Quel système de santé imaginer pour "Le monde d'après" ?

Malgré l'exceptionnelle mobilisation de nos professionnels de santé, les résultats de l'effort collectif et de la réponse apportée ne sont pas à la hauteur du poids que cette ressource représente dans la richesse nationale.

Comme on dit : les comptes, on les fera à la fin, pour comprendre comment cette situation inédite et globale a été gérée par les divers pays du monde. Mais la question qu’il faudra se poser en France est : comment éviter cela à nouveau ? Comment réorganiser la prise en charge des patients ? Comment reconstruire notre appareil productif autour d’une industrie de santé nationale ? La question que les experts et les politiques doivent se poser est celle de "l’après".

Pour répondre à cette question il ne faut pas d’émotion, ni de précipitation. Bien qu’aujourd’hui il soit plus que légitime pour l’opinion publique d’avoir peur, de pleurer nos victimes et de s’inquiéter pour nos aînés, ceux qui doivent décider de la politique de santé pour les 10 à 15 prochaines années ne doivent pas le faire sur la vague de l’émotion suscitée par cette période.

Car les problématiques de notre système de santé ne datent pas d’aujourd’hui et les réformes de demain doivent s’attaquer à ce qui le rend fragile et inefficace.  

L’architecture, la gouvernance, le fonctionnement de ce système et la rémunération des acteurs multiples qui le composent ne sont plus adaptés aux défis qui nous attendent. La bataille contre le Covid-19 devait et devra se faire bien en amont de nos services de réanimation, aujourd’hui saturés. La réponse de la politique de santé de demain devra se faire dans la manière de vivre notre bonne santé, avant de se préoccuper de comment s’en occuper lors de sa dégradation.

Ce sont nos comportements, notre alimentation et l’éducation à la santé qui doivent être profondément modifiés avant tout autre chose. Cette bataille se gagne d’abord chez nous, dans nos écoles, dans nos entreprises, dans la ville, plutôt que dans un hôpital, bien que nécessaire pour ceux qui en ont besoin un jour. Éduquons davantage à la santé, investissons en amont au lieu de penser au "tout curatif", favorisons les initiatives favorables à la bonne santé, donnons aux citoyens les moyens d’agir sur leur santé.

Inspirons-nous du "parcours Covid-19" pour penser nos organisations autour des patients, en redonnant leur place à chacun des acteurs qui composent notre système.

Dans cette période, nous avons (re)découvert que la santé c’est aussi nos pharmaciens, nos kinés, nos médecins généralistes, nos laboratoires d’analyses, nos ambulanciers. Mais c’est aussi nos cliniques et nos Ehpad, dont le maillage territorial est si important dans une période de crise comme celle que nous traversons. Que ces acteurs soient publics, privés, libéraux ou associatifs peu importe, leur rôle est bien là et il ne faudra pas l’oublier.

Le système de santé français est trop hospitalier, trop rigide, trop cloisonné et trop centralisé mais aussi trop archaïque dans son fonctionnement. L’architecture de notre système a été conçue pour soigner les cas les plus complexes autour de nos CHU, orgueil de la nation, qui se retrouvent depuis des années à s’occuper aussi de ce qui est le plus simple et qui devrait être traité ailleurs.

Nos services d’urgences n’étaient pas débordés pour sauver des vies ou s’occuper des AVC ou infarctus, mais au contraire ils étaient engorgés depuis des années pour palier à des consultations qui devraient être réalisées ailleurs, grâce à des solutions alternatives et adaptés dans nos villes.

Penser "l’après", cela veut dire redonner à chacun la place qui est la sienne. Et cela devra se faire dans les territoires par un État capable d’assumer des politiques de santé centralisées mais aussi d’en déléguer sa mise en œuvre et son financement dans nos régions et départements, avec plus d’autonomie et plus de responsabilisation locale. L’État ne peut pas tout et certainement pas depuis Paris !

Le financement doit être repensé pour s’adapter aux parcours, à la qualité des soins, aux structures qui accueillent et prennent en charge nos patients. Investir sur du long terme sera bien plus efficace que les successives coupes budgétaires réalisées dans une optique court-termiste.

Le système est trop rigide et trop cloisonné. La coordination des soins et les capacités d’évolution et de transformation des structures d’accueil de nos patients sont des enjeux capitaux pour nous permettre de réagir plus fort, plus vite et de manière plus adaptée, face aux prochaines crises sanitaires qui, malheureusement, ne manqueront pas d’arriver. Il faut repenser nos hôpitaux pour qu’ils soient adaptés aux besoins des patients comme du personnel soignant : modernes, flexibles, humains

Nous avons découvert qu’un bloc opératoire peut se transformer rapidement en un service de réanimation, que des gymnases et des centres de conférence pouvaient devenir des hôpitaux d’appoint … Il faut tirer profit de cette expérience malheureuse pour se dire qu’il n’y a plus de barrières entre la ville et l’hôpital, entre deux services ou entre une clinique et l’hôpital car malheureusement depuis des années les murs qui les séparent ne sont pas ceux que nous voyons. L’idéologie, une certaine dérive de l’administration, les égos et préjugés, voire un certain mépris de ceux qui décident de nos vies au quotidien, n’ont plus de place dans ce système qui a oublié pourquoi et pour qui il existe. L’esprit d’entreprendre, l’innovation, la créativité et la culture du service doivent retrouver la place qui est la leur au centre de notre système et de notre cœur de citoyens et patients. C’est dommage qu’une crise fasse ressortir cela !

Et la coordination entre les acteurs dans les territoires devra s’appuyer sur des outils qui existent et fonctionnent déjà. Le digital et l’intelligence artificielle sont là pour nous aider à mieux soigner. Utilisons ainsi les outils digitaux à notre disposition et généralisons les nombreuses initiatives qui ont prospéré ces dernières semaines, à commencer par les téléconsultations. Attention, cela ne va pas tout résoudre, mais elles ont le mérite de faciliter l’accès aux soins partout sur le territoire, d’éviter les déplacements inutiles, de fluidifier le parcours de soins des patients et de désengorger les urgences.

Mais tout cela ne marchera pas si nous n’acceptons pas de rémunérer les acteurs du système à leur juste valeur. On ne pourra plus accepter une répartition de la valeur si injuste. Et pour cela, la réponse n’est pas encore une fois celle d’une prime pour tous, d’un critère du présentéisme ou de bonne volonté, mais celle du mérite, de la compétence et des résultats obtenus.

Plus de prévention et plus d’attention, plus de santé dans nos villes et pas seulement dans nos hôpitaux, plus de coordination et de digitalisation des parcours et des échanges, plus d’autonomie et de moyens pour ceux qui le méritent. Plus d’État qui réfléchit, gouverne et alloue les moyens nécessaires mais moins d’État dans l’offre de soins et la gestion des acteurs qu’ils soient hospitaliers, libéraux, privés ou associatifs.

Est-ce que ce sont de nouvelles pistes de réflexion pour un nouveau système de santé ? Malheureusement non, car depuis des années tous les experts et les politiques le savent déjà, nous n’avons pas besoin encore d’une nouvelle "consultation", comme annoncé par Olivier Véran de commissions ou autre grand plan national, mais seulement de le mettre en œuvre.

Cependant, nous avons besoin d’un ingrédient qui a toujours manqué, qui est malheureusement plus rare que l’expertise ou la technologie, un ingrédient qui s’appelle le courage, avant tout politique, pour mettre cela en œuvre et pas pendant une crise, mais "après"!