4 étapes pour relocaliser son usine d'IoT
Plusieurs sociétés IoT qui ont déjà relocalisé leur production livrent les quatre principales recommandations à leurs homologues s'interrogeant sur la marche à suivre.
Faut-il relocaliser son industrie, quand on sait que les coûts de production sont plus compétitifs en Asie ? C'est la question que se pose un grand nombre d'industriels français, notamment dans l'IoT. Les retours d'expérience se révèlent cruciaux, et c'est ce qui a poussé Frédéric Granotier, président fondateur de Lucibel, fabricant français de solutions d'éclairage, à organiser avec le think tank Relocalisations.fr et Rouen Normandy Invest l'événement "24h pour relocaliser en France" les 16 et 17 juin dernier à Rouen devant une trentaine d'entreprises du territoire, dont Decathlon.
Le PDG, qui a fermé en 2014 son usine à Shenzhen (Chine) pour la relocaliser en Normandie, est convaincu que "le moment est venu pour un mouvement de relocalisation de grande ampleur. Savoir comment faire n'est pas facile mais la relocalisation est belle et bien possible". D'autant que la crise sanitaire et la flambée des prix des transports ont poussé les acteurs à revoir leurs flux logistiques. Dans l'IoT, Lucibel n'est pas le seul à avoir réussi sa relocalisation, tous tirent de leur expérience les mêmes recommandations.
1. Définir sa stratégie d'entreprise et l'équation financière
Relocaliser est souvent perçu comme trop cher. Un argument "qui n'est plus vrai de nos jours, d'autant que les risques évités de perturbation de la supply chain à l'étranger compensent les surcoûts qui peuvent subsister", estime Frédéric Gastaldo, cofondateur et CEO de tiko, filiale d'Engie. Mais tout dépend de sa typologie de produit et de sa stratégie d'entreprise. "Evidemment, pour les petits produits vendus à moins de dix euros, l'équation n'est pas soluble quand on sait que les coûts de la carte électronique et de l'assemblage sont chacun à cinq euros", souligne Yanis Cottard, président du fabricant d'objets connectés Altyor, qui a fait de la relocalisation une stratégie de long-terme, s'inscrivant dans la transformation de l'entreprise en société à mission.
"Pour les petits objets connectés grand public, il ne pourra pas y avoir de retour"
Un avis partagé par Vincent Bedoin, PDG du groupe Lacroix : "Pour les petits objets connectés grand public, il ne pourra pas y avoir de retour. Par contre, pour les objets à valeur ajoutée répondant à des enjeux sociétaux, cela a du sens." Lacroix conserve les opérations manuelles dans son usine en Tunisie mais effectue dans son usine Symbiose toute la production pouvant être automatisée (lire notre article Lacroix compte sur sa nouvelle usine Symbiose pour s'imposer en champion de l'IoT). Pour être rentable en produisant en France, les objets connectés doivent générer une marge. Chez Lucibel, la relocalisation a ainsi été synonyme de repositionnement des produits avec une montée en gamme pour développer un modèle d'affaire basé sur du premium. "Il ne faut pas oublier de prendre en compte la taxe foncière dans l'équation économique", met en garde Frédéric Granotier.
Redesigner son produit
Deuxième condition indispensable avant de relocaliser : revoir le design de son produit pour réajuster le nombre de composants. "En modifiant simplement le design de notre cadenas connecté, nous avons réussi à réduire nos coûts de production par trois", se félicite Alexandre Molla, CEO et cofondateur de la start-up parisienne Sharelock, à l'origine d'un cadenas de vélo connecté et sécurisé. De son côté, le concepteur de capteurs industriels français Edge Technologies a aussi modifié sa gamme. "Relocaliser quand on a trop de composants est difficile. Nous avons redessiné notre capteur pour qu'il ne contienne pas plus de dix composants", explique Thomas Guillet, son CEO.
"En modifiant simplement le design de notre cadenas connecté, nous avons réussi à réduire nos coûts de production par trois"
Dans leur processus de relocalisation, certaines entreprises mettent en avant l'aspect made in France. "Il faut que les deux tiers de la valeur du hardware soient issus de France pour pouvoir revendiquer l'appellation", précise Alexandre Diehl, avocat au sein du cabinet Lawint.
