerait les Gafa être transparents", souligne Pierre-Alain Raphan. Or, Apple Pay n'a jamais communiqué sur le nombre d'utilisateurs, que ce soit en Europe ou dans le monde. Seules des estimations sont publiées par des analystes.

Cette demande de transparence fait écho aux projets de règlements européens, Digital Services Act (DSA) et Digital Markets Act (DMA), présentés en décembre 2020, qui visent à mettre en œuvre un nouveau cadre réglementaire qui garantirait la concurrence dans le marché du numérique. Alors, à quoi bon, proposer une loi française si le sujet est européen ? "On a commencé à discuter de ces sujets-là il y a environ 9 mois, nous n'avions pas le DSA en tête", confie Pierre-Alain Raphan. "Nous aimerions profiter de la transcription en droit français du DSA pour appliquer toutes ces dispositions", complète-t-il. Tout dépend des calendriers de chaque institution. La Commission espère adopter ces textes en 2022 mais l'agenda français pourrait le devancer. "Si je sens que dans le trimestre, il n'y a pas les garanties nécessaires au niveau européen, on profitera d'une niche parlementaire dans le semestre. Même s'il y a beaucoup de propositions internes à LREM, la mienne est aboutie et adoubée par les acteurs. Il n'y a pas de risque politique et cela va dans le sens de l'histoire", confie le député.

Apple Pay, le meilleur ?

De son côté, Apple a déjà une liste d'arguments contre ces accusations. Lors d'une table ronde organisée à Bruxelles en décembre dernier, la responsable d'Apple Pay, Jennifer Bailey a notamment affirmé qu'Apple Pay faisait jouer la concurrence au sein du secteur bancaire en acceptant les wallets des banques. Surtout, elle a minimisé la place d'Apple Pay sur le marché européen en indiquant que la part de marché des smartphones d'Android s'élevait à 70%. Et que par conséquent Apple n'est pas en situation de monopole. Cet argument est le même utilisé pour défendre le modèle de l'App Store, qui prélève une commission (très contestée) de 30%. Cette commission a d'ailleurs été abaissée à 15% pour les petits développeurs, en novembre dernier. "Vont-ils faire la même chose que pour l'Appstore pour s'acheter la paix du marché ?" s'interroge Julien Maldonato, associé industrie financière chez Deloitte.

Même si un geste commercial est accordé ou que le consommateur a le choix d'utiliser le wallet, qu'il souhaite, Apple Pay ne risque pas d'être pénalisé pour autant. "Imaginons qu'il y ait plusieurs portefeuilles dans un iPhone, ils seront forcément moins natifs, moins imbriqués, ce qui a une répercussion sur l'expérience client. Elle ne sera jamais aussi bonne que celle d'Apple Pay", estime Julien Maldonato. "Depuis le début, la force d'Apple est son système fermé, tout est très intégré, du hardware au software. Comment offrir à l'utilisateur final une alternative aussi intégrée en Europe sans qu'on ait de constructeur de téléphone ?", poursuit-il.

En décembre dernier, Jennifer Bailey déclarait que les paiements sans contact sont passés d'une "commodité à une affaire de santé publique". La santé, justement, qui est à l'agenda du monde entier.