Accès aux comptes bancaires : les sociétés crypto toujours dans l'impasse

Accès aux comptes bancaires : les sociétés crypto toujours dans l'impasse Les discussions menées depuis plusieurs mois entre le secteur bancaire et celui des cryptos sont au point mort. La Fédération française bancaire vient de se désolidariser d'un rapport.

Deux salles, deux ambiances. Alors que Goldman Sachs s'apprête à proposer à ses clients fortunés d'investir dans le bitcoin et d'autres cryptomonnaies, les banques françaises, elles, restent très frileuses sur le sujet des cryptos en général. Dernier exemple en date avec l'accès aux comptes bancaires des prestataires de services d'actifs numériques (PSAN), qui a fait l'objet d'un groupe de travail initié par l'ACPR (Autorité de contrôle prudentiel et de résolution) en juin 2020. Cette task force, qui rassemble des membres de l'ACPR, des banques françaises, la Fédération bancaire française (FBF) et des représentants du secteur des crypto-actifs, vient de publier un compte-rendu qui n'est finalement pas soutenu par toutes les parties prenantes. La FBF a indiqué dans une annexe (en dernière page) se désolidariser de ce rapport. "Même si le compte rendu des travaux n'a pas de valeur juridique contraignante, la FBF et les banques participantes aux travaux ne peuvent, toutefois, s'associer au compte rendu des discussions qui se sont tenues dans ce cadre", est-il écrit.

"Cette note vient du coup atténuer très fortement la portée de ce rapport"

 

Une décision qui désole les représentants des acteurs français de la crypto. "Nous étions plutôt enthousiastes sur les conclusions du rapport. L'ACPR a rédigé une première version puis a collecté les feedbacks de chacun, puis une deuxième version avant de proposer une version finale validée par consensus avec des pistes de recherche et des collaborations identifiées. On trouvait que c'était plutôt équilibré", se rappelle Simon Polrot, président de l'Association de développement des actifs numériques (Adan). "Cette note est arrivée assez tardivement et sans que nous ayons de possibilité de répondre ou de relancer les discussions pour arriver à des positions communes. Cela vient du coup atténuer très fortement la portée de ce rapport", ajoute-t-il. 

La France, un pays déjà très réglementé

Ce qui désole encore plus l'association c'est la série de justifications apportée par la FBF. "Les constats ne prennent pas en compte l'historique de l'évolution de l'encadrement des prestataires de services en actifs numériques, et notamment l'ordonnance n°2020-1544 du 9 décembre 2020, ni le fait que cet encadrement ne soit pas encore abouti tant sur le plan national, qu'au niveau européen et au niveau international", est-il écrit dans l'annexe. L'ordonnance évoquée vient renforcer la réglementation des PSAN (issue de la loi Pacte) dans le cadre de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LCB-FT) puisqu'elle étend l'enregistrement obligatoire du régime PSAN aux prestataires qui font de l'échange de crypto à crypto et aux plateformes de négociations d'actifs numériques (avant seules les plateforme d'échange euro-crypto et les services de conservation de crypto étaient concernés). "Nous avons un des régimes les plus durs au monde en matière de réglementation des prestataires de cryptoactifs", estime Simon Polrot.

En revanche, les acteurs qui n'ont pas le statut de PSAN ne sont pas soumis aux mêmes exigences, ce qui peut effectivement inquiéter le secteur bancaire. "Je comprends que ça peut faire peur à une petite agence bancaire de bancariser une boîte dans la crypto mais un escroc ne demandera pas le régime PSAN", fait remarquer William O'Rorke, avocat spécialisé dans crypto et la blockchain. Cette distinction entre les acteurs enregistrés et non enregistrés a également été évoquée lors des réunions du groupe de travail, comme le montre le compte-rendu. "Nous avons aussi donné des recommandations pour ceux qui ne sont pas PSAN mais qui touchent aux actifs numériques. Malheureusement, cela n'a pas été suffisant au vu du résultat que nous constatons", regrette Simon Polrot. Contactée sur plusieurs points, la FBF a indiqué au JDN que "la profession bancaire ne souhaite pas s'engager dans ce domaine, alors que le cadre actuel est incomplet."

"Nous avons un des régimes les plus durs au monde en matière de réglementation des prestataires de cryptoactifs"

La FBF estime également que l'écosystème des PSAN a une maturité "inégale en fonction des acteurs" en termes d'appréhension des risques de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme. Mais pour avoir le graal PSAN, les entreprises doivent appliquer les règles de LCB-FT, qui sont vérifiées et validées par l'ACPR elle-même. La FBF explique attendre des lignes directrices de l'ACPR sur ce sujet. Une attente partagée (cette fois) par l'écosystème français crypto. "Chaque cabinet essaie de construire une doctrine avec le régulateur mais ce n'est pas satisfaisant", souligne William O'Rorke. L'ACPR va-t-elle rédiger des lignes directrices ? Contactée par le JDN, elle n'a pas souhaité faire de commentaires. Notons que le régulateur est déjà bien occupé par le traitement des dossiers PSAN, qui a mis à l'arrêt de nombreuses entreprises du secteur

Le Gafi, Groupe d'action financière, un organisme intergouvernemental de lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme, a de son côté publié des lignes directrices dont les dernières datent de juin 2019 et qui sont mises à jour régulièrement (une consultation vient d'ailleurs d'être lancée). "La France est justement l'un des rares pays à respecter au mieux les recommandations du Gafi", souligne Simon Polrot. "Si un pays n'a pas de droit national en la matière, il peut se référer au Gafi. Mais la France a une réglementation et une des lois LC-BFT les plus dures au monde dans la crypto", renchérit William O'Rorke. A noter que la France est actuellement auditée par le Gafi sur ce sujet.  

Un droit au compte renforcé dans la théorie

Les PSAN ont donc peu de chances de pouvoir ouvrir un compte bancaire demain, alors même que leur enregistrement devait faciliter leurs démarches. "S'il y avait une volonté du régulateur, les textes seraient appliqués", fait valoir Pierre Person, député spécialisé sur les sujets crypto. Quant aux acteurs non enregistrés, l'espoir est encore plus éloigné. "Les banques françaises ont fait une croix sur la crypto. Quand une entreprise travaille dans ce secteur, les banques refusent de lui ouvrir un compte en banque. Le fait qu'elle soit PSAN ne change rien pour eux", se désole William O'Rorke qui admet tout de même que le secteur soit à risque.

La majorité des entreprises crypto ont essuyé plusieurs voire une dizaine de refus d'ouverture de compte. La loi Pacte avait pourtant instauré un droit au compte renforcé (uniquement pour les détenteurs du régime PSAN). Mais pour le faire, il faut s'accrocher. "La procédure dure six mois. Et la banque peut faire traîner le dossier. C'est donc inapplicable en pratique", lâche William O'Rorke.

D'après l'Adan, aucune entreprise n'a encore eu recours à ce procédé. "Mais cela va peut-être arriver. Un PSAN s'est vu clôturer son compte quand il a reçu son enregistrement", indique Simon Polrot. L'association ne compte, elle, pas clôturer le chapitre de l'accès aux comptes bancaires des PSAN. "On espère reprendre contact a minima avec les banques pour faire progresser les travaux. On pense toujours que les banques ont tout intérêt à se pencher sur le sujet, surtout quand on voit l'avance prise par les Etats-Unis", souligne Simon Polrot. Deux pays, deux ambiances.