Le bitcoin va-t-il avoir la peau de la planète ?

Le bitcoin va-t-il avoir la peau de la planète ? Si beaucoup louent la révolution bitcoin, d'autres pointent du doigt son impact environnemental. Mais qu'en est-il réellement ?

Le 12 mai dernier, Elon Musk relançait le débat sur l'impact environnemental du bitcoin. A peine un mois et demi après avoir accepté la cryptomonnaie comme moyen de paiement d'une Tesla aux Etats-Unis, l'entrepreneur revenait sur cette décision pour des raisons, selon lui, écologiques. Bien-sûr, le timing de cette annonce et son contenu ont de quoi surprendre. Elon Musk n'a pas découvert le minage du bitcoin en mai 2021. Il fait néanmoins ressurgir l'un des principaux arguments des anti-bitcoin, à savoir sa consommation énergétique et l'impact environnemental engendré par le minage. Un débat partisan où chaque partie estime détenir la vérité absolue.

C'est en 2017, après son premier bull run, faisant passer le bitcoin à 20 000 dollars, que le grand public commence à se fasciner pour ce placement d'un nouveau genre… et à s'inquiéter de son impact gouvernemental. Problème numéro un : le minage et la preuve de travail (PoW pour proof-of-work), c'est-à-dire la façon dont les bitcoins sont créés, les transactions vérifiées et validées. Avec au programme des ordinateurs surpuissants dans une forêt de fils électriques et un système de refroidissement pour éviter que ce que l'on appelle une ferme de minage ne se transforme en four. Autrement dit, une source de consommation électrique.

"Plus le cours du bitcoin augmente, plus les mineurs sont prêts à acheter de l'électricité pour miner"

Mais quelle est la consommation électrique réelle du minage ? Selon Jean-Paul Delahaye, professeur émérite à l'université de Lille et mathématicien, "on connait avec une assez bonne précision la puissance cumulée". La principale source est le Bitcoin Energy Consumption Index du site Digiconomist. On y découvre qu'une simple transaction en bitcoin consommerait environ 750 kg de CO², ce chiffre évoluant régulièrement. A titre de comparaison, cela équivaudrait à plus de 1,5 million de transactions du réseau Visa, plus de 120 000 heures de visionnage Youtube et 52 jours de consommation électrique d'un ménage américain.

Le calcul annualisé nous donne une consommation de plus de 60 mégatonnes (mt) de CO² et de 125 térawatt-heure (TWh) d'électricité. Sans effectuer une analyse approfondie, un simple regard sur ces chiffres peut donner le tournis. Oui, miner du bitcoin engendre une importante consommation d'énergie brute et, si le consensus PoW est le plus sécurisé de la blockchain, il n'en reste pas moins le plus énergivore. A titre de comparaison, Jean-Paul Delahaye explique que "le bitcoin dépense plus que 5 réacteurs nucléaires, et plus que toutes les éoliennes de France".

Pourquoi la preuve de travail consomme autant ?

Ces chiffres vertigineux s'expliquent par l'essence même du PoW. Une compétition où le premier arrivé empoche la mise, rémunérée en bitcoins. Et comme cette compétition consiste à résoudre un problème mathématique, plus la machine est puissante, plus cette opération est résolue rapidement. Et qui dit puissance dit consommation. C'est donc bien le consensus PoW qui engendre cette consommation d'énergie et non pas l'émission de nouveaux bitcoins.

Le cours du marché a aussi son influence sur la consommation d'énergie. "Plus le cours du bitcoin augmente, plus les mineurs sont prêts à acheter de l'électricité pour miner" explique Jean-Paul Delahaye. Ce qui accroît automatiquement la consommation. Une logique implacable que rien ne semble pouvoir arrêter ? Pas si sûr, car la réalité de l'impact environnemental du bitcoin serait beaucoup plus nuancée.

