Comment la robotique change la vie des chirurgiens

Comment la robotique change la vie des chirurgiens Les opérations sont plus faciles et plus sûres. Ce marché prometteur est aussi un champ de bataille entre mastodontes et start-up.

"On n'imagine pas un menuisier découper ses planches en traçant ses plans à main levée. C'est pourtant ce qui se passe encore aujourd'hui la plupart du temps en chirurgie". Bertin Nahum, PDG et fondateur de la start-up MedTech, sait de quoi il parle. L'entrepreneur français a consacré toute sa carrière à mettre au point des robots chirurgicaux aux côtés des praticiens. En 2012, il a été nommé quatrième entrepreneur high-tech le plus innovant au monde par la revue scientifique canadienne Discovery Series, juste derrière Steve Jobs, Mark Zuckerberg et James Cameron. 

Car MedTech opère sur un créneau en plein boom. Selon le cabinet Wintergreen Research, le chiffre d'affaires mondial des robots chirurgicaux s'élevait à 3,2 milliards de dollars en 2012 et devrait atteindre 19,96 milliards d'ici 2019.

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Le robot de Dextérité Surgical prolonge la main du chirurgien en démultipliant ses gestes. © Dextérité Surgical

L'avènement de la robotique chirurgicale a véritablement démarré le 7 septembre 2001, avec l'Opération Lindbergh. Ce jour-là, une cholécystectomie (ablation de la vésicule biliaire) a été pratiquée depuis New York sur une patiente se trouvant à Strasbourg. 

Depuis, le recours à la robotique a conquis pratiquement tous les domaines : chirurgie cardiaque, gynécologie, endocrinologie, ophtalmologie, et surtout urologie. "Aux Etats-Unis, 30% des ablations de la prostate [réalisées en cas de cancer] sont opérées grâce à un robot", assure Jacques Marescaux, professeur à l'hôpital universitaire de Strasbourg et qui figure parmi les meilleurs spécialistes mondiaux de la chirurgie assistée par robot.

Le robot chirurgical a pu émerger grâce à l'essor de la chirurgie laparoscopique (ou mini-invasive), qui consiste à manier des instruments à travers de minuscules incisions dans la peau du patient, tout en suivant ses gestes sur un écran. Ce type de chirurgie offre d'énormes avantages pour les patients : réduction de la durée d'hospitalisation, des douleurs post-opératoires, des risques d'infection, des épanchements sanguins,  des cicatrices, et du temps de rétablissement.

Des milliers de chirurgiens novices peuvent pratiquer des opérations complexes réservées autrefois à des initiés

Le problème, c'est que ce type d'opération nécessite une technique assez pointue, loin d'être maîtrisée par la plupart des chirurgiens. Et c'est là que la robotique entre en jeu, en facilitant le geste opératoire. "Notre robot est très intuitif", assure ainsi Pascal Barrier, président et co-fondateur de Dextérité Surgical, une start-up française qui commercialise un robot d'assistance destiné aux opérations gynécologiques et urologiques. "Il suffit de deux heures de formations et de quatre ou cinq opérations pour être à l'aise". 

Le robot rend également les gestes plus précis, grâce à un effecteur qui permet la démultiplication du geste du chirurgien : "Si je bouge la main de dix centimètres par exemple, le robot ne se déplace que d'un centimètre à l'intérieur de l'organe", explique le professeur Marescaux. Les tremblements de la main sont supprimés, et les robots les plus perfectionnés analysent en temps réel chaque mouvement pour guider le praticien. Du coup, des milliers de nouveaux chirurgiens novices peuvent pratiquer des opérations complexes réservées autrefois à des initiés.

Le robot da Vinci, un monopole écrasant

Si quelques start-up comme MedTech ont réussi à percer sur le marché, une seule machine est à l'heure actuelle capable d'effectuer tous types d'opérations (sur commande du chirurgien, et non en reproduisant ses gestes) : le robot da Vinci, commercialisé par l'entreprise américaine Intuitive Surgical. Un robot qui détient à son compteur plus d'un million et demi d'opérations à travers le monde. 

3 102 machines à 1,5 million de dollars pièce (prix actuel) ont été vendues au 30 juin 2014, dont 79 en France. Intuitive Surgical a réalisé en 2013 un chiffre d'affaire de 2,26 milliards de dollars et sa capitalisation boursière atteint 16,6 milliards de dollars. 

Sur le marché des robots chirurgicaux à proprement parler (les autres robots assistent le chirurgien mais ne pratiquent pas eux-mêmes le geste), l'Américain détient un monopole depuis sa fusion avec son concurrent Computer Motion en 2003. Ce qui lui permet d'imposer des prix très élevés. "les coûts de maintenance sont facturés près de 150 000 euros par an pour de simples mises à jour logiciel", s'énerve Jacques Marescaux, qui utilise la machine au quotidien.

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Le robot chirurgical da Vinci d'Intuitive Surgical a déjà été vendu à plus de 3 100 exemplaires à travers le monde. © Intuitive Surgical

Mais cette outrageante domination devrait prendre fin prochainement. Plusieurs brevets d'Intuitive Surgical vont tomber dans le domaine public d'ici la fin 2014. Et les concurrents sont déjà dans les starting blocks. Les coréens Samsung et Meere, le canadien Titan, et surtout l'Irlandais Covidien, leader mondial des dispositifs médicaux, s'apprêtent à lancer leur propre robot. "On devrait logiquement aboutir à une baisse importante des prix", assure Jacques Marescaux.

Le développement de ce type d'appareil, qui nécessite des investissements colossaux, reste loin de portée des start-up françaises. Celles-ci ont toutefois leur carte à jouer sur leur domaine. Notamment grâce à leur prix : le robot Rosa de Medtech coûte autour de 400 000 euros, quatre fois moins qu'un robot da Vinci. L'appareil de Dexterité Surgical est lui vendu environ 100 000 euros. 

Parmi les jeunes pousses qui montent, on peut aussi mentionner Robocath, qui permet de manipuler des cathéters à distance en évitant aux professionnels de s'exposer aux rayons. Ou encore EndoControl, spécialisée dans la chirurgie endoscopique, lauréat du concours mondial d'innovation organisé par l'Etat français en 2014. "Les technologies médicales sont naturellement appelées à être un domaine d'excellence pour la France", assure Bertin Nahum. "Nous avons les meilleurs ingénieurs et les meilleurs chirurgiens du monde".