La nomination de David Sacks confirme la ligne techno-libertarienne de l'administration Trump 2.0
Peu connu en France, David Sacks est une figure familière du paysage médiatique aux Etats-Unis, du moins pour ceux qui s'intéressent aux nouvelles technologies. Son podcast "All-in", lancé durant la pandémie, où il parle innovation, mais aussi économie, liberté d'expression et politique étrangère, compte des millions d'auditeurs. Il est régulièrement invité dans les media et ses prises de position sur X sont souvent commentées dans la presse.
Cet entrepreneur à succès de la Silicon Valley, originaire d'Afrique du Sud, proche d'Elon Musk et de Peter Thiel, est l'une des grandes figures du mouvement techno-libertarien, peu nombreux et encore confidentiel il y a quelques années, mais qui jouit désormais d'une large exposition médiatique, doublée d'une grande influence avec le retour au pouvoir de Donald Trump. En tant que "tsar de l'IA et des cryptos", David Sacks va jouer un rôle important dans la régulation de ces deux technologies de pointe aux Etats-Unis.
Un conservateur proche de Peter Thiel
Tout comme Musk et Thiel, David Sacks est membre de la "PayPal Mafia", le cercle des fondateurs de PayPal qui se sont enrichis lors du rachat de la jeune pousse par eBay, avant de faire une brillante carrière en tant qu'entrepreneurs et investisseurs dans la Silicon Valley. Dans un écosystème qui, jusqu'à très récemment, penchait encore quasi unanimement à gauche, David Sacks n'a jamais caché ses idées conservatrices. Dès 1995, il cosigne The Diversity Myth: Multiculturalism and the Politics of Intolerance at Stanford, avec son compère Peter Thiel, rencontré au sein de la prestigieuse université californienne. Les deux auteurs y attaquent la culture du politiquement correct qui empoisonne selon eux l'université américaine. En 2012, il fait partie des donateurs à la campagne de Mitt Romney, le candidat républicain qui s'inclinera face à Barack Obama.
Le 6 juin dernier, David Sacks annonce son soutien à Donald Trump dans un long message publié sur X, où il salue le bilan de l'ancien président sur l'économie, la politique extérieure et l'immigration. Un soutien qui fait rapidement effet boule de neige. Dans la foulée, plusieurs figures de la Silicon Valley se rallient à leur tour à Donald Trump, dont Marc Andreessen et Ben Horowitz, du célèbre VC a16z, Elon Musk ou encore Joe Lonsdale, du fonds 8VC. Sacks organise dans la foulée une levée de fonds pour la campagne de Trump dans sa maison du très chic quartier de Pacific Heights, à San Francisco. Le président fraîchement réélu vient de le récompenser pour son soutien en lui confiant un rôle clef dans la régulation de l'IA et des cryptos au sein de sa future administration.
Trump et ses tsars
Le titre de "tsar" est attribué à des membres du gouvernement chargés de coordonner la stratégie de l'exécutif sur un sujet précis, avec généralement une notion d'urgence à la clef. Lors de sa première administration, Trump avait par exemple, durant la pandémie, nommé un "tsar" chargé d'organiser le développement des vaccins. Cette fois-ci, il s'est également doté d'un "tsar" à l'immigration en la personne de Tom Homan, afin de résoudre ce que les républicains considèrent comme une grave crise migratoire au niveau de la frontière sud.
Moins officielles que celles des portefeuilles traditionnels, comme la santé, les finances ou l'éducation, les nominations au poste de "tsars" peuvent être décrétées par le président sans qu'un vote favorable au Sénat soit nécessaire, ce qui permet d'agir plus rapidement et plus librement. Trump n'est pas le premier à les utiliser. En son temps, Barack Obama avait ainsi nommé un "tsar de l'Afghanistan", pour préparer le retrait des troupes, et un "tsar de la santé" pour sa réforme Obamacare. George W. Bush s'était quant à lui doté d'un "tsar du contreterrorisme" suite au 11 septembre.
Le "tsar de l'IA et des cryptomonnaies" étant une position inédite, le niveau de pouvoir dont disposera David Sacks n'est pas encore clair. Sur les cryptos, par exemple, l'essentiel du pouvoir de régulation repose entre les mains du directeur de la SEC, le gendarme de la bourse aux Etats-Unis.
