Immaturité, précipitation, surenchère... Comment l'affaire Ledger a montré le pire du Web3

Immaturité, précipitation, surenchère... Comment l'affaire Ledger a montré le pire du Web3 L'affaire Ledger a fait tourner toutes les têtes dans l'écosystème Web3, à commencer par celle de la licorne française. Au-delà de l'erreur manifeste de communication, cette affaire a surtout montré que le Web3 restait un monde totalement immature.

Ledger Recover. Voici le nom du service qui a fait basculer Ledger dans l'ère de la haine en ligne. Et nous pouvons clairement dire que l'entreprise n'avait pas imaginé susciter une telle désapprobation, alors qu'elle souhaitait, au départ, aider certains de ses (futurs) clients.

Ledger n'a pourtant fait que répondre à une problématique connue dans le Web3, à savoir la gestion de la clé privée. Comme vous le savez probablement, la clé privée, c'est le sésame pour authentifier que c'est bien le titulaire du wallet qui signe une transaction. Or, si cette clé est volée ou perdue, vous pouvez perdre à jamais l'accès à vos cryptos ou NFTs.

Ledger a donc imaginé un service pour permettre à certains utilisateurs de ne pas se soucier de la conservation de la clé, pour 9,99 euros par mois, tout en bénéficiant de la sécurité offerte par le wallet personnel. Et patatras ! Beaucoup de personnes se sont offusquées sur Twitter, jusqu'à Changpeng Zhao, PDG de Binance.

Au-delà de l'affaire, les différentes prises de position démontrent que le Web3 est encore et toujours un secteur très immature, où la rumeur fait office de vérité et où jeter le bébé avec l'eau du bain est normal.

L'affaire Ledger, une précipitation et une surenchère propre au Web3

Comment analyser l'affaire Ledger ?

L'affaire Ledger a fait exploser l'écosystème Web3 pendant quelques jours. Elle l'a surtout ridiculisé. La première faute est celle de Ledger. Sur un sujet aussi délicat que la gestion de la clé privée, la communication doit être travaillée en amont, surtout par une entreprise ayant un vécu comme Ledger.

En 2020, la licorne française avait en effet déjà subi un bad buzz en raison d'une fuite de données. Une bonne partie de sa base clients a fini entre les mains de hackers. Or, la communication de Ledger avait été assez mauvaise, pour ne pas dire plus, en minimisant l'impact de cette violation de données.

Beaucoup n'ont pas oublié ce piratage. Or, quand Ledger annonce un service comme Ledger Recover, la communication est essentielle. Là encore, Ledger a tout raté et a lancé son service via un communiqué, sans informer qui que ce soit en amont. Il aurait fallu une communication plus longue, par étapes et plus claire pour rassurer la communauté.

Il est certain qu'avec une communication mieux travaillée, Ledger n'aurait pas subi ce nouveau bad buzz et n'aurait pas eu à retarder le lancement de son service. L'entreprise a en effet dû renoncer à Ledger Recover pour mieux le relancer plus tard.

Une surenchère sans précédent au détriment d'un leader du secteur

Nous aurions pu nous limiter à la mauvaise communication de Ledger. Cependant, le Web3 ne sait pas s'arrêter en si bon chemin. Sans même avoir compris la technique derrière Ledger Recover, beaucoup de twittos ont détruit Ledger, certains d'entre eux étant plus importants que les autres. Ainsi, Changpeng Zhao, PDG de Binance, y allait de son tweet contre Ledger.

Malheureusement, quand l'information n'est pas claire, on peut vite aller à la surenchère. Tout d'abord, pour éviter de penser que Ledger et les entreprises tierces impliquées peuvent accéder à la phrase de récupération (seed phrase, la fameuse clé privée), il faut bien l'expliquer en amont et certains se sont engouffrés dans la brèche pour répandre cette fausse rumeur d'accès.

Ensuite, concernant la vérification d'identité, il était important d'expliquer que cela ne concernait que le service Ledger Recover et que ce n'est pas Ledger qui l'effectuait. Or, au lieu de voir des utilisateurs mettre en avant le bon sens, c'est la surenchère vers une possibilité de toujours rattacher l'identité d'une personne à celle d'un wallet qui a pullulé sur les réseaux.

Le bon sens a alors perdu et Ledger s'est retrouvé acculé face à des rumeurs qu'il ne parvenait plus à démentir. D'abord par sa faute, ensuite à cause d'une communauté trop bruyante, appelée degens.

L'immaturité, une caractéristique dont le Web3 aimerait se passer

Les degens, une minorité bruyante de la communauté Web3

Non, il n'est pas certain que l'ensemble des tweets anti Ledger soient l'œuvre de degens. Cependant, ils en comportent la signature. Généralement, un degen est vu comme une personne qui va investir plus ou moins n'importe où, sans faire de recherche en amont sur le projet crypto en question. Toutefois, cela peut aussi être vu comme un individu caractéristique de l'écosystème Web3 : un pseudonyme, un vrai fan de NFT (souvent un NFT en photo de profil), très présent sur les channels Telegram ou Discord de tel ou tel projet.

Or, certains de ses degens sont très bruyants. Ils crient beaucoup au loup, parfois pour pas grand-chose. Un peu comme dans les projets dans lesquelles ils investissent, ils ne font aucune recherche en cas de rumeurs préjudiciables pour un protocole ou une entreprise du secteur. Résultat, la rumeur se répand de manière exponentielle et rien ne peut l'arrêter. Dans le Web3, un projet peut clairement disparaître à cause de rumeurs sans fondement, mais partagées par les degens.

Fort heureusement pour Ledger, l'entreprise a déjà une certaine aura et ancienneté. Elle a survécu à la fuite de données, qui était objectivement plus grave. Certaines voix du secteur, plus réfléchies, sont venues au secours de Ledger, sans pour autant remettre en cause l'erreur initiale de communication.

Une immaturité qui éloigne le grand public du Web3

Le service Ledger Recover était facultatif. Il ne touchait donc pas ceux qui souhaitent conserver eux-mêmes leur phrase de récupération. En outre, si l'on faisait déjà confiance dans la sécurité de Ledger, cette fonctionnalité ne changeait rien. Pourtant, l'écosystème a encore une fois plongé dans le ridicule et c'était du pain béni pour ses détracteurs.

D'aucuns accusent le Web3 d'être un casino ingérable et qu'il est donc indigne de confiance. Pourtant, de nombreuses personnes influentes font tout pour que le Web3 soit vu comme quelque chose de sérieux et qu'il offre de réelles opportunités pour le grand public, bien au-delà de la spéculation qu'on lui prête.

Dans une affaire comme celle de Ledger, il aurait été très important d'analyser le produit avant de détruire une entreprise dont la réussite est plus qu'indispensable à la démocratisation du secteur. D'autant plus que ce service pourrait être réellement utile pour les personnes qui ne veulent pas conserver leur clé privée. Mais l'immaturité a prévalu. Ce n'est malheureusement pas la première fois et loin d'être la dernière.

Pour que le Web3 soit vu comme un secteur d'envergure, ce type de bisbilles inutiles doit cesser. Il en va de son avenir.