Pourquoi les créations d'emplois verts s'effondrent

En mars 2011, le nombre d'emplois "verts" supprimés était supérieur au nombre d'emplois créés. David Cousquer, gérant de Trendeo, en révèle les raisons.

Trendeo suit, depuis janvier 2009, l'ensemble des investissements et désinvestissements annoncés en France. Notre cabinet comptabilise les emplois créés ou supprimés à l'occasion des opérations annoncées par des entreprises ou des administrations. Cela donne une excellente vision des dynamiques économiques en France. Trendeo analyse en particulier les investissements "verts". Depuis 2009, nous constatons une baisse régulière des emplois créés par ces secteurs. En mars 2011, le nombre d'emplois supprimés était même supérieur au nombre d'emplois créés.

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Solde mensuel des emplois créés ou supprimés dans les filières vertes, recensés par l'Observatoire de l'investissement de Trendeo. © Trendeo

Que s'est-il passé ?

En 2009, les filières "vertes" représentaient un ensemble dynamique, portées par le développement du solaire d'abord et de l'éolien ensuite – respectivement la moitié et un tiers des emplois créés. Cette tendance était d'autant plus encourageante et remarquable qu'elle était à contre-sens de l'économie française dans son ensemble, qui supprimait massivement des emplois. Les investissements "verts" représentaient la première filière française pour la création d'emplois industriels. Selon nos calculs, les investissements " verts " créaient 6 600 emplois en 2009, alors que la filière aéronautique créait 2 900 emplois. La même année, la filière automobile supprimait 36 000 emplois.

En 2010, les projets éoliens ont quasiment disparu, victimes à la fois d'une baisse des tarifs de rachat mais aussi d'une contestation croissante de la part des riverains. La même année, les projets solaires ont fortement ralenti (50% d'emplois en moins). Dans l'ensemble, les investissements " verts " représentaient, en 2010, 5 400 emplois créés, soit une baisse de 20% par rapport à 2009, contre 1 500 créations pour l'aéronautique et 5 900 suppressions dans l'automobile.

2011 a vu l'arrêt de la création  d'emplois dans la filière solaire. Le moratoire de trois mois intervenu fin 2010 et la baisse des tarifs de rachat ont entraîné le gel ou l'annulation de plusieurs projets par des sociétés comme Fonroche, Solaire direct ou First Solar. Le mois de mars a vu les annonces de suppressions d'emplois dépasser celles des créations, pour la première fois depuis janvier 2009. Sur les quatre premiers mois de l'année, les filières "vertes" sont dépassées par l'automobile, qui se rétablit et recommence à créer des emplois, et par l'aéronautique.

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Solde net des annonces de création et de suppressions d'emplois recensées par l'Observatoire de l'investissement de Trendeo de janvier à avril 2011. © Trendeo

Comme moteur de la croissance verte, il reste des secteurs moins importants en termes d'emplois que les leaders solaire et éolien. La production d'énergie par utilisation de la biomasse (projets de chauffage, de méthanisation) ou les projets de cogénération fournissent un flux d'emplois régulier mais faible (500 à 600 emplois par an pour chaque filière). Dans ces filières, on ne recense pas non plus de projets de recherche et développement ou de fabrication de matériel.

Depuis 2009, il n'y avait que dans le solaire où l'on recensait des projets d'investissement créateurs d'emplois à tous les stades de la filière, de l'amont (R&D) à l'aval (commercialisation, pose et maintenance). Dès 2010, dans la filière solaire, les projets de R&D ont disparu, de même que les projets de fabrication de matériel. Des filières ne reposant pas sur une recherche et, dans une moindre mesure, une fabrication localisée en France sont moins susceptibles de créer des emplois sur le territoire national.

Un impact direct des mesures publiques et fiscales

L'opinion joue un rôle important dans l'évolution des filières "vertes", dans les deux sens. Dans un sens positif, elle pousse au développement des énergies renouvelables pour limiter les émissions de carbone. Dans un sens négatif, elle peut rendre difficile l'implantation d'éoliennes ou de sites de retraitement des déchets. C'est un premier facteur d'évolution des filières "vertes", dont on peut supposer que l'évolution est lente.

Beaucoup plus rapide et direct est l'impact des mesures fiscales, dont on peut se demander s'il est complètement maîtrisé. L'État a fort légitimement voulu ralentir la croissance de l'éolien puis du solaire, dont le financement risquait de devenir trop coûteux pour le contribuable, à travers la CSPE. Les difficultés de la filière solaire en Espagne, où l'État est redevable de plus d'une dizaine de milliards d'euros aux producteurs de solaire photovoltaïque, ont probablement compté dans les décisions de moratoire et de baisse des tarifs.

