Le secteur du vêtement intelligent sur le point de faire boom

Le secteur du vêtement intelligent sur le point de faire boom La start-up britannique Evrythng prévoit de connecter 10 milliards d'articles d'ici 2019. Flairant le filon, les français Cityzen Sciences et Mulliez-Flory se sont également lancés.

Trois petites années. C'est tout ce que se donne Evrythng pour connecter pas moins de 10 milliards de vêtements. La start-up, créée en 2011 et basée à Londres, compte atteindre cet ambitieux objectif grâce notamment  à un partenariat annoncé en avril 2016 avec le spécialiste américain de l'étiquetage et de l'emballage Avery Dennison, qui travaille avec des marques comme Nike, Adidas, ou encore Hugo Boss.

"Chaque vêtement aura une identité numérique unique, qui ressemblera un peu à un profil Facebook"

"Chaque vêtement aura une identité numérique unique, qui ressemblera un peu à un profil Facebook", explique Cameron Hulett, directeur commercial de la jeune pousse qui a collecté 19 millions de dollars auprès des investisseurs depuis sa création et bouclera une nouvelle levée de fonds fin juin 2016. Cette "fiche produit connectée" indiquera la taille, la couleur, le lieu de fabrication d'une robe, mais pourra également intégrer une vidéo publicitaire par exemple.

Evrythng peut connecter les vêtements de différentes manières : avec des QR codes mais également de la communication en champ proche (NFC), du Bluetooth ou encore de la radio-identification (RFID) en fonction de ce que lui demandent ses clients. Les produits sont pour l'instant équipés de puces : les fibres du tissu ne contiennent pas directement de capteurs.

Concrètement, ce Facebook des vêtements permettra aux marques de géolocaliser leurs articles tout au long de la chaîne logistique, de la production au stock en magasin. "C'est la première utilisation que nous déployons en ce moment avec Avery Dennison", indique Cameron Hulett. Les entreprises pourront également réaliser des mesures corporelles et fournir à leurs clients des statistiques via une application dédiée, sur le nombre de pas qu'ils ont réalisés avec leur paire de baskets dans la journée par exemple.

Mais les puces d'Evrythng permettront surtout aux marques d'engager des relations plus étroites avec leurs clients. "C'est la fonction pour laquelle elles montrent le plus d'appétence", souligne le directeur commercial. Un client pourra flasher le QR code d'un T-shirt et savoir s'il a été fabriqué en France, consulter des contenus publicitaires, le distributeur pourra également lui offrir des bons de réduction…

Evrythng propose ces services pour une somme "proche de zéro pour chaque produit à grande échelle". Une offre qui intéresse "de nombreuses entreprises, notamment en Chine", pointe Cameron Hulett, qui ne veut pas en dire plus tant que les accords commerciaux ne sont pas signés.

Le coût des puces d'Evrythng pour chaque produit est proche de zéro à grande échelle

Les ambitions illimitées de la jeune pousse sont sans commune mesure avec les chiffres du secteur publiés par le cabinet de conseil Gartner, qui prévoit que 26 millions de vêtements connectés "seulement" seront vendus dans le monde en 2016. Il n'empêche : le marché reste attractif et la start-up n'est pas la seule à tenter sa chance.

En France, Cityzen Sciences a lancé en 2016 la commercialisation de ses solutions de textiles connectés en BtoB. Créée en 2008, la start-up lyonnaise travaille pour le moment sur une dizaine de produits, notamment le D-Shirt, un maillot de corps intelligent destiné aux sportifs, vendu par le groupe japonais Goldwin qui regroupe en Asie les marques The North Face et Canterbury of New Zealand.

Les deux partenaires prévoient de vendre d'ici la fin de l'année 2016 plusieurs dizaines de milliers de ces T-shirts, qui sont arborés depuis 2015 par les rugbymen de l'équipe nationale japonaise. Fréquence cardiaque, température corporelle… Ces maillots sont équipés de puces à peine plus grandes qu'une carte Sim qui permettent de relever les données physiologiques de leur utili"sateur.

Cityzen Sciences compte commercialiser plus de 10 000 D-Shirt en 2016. © Cityzen Sciences

Cityzen Sciences a également mis au point un oreiller capable d'analyser la qualité du sommeil ou encore des vêtements pour la montagne qui mesurent la fréquence respiratoire en fonction de l'altitude. "Les deux principaux domaines sur lesquels nous misons pour nous développer sont le sport et la santé. Nous avons également de nombreuses demandes émanant du secteur de l'automobile et de l'aéronautique. Nous réfléchissons à lever des fonds pour développer une offre adaptée, en embauchant 10 à 15 nouveaux salariés", confie Jean-Luc Errant, le président de la société, qui compte aujourd'hui 40 collaborateurs.

