Santé visuelle pour tous : de l'importance de (re)penser aujourd'hui l'optique de demain !

Alors que l'Igas recommande l'ouverture de la télémédecine aux opticiens dans les magasins par l'élargissement des matériels d'exploration non invasifs, quelle réponse apporter au marché de l'optique "hors les murs"?

Face à une population vieillissante, le bien-voir est un enjeu essentiel favorisant l'autonomie et l'inclusion. Nous devons agir pour que les déserts médicaux et le non-recours aux soins optiques n'existent plus d'ici 5 ans. Si l'exécutif est en réflexion sur ce sujet de santé publique, d'autres pistes doivent être étudiées pour garantir la bonne santé visuelle des plus fragiles ou isolés. D'autant que le reconfinement risque d'entraîner de nombreux reports de prises en charge de soins visuels…

Réformer la filière de la santé visuelle pour une meilleure distribution des rôles

Seuls autorisés à réaliser les actes de réfraction et le bilan ophtalmique, les ophtalmologistes règnent en maîtres sur la filière. Pourtant, cette profession connaît un bouleversement démographique avec des départs en retraite massifs dans les 10 prochaines années, 57% ayant plus de 55 ans (DREES, présentation mission, 2019). Une pénurie qui ne sera pas immédiatement compensée par de nouveaux entrants, compte tenu du numerus clausus et de la durée d’études. Un problème de taille, alors même que leur nombre est déjà insuffisant pour répondre à la demande, portant à 80 jours le délai moyen d’obtention d’un rendez-vous. Et ce, pour les patients en capacité de se déplacer et ayant la chance de réussir à décrocher un créneau, car nombre de ces médecins ne renouvellent plus leur patientèle. Un constat alarmant, accélérant le non recours aux soins et le risque de développer des problèmes annexes.

Tout comme on ne prend pas rendez-vous chez un gastroentérologue pour un mal de ventre, la clé réside dans le fait de décharger les ophtalmologistes d’une partie des patients de premier recours, ce au profit des opticiens. L’objectif ? Leur permettre de libérer du temps aux patients nécessitant une expertise médicale, de sorte à les recevoir dans un délai restreint. Plus nombreux en France (40 783 opticiens vs. 5 506 orthoptistes vs. 5 850 ophtalmologistes) et plus jeunes (53% ont moins de 35 ans), les opticiens pourraient étendre leurs champs de compétences, de la pratique d’examens d’exploration jusqu’à la primo-prescription. C’est la filière toute entière qui doit être réformée de sorte à établir une meilleure redistribution des rôles entre les "3-O" (Ophtalmologistes, Orthoptistes, Opticiens), faisant de l’opticien un "assistant collaborateur" de l’ophtalmologiste. Nous pourrions imaginer la mise en place d'un tronc commun de missions partagées – et donc des formations décloisonnées – entre les orthoptistes et les opticiens afin que ces derniers puissent réaliser des actes de dépistage et de prévention en soutien des ophtalmologistes qui seront consultés (en présentielle ou par voie de télémédecine) pour l'interprétation des résultats et la réalisation de la prescription ou de l'acte chirurgical. Une redistribution des rôles qui a déjà fait ses preuves en Allemagne et aux Pays-Bas, où la distinction entre soins primaires et secondaires a permis de diminuer les délais de consultations.

Penser la santé visuelle mobile pour les personnes dépendantes ou en perte d’autonomie

Un récent rapport de l’Igas (Inspection générale des affaires sociales) présente des recommandations pour le bénéfice d’une très grande majorité de la population, notamment le fait d’autoriser les opticiens au renouvellement d’ordonnance pendant 7 ans (contre 5 auparavant) pour les 16-42 ans. Mais quelles solutions pour nos aînés ? Et quid des problèmes d’accès aux soins visuels ? L’immense majorité des plus de 60 ans (97%) présente un trouble de la vision (DREES, Études & Résultats, Juin 2014). Une population à considérer en priorité, d’autant que le nombre de nos seniors dépendants devrait doubler, pour atteindre 4 millions en 2050, d'après l'Insee. La pratique de la mobilité pour les professionnels de la vue doit ainsi être encouragée et financée, de sorte à faciliter l’accès à la santé visuelle pour toutes et tous, notamment pour les personnes dépendantes, en perte d’autonomie, ou en zones rurales. Enfin, alors que l’Igas recommande l’ouverture de la télémédecine aux opticiens dans les magasins par l’élargissement des matériels d’exploration non invasifs, quelle réponse apporter au marché de l’optique "hors les murs"? Si elle reste encore une niche estimée à 800 millions d’euros, la santé visuelle mobile est déjà une réalité pour une partie oubliée de la population, et est vouée à un avenir prometteur au regard de l’évolution de nos modes de consommation. Nous avons ainsi tout intérêt à accélérer la prise en charge de la santé visuelle sur les lieux de vie (à domicile, en établissements et services médico-sociaux, en Ehpad ou en résidences services seniors) et, une fois encore, à élargir le champ des compétences des opticiens, les plus à même de se déplacer en proximité.