On peut cependant se demander si un tel impact sur la filière avait été anticipé, en constatant le gel de projets qui avaient été annoncés antérieurement aux différentes mesures (First Solar à Blanquefort).

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David Cousquer © Trendeo

Des facteurs de redémarrage

Les investissements "verts" sont donc dans une impasse dont on peut heureusement penser qu'elle ne sera que provisoire. Plusieurs facteurs permettent en effet de juger, qu'à moyen terme, ces investissements reprendront une place importante par leur contribution à la croissance économique.

Tout d'abord, le coup de frein actuel touche des sociétés de taille petite ou moyenne qui s'étaient développées très fortement. Mais les très grands groupes, impliqués jusqu'alors uniquement via des filiales ou des participations, sont en train de se réorganiser pour revenir au centre du jeu. EDF a ainsi racheté la totalité des parts d'EDF Énergies Nouvelles. Total a acquis l'américain SunPower, après avoir racheté les parts d'EDF Énergies Nouvelles dans Tenesol. De tels groupes ont des capacités d'investissement considérables.

Ensuite, nous sommes dans une phase intermédiaire en termes de technologies. Les projets éoliens terrestres ont connu un emballement avant de stagner, mais l'éolien en mer permettra une relance du secteur, notamment lors de l'attribution des appels d'offres qui seront lancés en fin d'année. Dans le secteur solaire, le solaire thermodynamique, qui a connu son heure de gloire dans les années 70, connaît un regain d'intérêt. Pour les biocarburants, le gouvernement a lancé un appel à manifestation d'intérêt en mars dernier. L'objectif est de promouvoir des carburants issus de la biomasse non alimentaire (algues, paille, bois). Par ailleurs, le véhicule électrique est un secteur qui arrive à maturité industrielle et dans lequel les investissements créateurs d'emplois devraient progresser. Les technologies vertes continuent donc à se perfectionner et la recherche en ce domaine reste très dynamique.

Enfin, à moyen terme, les objectifs de production d'énergies renouvelables, inscrits dans le Grenelle de l'environnement avec 2020 comme terme, imposent une relance des filières " vertes ". Comme le Syndicat des Énergies Renouvelables vient de le souligner, au rythme actuel, les objectifs du Grenelle ne seront pas remplis à l'horizon 2020. Le gouvernement vient d'accroître de 20% le tarif de rachat de l'électricité provenant du biogaz agricole, probablement pour rattraper en partie ce retard.

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Détail des emplois nets créés par filière "verte", avec le nombre d'opérations recensées par l'Observatoire de l'investissement de Trendeo, pour la période 2009-2010. © Trendeo

Nous continuerons donc à analyser avec intérêt les emplois créés – et parfois supprimés – par les investissements "verts", que nous comptabilisons depuis 2009. Comme l'indique le tableau ci-dessous, en 2009-2010, ce sont près de 12 000 emplois nets qui ont été créés. L'année 2011 connaît un mauvais démarrage, avec seulement 500 emplois annoncés pour les quatre premiers mois. Les années 2012 et 2013 devraient permettre un redémarrage des différentes filières.

A propos de l'Observatoire de l'investissement

L'Observatoire de l'investissement en France a été créé par Trendeo en janvier 2009 et mis en service en juillet de la même année. L'objectif de cette base de données, accessible par abonnement, est de recenser et structurer, en temps réel, à travers plus de 4 500 sources, toute l'information sur les investissements et désinvestissements en France. Ceci, dès lors que ces investissements et désinvestissements entraînent des recrutements ou, en sens inverse, des suppressions d'emplois. Nos clients l'utilisent, entre autres, pour des tâches de veille commerciale, de marketing territorial ou d'analyse de marché.

La méthodologie adoptée nous a permis, depuis janvier 2009, d'enregistrer plus de 16 000 opérations : 10 101 investissements correspondant à 424 354 emplois créés, et 6 151 désinvestissements correspondant à 493 399 emplois supprimés. Les investissements " verts " sont identifiés spécifiquement, à partir d'une grille de neuf filières établie par Trendeo : solaire, éolien, géothermie, biocarburants, biomatériaux et écoconstruction, géothermie et aérothermie, biomasse, bois chauffage, recyclage des déchets et dépollution.