Cityzen Sciences prévoit d'être rentable en 2019 ou 2020 et vise les 3 millions d'euros de chiffre d'affaires en 2016. "Pour l'instant, nous avons quatre clients principaux, tous étrangers. Rares sont les entreprises françaises à s'intéresser au textile connecté", se désole le patron.

Une exception à la règle : la marque de jean tricolore Kaporal s'est lancée dans ce nouveau champ en 2015, en commercialisant en édition limitée son "Connecting Jean". Un premier pas timide, car comme son nom ne l'indique pas, ce pantalon n'est pas connecté à Internet. Il est simplement équipé d'un QR code, relié à la carte de visite virtuelle de son propriétaire. "Nous ne souhaitons pas concurrencer Nike et les autres équipementiers sportifs en lançant des vêtements connectés capables de mesurer les performances physiques de leurs utilisateurs. Nous voulons offrir à nos clients une expérience fun, sociale", explicite Nicolas Ciccione, directeur e-business chez Kaporal.

"Le premier jean vraiment intelligent de Kaporal devrait sortir dans les 12 prochains mois"

Le "Connecting Jean" a surtout permis à l'entreprise de repérer les clients intéressés par les nouvelles technologies et de tisser des liens avec eux, en leur envoyant des mails régulièrement. "Nous travaillons avec une start-up française sur un tissu entièrement connecté. Le premier jean vraiment intelligent de Kaporal devrait sortir dans les 12 prochains mois. Nous pourrons le tester en avant-première avec ce panel de consommateurs, pour comprendre quelles utilisations ils vont développer avec cette nouvelle catégorie de produits", se projette Nicolas Ciccione. Et de poursuivre : "les possibilités offertes par cette technologie sont infinies, mais il ne faut pas proposer aux consommateurs des usages à côté de la plaque."

Kaporal et son partenaire ne sont pas les seuls à travailler sur un tissu dont les capteurs sont situés au cœur de la fibre : Cityzen Sciences compte sortir une offre de ce genre d'ici deux ou trois ans.

Le spécialiste français du vêtement professionnel Mulliez-Flory a également bâti avec une dizaine de partenaires un projet en ce sens, baptisé Autonotex. Dans ce cadre, le chimiste Arkema a mis au point un tri-composant qui peut être tricoté, teint et lavé à la machine comme n'importe quel tissu. Les capteurs pourront être posés partout sur le vêtement. "Les composants ne seront plus extérieurs au textile comme c'est le cas aujourd'hui avec ces puces pas forcément fiables, qui peuvent tomber en panne en cas de choc par exemple", explique Jacques Gindre, le PDG de Mulliez-Flory.

Mulliez-Flory prévoit de réaliser 7,8 millions d'euros de chiffre d'affaires en 2020 grâce aux vêtements connectés

L'entreprise compte vendre d'ici 2019 des vêtements connectés à l'armée française, séduite par cette offre plus sûre qu'un wearable, qui peut être perdu ou se casser. "En combinant l'enregistrement des battements cardiaques, de la température, ainsi que toute une série d'autres données corporelles, les chefs de patrouilles pourront mesurer le niveau de stress de leurs hommes sur le terrain et exfiltrer les personnes trop sensibles avant qu'elles ne commettent des erreurs", illustre le patron.

Mulliez-Flory commercialisera également les vêtements conçus avec ce textile connecté nouvelle génération auprès des pompiers et de toutes les professions qui ont besoin d'être visibles, sur les chantiers par exemple. "Des chemises pourront par exemple être équipées de diodes électroluminescentes. Elles seront automatiquement rechargées par les mouvements de leurs utilisateurs qui produisent de l'énergie électrique captée par le tricomposant", détaille Jacques Gindre.

La société prévoit de réaliser 3,8 millions d'euros de chiffre d'affaires en 2019 et 7,8 millions en 2020 grâce à cette nouvelle activité. Le projet Autonotex a été financé à hauteur de 4,5 millions d'euros par l'Etat français et la banque publique d'investissement Bpifrance. Les entreprises participantes ont également contribué à hauteur de 4,5 millions d'euros.