Antoine Jouteau (Leboncoin) "Leboncoin continue d'accueillir chaque semaine de nouveaux collaborateurs"

Suite de notre série d'interviews de dirigeants face à la crise. Aujourd'hui, le directeur général du groupe Leboncoin revient sur l'impact du Covid-19 en terme d'audience et d'activité et livre ses espoirs de reprise

JDN. Quel est l'impact de la crise sur l'audience du Boncoin ?

Antoine Jouteau, directeur général du groupe Leboncoin. © Thomas PADILLA Leboncoin AFP-Services

Antoine Jouteau. Nous sommes une marketplace CtoC qui vit de la publicité et nous sommes présents sur les marchés de l'immobilier et de l'automobile notamment, donc nous avons bien sûr été impactés. Les premiers jours du confinement, nous avons enregistré une baisse de 30 à 40% de notre audience, ce qui représentait toujours 10 millions de personnes sur le site quotidiennement au lieu de 13 à 15 en temps normal. Notre audience remonte depuis deux semaines.

Et sur le nombre de transactions entre particuliers réalisées via le site ?

Il est dans le même ordre d'idée que l'impact sur l'audience. Ce qui n'est pas illogique : l'activité est impactée par l'audience, l'audience baisse donc le nombre de transactions entre particuliers baisse. Mais nous sommes en train de retrouver de la dynamique. Le lundi 13 avril, nous avions 11 millions de personnes sur le site et nous allons vite renouer avec les 15 millions de visites quotidiennes. Les Français ont rangé leur maison, leur appartement. Ils vont désormais commencer à préparer l'après.

Quelle verticale du Boncoin est la plus impactée ?

"L'impact sur le nombre de transactions est dans le même ordre d'idée que celui sur l'audience, qui a été de 30 à 40% les premiers jours du confinement"

Il s'agit de la location de vacances. Les Français ont encore du mal à se projeter sur leurs locations de cet été et même leurs locations dans les prochaines semaines qui constitue traditionnellement une période d'activité forte pour nous, puisque nous sommes désormais le 2e site de location de vacances en France. Mais le business qui ne se fait pas là se fera plus tard. Les Français chercheront des locations entre particuliers et Leboncoin sera à ce moment-là une destination très consultée. Nous avons actuellement 170 000 offres sur le site. Nous faisons beaucoup d'audience mais peu de transactions. 

Quid de l'immobilier ?

L'impact sur l'immobilier n'est pas énorme pour l'instant. Nous avons continué d'envoyer des leads de manière massive. Nous prévoyons une reprise d'activité. Il y aura une phase d'accélération au cours de laquelle les transactions qui ont été bloquées vont se réaliser. Nous ferons tout pour soutenir nos agents, nos réseaux. Mais je crois que le marché immobilier est plutôt mieux armé qu'il y a une dizaine d'années. Depuis 2008, les acteurs de ce marché ont beaucoup investi et se sont structurés. Idem pour l'automobile. Ce sont tous les deux des marchés résilients, costauds avec des professionnels prévoyants qui ont déjà traversé des crises.

Quels sont les choix organisationnels que vous avez fait ?

"Au niveau des budgets publicitaires, nous sommes en train d’absorber la période de baisse"

Toutes les équipes – le groupe compte 1 400 personnes – sont passées en télétravail. Nos équipes produit, technique et data travaillent à 100% et 55% des collaborateurs sont impactés, un peu ou beaucoup – entre 20 et 80% – par le chômage partiel. Ils sont indemnisés à 100% de leur salaire au mois d'avril. Nos collaborateurs n'ont pas choisi cette situation, il est donc normal que Leboncoin, qui est une entreprise solide appartenant à un groupe qui l'est lui aussi, joue le jeu.

Qu'est-ce qui a été mis en place pour faire face à la crise chez LBC ?

Nous avons contacté nos clients dans l'automobile et dans l'immobilier, nos annonceurs. Nous avons dialogué et trouvé des solutions pour décaler leurs investissements.

Quelle part des budgets publicitaires avez-vous réussi à sauvegarder ?

"La location de vacances est la verticale qui a été la plus impactée"

Je ne peux pas vous le dire, mais nous sommes en train d'absorber cette période de baisse. L'activité reste forte sur le site en termes d'audience. Il y a même des catégories où elle est plus forte qu'en temps normal. Par exemple sur les objets essentiels aux yeux des Français en ce moment, comme le multimédia, la téléphonie, etc.

Est-ce que la crise a mis fin à des projets ?