Selon Thibaut Boutrou, directeur marketing chez Just Mining, l'entreprise fondée par le célèbre youtubeur Hasheur, "il n'existe aucune étude vraiment poussée et précise sur la consommation d'énergie du minage". Les alarmistes sur la consommation énergétique du bitcoin se fondent notamment sur Digiconomist Fondé en 2014, ce site n'est autre que le blog personnel du néerlandais Alex de Vries. Travaillant dans la banque et la finance, il considère Digiconomist comme un hobby pour parler des tendances technologiques et de leurs impacts sur nos vies futures. En d'autres termes, Alex de Vries n'est pas un professionnel de l'énergie ou de la consommation d'électricité, ni un spécialiste des architectures ASIC utilisées dans le minage.

"40 TWh/an est une évaluation minimum totalement sûre"

Le chiffre de 125 TWh de consommation électrique annuelle pour le PoW du bitcoin se rapproche de celui retenu par l'université de Cambridge. En revanche, il s'éloigne de celui de l'ancien spécialiste de la sécurité chez Google Marc Bevand (14 à 27 TWh, chiffres de janvier 2018) ou de chercheurs de l'université d'Aalborg au Danemark (31 TWh, toujours en 2018). Pour Thibaut Boutrou, une telle divergence peut s'expliquer par le fait qu'il est "très compliqué d'avoir des données précises, les mineurs sont aux quatre coins du monde (et) la plupart sont discrets". Une discrétion confirmée par Youssef El Manssouri, fondateur de Sesterce, site Internet de vente de matériel destiné au minage : "Une grande partie des data centers de mineurs ne sont pas recensés".

De son côté, Jean-Paul Delahaye estime que "40 TWh/an est une évaluation minimale totalement sûre" et que "ceux qui contestent ce résultat ne sont pas sérieux". En outre, selon lui, les chiffres avancés par Digiconomist sont compatibles avec les siens et ceux de l'université de Cambridge.

Pourquoi de tels écarts dans les estimations ?

Alors qui croire ? Jean-Paul Delahaye avance trois raisons pour expliquer ces divergences de chiffres. Le premier, c'est le matériel de minage utilisé. Certaines machines consomment bien plus que d'autres. Pour Youssef El Manssouri, "le matériel est la plus grande source d'erreur. Il y a une telle variance sur les puissances utilisées entre un matériel et un autre qu'il est difficile d'avoir le chiffre exact de la consommation électrique par rapport à la puissance de calcul du réseau". En pratique, Jean-Paul Delahaye et Youssef El Manssouri s'accordent sur le fait que l'Antminer S19 est l'un des mineurs de bitcoin les moins énergivores.

Seconde raison, la prise en compte du refroidissement des systèmes de calcul qui est exclue par certains. Enfin, troisième raison, la prise en compte de l'énergie dépensée à fabriquer et transporter le matériel de minage. Ce dernier élément est aussi avancé par Thibaut Boutrou pour expliquer une partie de ces divergences.

Peut-on réellement mesurer la pollution du minage ?

La pollution, c'est un terme à la définition vaste. Ce qui est certain, c'est que consommation d'énergie n'est pas synonyme d'empreinte carbone exponentielle. Le minage est ainsi accusé d'utiliser en grande majorité le charbon chinois, source d'énergie très bon marché mais polluante s'il en est. Deux études, cette fois-ci l'œuvre de chercheurs, ont montré que cela était en partie faux. La première, c'est celle de Coinshares de décembre 2019 qui estime que le minage fonctionne à 73% avec des énergies renouvelables. La seconde, de l'université de Cambridge, arrive au chiffre de 39% en septembre 2020. Si l'on peut regretter cette différence, on notera qu'au moins 40% de l'énergie utilisée pour le minage du bitcoin est renouvelable. C'est un chiffre important et les mineurs se tournent de plus en plus vers ce type d'énergie. Ainsi, si le minage consomme objectivement beaucoup d'énergie, l'empreinte carbone et l'impact environnemental relatif s'atténuent de jour en jour du fait de l'utilisation d'énergies renouvelables. (Pour compléter cet article, le JDN vous propose de lire Le bitcoin va-t-il sauver la planète ?)