Une vision dérégulée de l'IA
Reste que la nomination de David Sacks et la création d'un portefeuille centré sur ces deux technologies de pointe que sont l'IA et les cryptomonnaies sont riches en enseignement quant à la politique que compte mener l'administration Trump 2.0. A l'instar de son comparse Elon Musk, David Sacks est partisan d'une intelligence artificielle dérégulée, ce qui implique par exemple une IA générative susceptible de puiser dans n'importe quelles données disponibles sur la toile sans se soucier des droits d'auteur. Ou encore débarrassée des garde-fous contre la désinformation et l'usage de certains termes jugés injurieux, sur le modèle de ce que propose le chatbot Grok, développé par xAI (dont Sacks est l'un des argentiers), l'entreprise d'Elon Musk. Celui-ci offre une liberté totale de création d'image à ces utilisateurs, et permet par exemple de générer un Mickey en uniforme nazi, là où d'autres services concurrents interdiraient l'usage de la célèbre souris (propriété de Disney) et l'affichage de signes nazis (car haineux).
Avec David Sacks aux manettes, il est donc très probable que l'administration Trump 2.0 laisse les acteurs de l'IA libres d'innover comme bon leur semble, sans aucune régulation, contrairement au chemin qu'a pris l'Europe avec l'IA Act. Le choix d'Andrew Ferguson pour diriger la FTC, le gendarme américain de la concurrence, parle également en faveur de cette approche. Cet avocat s'est à plusieurs reprises exprimé en faveur d'une défense ferme de la liberté d'expression et contre une approche trop régulatrice vis-à-vis de l'IA, susceptible selon lui de brider l'innovation.
Trump a d'ailleurs promis d'abroger un décret signé par Joe Biden, proposant quelques lignes directrices sur l'encadrement de l'IA, sans véritables obligations légales pour les entreprises. Il est par ailleurs possible que les Etats-Unis cherchent à faire pression sur l'UE pour dispenser leurs entreprises de se soumettre aux obligations de l'IA Act.
Le choix de David Sacks a été salué par le Center for Data Innovation, un laboratoire d'idées non partisan basé à Washington, qui y voit un signe encourageant en faveur d'un déploiement rapide de l'IA aux Etats-Unis, afin de contrer les rapides progrès de la Chine dans ce domaine. Nik Marda, de la fondation Mozilla, engagée en faveur du logiciel libre, a également salué ce choix, qui montre selon lui que "la promotion de l'open source et de la compétition dans l'IA seront une priorité pour cette administration."
Avec une vision dérégulatrice promue en haut lieu, des entreprises comme Google et OpenAI, qui ont jusqu'ici opté pour une attitude plus prudente, pourraient enfin changer leur fusil d'épaule et renouer avec le proverbial "move fast and break things" de la Silicon Valley.
Cap sur les cryptos
David Sacks est aussi un fervent défenseur des cryptomonnaies, qui a investi dans plusieurs projets, dont la blockchain Solana. Sa nomination confirme la promesse faite par Trump, lors de la convention Bitcoin 2024, de confier leur régulation à des personnes issues de l'industrie. Sur son réseau Truth Social, Donald Trump a déclaré que David Sacks serait chargé d'élaborer un "cadre légal pour donner à l'industrie des cryptos la clarté qu'elle demande de longue date afin de prospérer aux Etats-Unis." De nombreux membres de l'industrie se plaignent en effet des règles qui ne cessent de changer, notamment sous la présidence de Gary Gensler à la SEC. Son mandat, marqué par des procès ouverts contre plusieurs plateformes majeures d'échange de cryptos, comme Coinbase, Binance et Kraken, a été très critiqué par l'industrie. Plusieurs personnalités ont salué la nomination de David Sacks. Emilie Choi, de Coinbase, a salué un "excellent choix", portant sur une personne dotée "d'une fine connaissance du secteur."
Avec Sacks aux manettes, l'industrie des cryptos peut s'attendre à des régulations minimales, ainsi qu'à une classification de la plupart des jetons numériques comme "commodities", ce qui implique une régulation par la CFTC, moins contraignante que la SEC, qui s'occupe, elle, des "securities".
La nomination de David Sacks consolide donc la vision techno-libertarienne de l'administration Trump 2.0 : peu de barrières et de régulations, une approche favorable aux entrepreneurs, qui seront amenés à travailler étroitement avec le gouvernement, et une politique priorisant l'excellence technologique des Etats-Unis dans leur compétition contre la Chine.