Nous n'avons pas ralenti le rythme de nos sorties et de nos évolutions côté produit. Nous sommes même très actifs de ce point de vue-là. Nous sommes sur un rythme d'une mise en production, cela va de la petite évolution fonctionnelle au nouveau service, toutes les 5 minutes. Sur la location de vacances par exemple, nous avons lancé la semaine dernière un nouveau service de cartographie sur le web, qui permet de visualiser sur une carte tous les biens sélectionnés dans la recherche. Vous pouvez les réserver en ligne et vous êtes assuré sur cette réservation.

"55% des collaborateurs sont impactés par le chômage partiel"

L'initiative la plus significative porte sur le marché de l'emploi, qui sera évidemment très impacté, après deux mois de gifle. Beaucoup de Français vont chercher un nouvel emploi et beaucoup d'entreprises vont chercher des collaborateurs. Il va notamment y avoir une activité saisonnière, dans des industries comme le bâtiment, entre autres, où on va avoir besoin de bras et de cerveaux. Nous avons donc offert des annonces d'offres d'emploi gratuites à nos clients TPE des secteurs en première ligne. De plus nous avons décidé de lancer jusqu'au 30 juin 2020 une offre gratuite de boutique virtuelle à destination des entreprises de moins de 10 salariés, qui leur permet de créer une page pour présenter leur entreprise, etc. Il s'agit d'une initiative que nous avons lancée avec le  le secrétariat au Numérique pour aider les petites entreprises à se rendre visibles.

Nous nous apprêtons aussi à sortir, et nous pousserons les gens à l'utiliser post confinement, notre service de livraison entre particuliers avec un partenaire public de transport de courrier. Nous invitons par ailleurs nos utilisateurs à réaliser leurs transactions mais à envoyer leurs produits à partir de la fin du confinement. Je suis surpris de voir que d'autres ne suivent pas ces règles.

La crise a-t-elle impacté votre politique de recrutement ?

Non, nous accueillons même chaque semaine des nouveaux collaborateurs. Pour eux, c'est un accueil particulier, puisqu'ils sont obligés de se rendre à notre siège dans le 10e arrondissement, où quelqu'un les attend avec un masque et toutes les protections requises pour leur donner un ordinateur et leur dire de rentrer chez eux. Ça concerne toutes les fonctions, notamment pas mal d'ingénieurs. D'habitude, les nouveaux collaborateurs ont droit à un parcours d'intégration aux petits oignons. Là, ce n'est pas le cas !

"Nous avons lancé jusqu'au 30 juin 2020 une offre gratuite de boutique virtuelle à destination des entreprises de moins de 10 salariés"

Nous allons restructurer notre révision budgétaire pour cette année. Mais sur la data, les commerciaux, etc, nous allons continuer d'investir pour grandir. Nous allons connaître des mois compliqués, il y aura des impacts, mais nous sommes une entreprise de croissance, avec des bases solides et nous allons investir pour retrouver une croissance qui soit porteuse.

Vous êtes donc plutôt confiant pour l'avenir, et notamment pour celui du Boncoin ?

Une entreprise comme Leboncoin va tirer son épingle du jeu. Bien sûr, le pouvoir d'achat de certains de nos concitoyens va se trouver affecté, par la perte d'emploi, la maladie… Des situations compliquées vont advenir pour certains. Notre société se demande comment mieux vivre et je crois que la période de confinement peut s'avérer utile pour ça, pour mieux consommer. Consommer territorialement, localement et d'occasion… Tout ça donne du sens. Les Français vont se poser des questions sur les entreprises chez lesquelles ils achètent. Nous sommes bien contents de voir nos services publics certes souffrir, mais faire front et je suis curieux de voir comment la perception des gens va évoluer. En tant que dirigeant, je suis fier de payer mes impôts en France car je crois que cet impôt est utile aujourd'hui. Nos utilisateurs et les Français s'acheminent peut-être vers une prise de conscience forte sur cet aspect, qui les amènera peut-être à privilégier les entreprises qui paient leurs impôts en France plutôt que la plateforme d'à côté qui fait de l'optimisation fiscale et crée peu d'emploi ou alors de l'emploi mal payé. A service équivalent, privilégier le plus vertueux. Je ne vise pas que Leboncoin. Il est important de relocaliser notre consommation sur nos territoires et ça concerne le numérique aussi.

Ex responsable marketing chez TDF puis Pagesjaunes.fr, Antoine Jouteau fait son entrée dans le groupe Leboncoin en 2009, en tant que directeur du développement des affaires. Passé directeur général adjoint de Leboncoin.fr en 2013, il en est devenu le PDG en 2015.

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