Automatiser sa chaîne de production
L'organisation de l'usine doit également être au cœur de la stratégie de relocalisation. Pour l'ensemble des acteurs interrogés, cela passe par le déploiement de robots collaboratifs (cobots), d'IoT pour assurer la maintenance prédictive des machines ou encore le contrôle qualité. "Il faut trouver comment optimiser la ligne de production en évitant toute perte de temps pour les opérateurs", recommande Olivier Brett, responsable de la relocalisation chez Altyor. Grâce à l'expertise de ce dernier, la nouvelle chaîne de production à Saint Cyr en Val, en région Centre-Val de Loire, doit produire plusieurs milliers de pièces par an. Du côté du distributeur français de wearables Innov8, les nouveaux équipements dans son usine lyonnaise lui ont permis de produire en France des produits aussi compétitifs que ceux initialement fabriqués en Chine. "Nous avons su préserver nos marges mais il ne faut pas transposer une usine chinoise en France. La relocalisation implique de repenser tout le mode de fabrication", conseille Stéphane Bohbot, fondateur et CEO.
"Il ne faut pas transposer une usine chinoise en France"
Lacroix a fait le choix d'automatiser le magasin de stockage des composants avec la tour de stockage de la start-up lilloise Exotec Résultats : auparavant les opérateurs marchaient dix kilomètres par jour pour chercher des pièces que les sept robots leur apportent aujourd'hui automatiquement.
Bien choisir son implantation
Le lieu géographique de production n'est pas non plus à négliger. Lacroix a choisi le site Beaupreau-en-Mauges, dans le Maine-et-Loire, pour profiter la filière électronique locale. "C'est un pari sur l'avenir que nous avons fait, nous croyons dans la filière électronique, qui représente ici 300 000 emplois", a déclaré Vincent Bedoin lors de l'inauguration de l'usine. Ce qui fait de l'écosystème un point fort dans la relocalisation. "L'effet de réseau en France mène à une vraie émulation. Dans notre cas, le centre technique dédié à l'IoT et à l'industrie du futur We Network s'est impliqué pour nous aider dans le sourcing des composants", confirme Joslain Brisseau, dirigeant de la start-up Qwintal. Même son de cloche chez Sharelock : "La proximité territoriale permet de nouer des liens forts avec ses partenaires et évite les incompréhensions lors de la fabrication, notamment quand il n'y a pas la même culture d'entreprise et des frictions liées au décalage horaire."
"La proximité territoriale permet de nouer des liens forts avec ses partenaires et évite les incompréhensions lors de la fabrication"
Les raisons environnementales sont également mises en avant. Innov8, dont les produits devaient parcourir 15 000 kilomètres en bateau pour être importés, a réduit son empreinte carbone de 98%. "C'est toujours mieux de produire dans la région où l'on vend pour réduire au maximum les transports", approuve Olivier Brett, au sein d'Altyor.
Mais les entreprises doivent trouver le bon emplacement. Edge Technologies, qui avait commencé la production de ses capteurs industriels à Singapour, a choisi de rapatrier l'activité à Gardanne, près d'Aix-en-Provence. "Le fret représentait un tiers du prix du produit, j'ai donc décidé d'installer une usine en PACA, région bien desservie, très dynamique et bénéficiant d'un bassin d'emploi me permettant de trouver les bonnes compétences. L'inconvénient est l'accessibilité aux locaux. Le terrain est dur à trouver, d'autant que les machines de production sont à 90 décibels", raconte Thomas Guillet, qui se prépare à industrialiser sa solution.
Une fois tous ces éléments pris en compte, reste le temps du rapatriement. Pour Lucibel, il s'est passé 18 mois entre la décision de s'implanter à Barentin et le démarrage de l'usine. Un temps bien plus long que les "24h pour relocaliser en France", qui poursuivra son tour de France à Caen les 13 et 14 octobre prochain.