Pourquoi l’empowerment permis par la e-santé va bouleverser le paradigme du système de santé ?

Le système de santé français connaît des crises structurelles récurrentes. Alors que l’inertie des politiques publiques risque d’en accentuer sa déliquescence, la e-santé apparaît comme une solution particulièrement adéquate.

Le mythe de l’Etat providence, grand ordonnateur de différents pans de la vie des citoyens, a définitivement volé en éclats. La révolution copernicienne induite par les nouvelles potentialités offertes par les TIC et le web social a fait advenir un nouveau paradigme qui redéfinit complètement les relations sociales. L’empowerment croissant des individus, dont les réseaux sociaux sont l’un des derniers avatars, a pavé la voie à l’établissement de nouveaux rapports de force entre l’individu et les structures holistiques.

Disruption, ubérisation et maintenant blockchain ont contribué à questionner les piliers d’airain de systèmes, économiques, technologiques ou administratifs, que d’aucuns appréhendaient comme intangibles. La santé apparaît aujourd’hui comme le nouvel espace à conquérir et à disrupter. 

Toutefois, contrairement à la disruption des services, tel que les transports de personnes, la livraison à domicile, le monde de la finance ou du droit, le secteur de la santé se caractérise par une forte barrière à l’entrée. Législation stricte en matière de santé, servitudes administratives, importance d’un bouleversement comportemental des parties prenantes ou encore sécurité des données constituent autant de blocages pouvant nuire au développement de la digitalisation de la santé.

Le secteur de la santé n’a jusque-là guère était touché par ce bouleversement paradigmatique et le développement exponentiel depuis la fin des années 1990 des forums santé (Doctissimo étant le plus le connu) ne saurait masquer la profonde inertie inhérente à cet écosystème.

Or la symbiose croissante entre les technologies de l’information et de la communication (TIC) et l’Internet des Objets (IoT) promet, en puissance, de modifier durablement le rapport des patients à la santé.

Les objets connectés connaissent ainsi un fort intérêt de la part d’une population de plus en plus soucieuse de surveiller son bien-être et sa santé au quotidien. Bien que quelque peu antinomiques, les notions de bien-être et de santé s’avèrent être rapprochées par les nouvelles logiques technologiques.

La e-santé, par-delà un énième buzzword un concept protéiforme et innovant

A bien des égards, la e-santé n’est pas réductible à une pratique particulière, mais au contraire, elle tend à irradier l’ensemble de l’écosystème du secteur de la santé. Apple a notamment trouvé dans la e-santé, via l’application Health, un relais de croissance intéressant, alors que ses ventes de smartphones déclinent quelque peu. 

Là où Apple se limite pour l’heure à la sphère des applications et de l’IoT, avec l’Apple Watch, IBM entend appliquer les potentialités de l’intelligence artificielle (IA) au secteur médical. Avec Watson, un programme informatique d’IA, IBM s’est ouvert la porte des hôpitaux, et s’avère être un puissant outil d’aide à la décision pour les praticiens.

Comme l’illustre, les positionnements différents d’Apple et d’IBM, la e-santé concerne tout aussi bien le domaine des applications pour mobile, que l’analyse massive de données, les fameuses Big Data.

La e-santé, telle qu’elle se développe actuellement, se caractérise par une sorte de continuum, allant de la m-santé (mobile santé) à l’IA comme plateforme d’aide à la décision sensible pour les chirurgiens. Eu égard aux enjeux auxquels est confronté notre système de santé, la m-santé a vocation a joué un rôle considérable. La conscientisation permise par l’utilisation quotidienne d’applications centrées sur le bien-être et notre état physiologique, conduit à terme à un basculement paradigmatique, accordant la primauté à la prévention sur le soin.  

Vers un basculement paradigmatique du soin vers la prévention ?

Insérée dans un process global, la m-santé peut constituer un formidable support pour le déploiement de la télémédecine. La collecte de données permise par les objets connectés permet d’extraire de précieuses informations pouvant être exploitées, à distance, par un praticien.

Un écueil peut découler de cet empowerment des individus-patients : l’auto-médication. Des datas collectées via l’IoT, croisées avec des données erratiques collectées sur certains forums de discussions santé, l’individu peut être tenté d’ubériser le praticien. Or, et c’est là l’une des limites de ce bouleversement paradigmatique, la fonction traditionnelle du praticien n’a pas vocation à être ébranlée par cette évolution.

L’inflation informationnelle à laquelle est confrontée l’internaute suite aux données extraites par les objets connectés peut s’avérer déroutante. Les forums de discussion, dont le célèbre Doctissimo, qui est l’un des sites les plus consultés en France, s’ils peuvent répondre à certaines interrogations, n’en constituent pas moins des vecteurs potentiellement crisogènes. L’empowerment ne fait pas du profane un praticien, et la e-santé ne saurait favoriser l’auto-diagnostic 2.0, ni encore moins l’auto-médication.

En France, une start-up comme MesDocteurs, fondée en 2015 par Séverine Grégoire, s’est positionnée sur le secteur innovant de la e-santé, mais loin de remettre en cause l’autorité et l’expertise traditionnelle du praticien, cette start-up a contribué à remettre ce dernier au centre du process. La télémédecine permise par MesDocteurs permet de répondre quasi instantanément aux interrogations des patients, et les données connectées par les différents objets connectés, sont utiles pour rendre la télé-consultation plus efficiente.

La télé-médecine préempte une phase bien précise du parcours du patient, la phase de prévention, sans pour autant déborder sur la phase de soin. Or, favoriser une meilleure prévention, via une rencontre entre datas collectées par les individus et échanges, à distance, avec des spécialistes, s’avère être une réponse adéquate aux enjeux auxquels est confronté notre système de santé.

Le développement des chatbots sur Facebook Messenger, depuis l’ouverture de la messagerie aux développeurs, va constituer, à court terme, un autre élément qui va consolider l’essor de la e-santé.  Par exemple, Smart Alfred, un bot développé par le français Betterise Health Tech, créé par Michel Cymes et Christophe Brun, proposera des conseils personnalisés, fondés sur le profil, le comportement et les pathologies de l’utilisateur. Au Royaume-Uni, la start-up Babylon, créée en 2013 par Ali Parsa, après s’être originellement positionnée sur la mise en relation entre patients et médecins, a progressivement fait évoluer son business model pour tirer profit du machine learning et du Big Data. Utilisée par plus de 250 000 personnes au Royaume-Uni, l’application Babylon démontre, avec succès, de quelle manière l’IA peut être mise au profit de la e-santé.

La phase de prévention est donc au cœur des réflexions des start-up, et ces dernières entendent bien tirer parti des potentialités offertes par la symbiose entre les TIC et l’IoT, pour proposer des contenus personnalisés et précis aux utilisateurs. Comme nous l’avons montré avec l’exemple de la start-up Mes Docteurs, les praticiens, loin d’être déstabilisés, sont confortés dans leur position grâce à la e-santé. L’utilisateur-patient quant à lui peut avoir un suivi quotidien de son état physiologique, et le cas échéant, en cas de doutes ou interrogations interagir directement avec un chatbot comme c’est le cas avec Smart Alfred ou bien avec un spécialiste.