Marcin Hejka (Intel Capital) "J'aimerais investir davantage en France"

Responsable des investissements d'Intel Capital en Inde et en Europe, Marcin Hejka évoque la stratégie du fonds et les technologies de demain qu'il compte soutenir.

JDN. Quel est l'objectif du fonds Intel Capital et quelles sont les synergies avec Intel Corp. ?

Marcin Hejka est vice-président d'Intel Capital © Intel Capital

Marcin Hejka. Intel a commencé à investir dans des start-up innovantes au début des années 1990 avec l'objectif d'accélérer l'innovation et de faire grandir l'écosystème digital dans son intégralité. En faisant cela, Intel gagne sur deux tableaux : elle peut à la fois vendre davantage de microprocesseurs à l'industrie,  tout en gagnant en tant qu'investisseur lorsque ses sociétés ont du succès. Nous investissons chaque année en moyenne entre 400 et 500 millions de dollars. Nos secteurs privilégiés d'investissement sont actuellement l'intelligence artificielle, les drones, les objets connectés, les véhicules autonomes et la 5G.

De quelle manière Intel aide-t-il les start-up de son portfolio à croître 

Il n'y a pas de règle, cela va avant tout dépendre des besoins des entrepreneurs. Nous pouvons par exemple les mettre en contact avec nos équipes d'ingénieurs qui pourront les aider à tester et à améliorer leurs plateformes. Il nous arrive également d'ouvrir nos canaux de distribution ou d'organiser des rencontres avec de potentiels partenaires et clients grâce à notre réseau à l'international. En retour, nous concluons des accords spécifiques avec elles, par exemple en leur demandant d'optimiser leurs solutions pour qu'elles fonctionnent au mieux avec les processeurs Intel. 

Vous mentionnez la 5G comme l'un de vos secteurs d'investissement. Que va changer cette nouvelle génération de réseau mobile ?

Nous sommes désormais entourés d'objets connectés qui génèrent énormément de data : téléphones, montres intelligentes ou futurs véhicules connectés... toutes les données générées par ces appareils ont besoin de transiter par le cloud. Pour que ces transferts de data se fasse de manière optimale, une connexion fiable et rapide est indispensable. Ces appareils vont ainsi logiquement tirer la demande vers le haut pour ce type de connectivité et nous pensons que la 5G répond à ce besoin. Chez Intel Capital, une équipe est d'ailleurs chargée de repérer des start-up dans ce secteur.

Quand pensez-vous qu'il sera possible de croiser des véhicules autonomes sur les routes ?

"Il est très difficile de prédire qui remportera la bataille du véhicule autonome"

Il y a aujourd'hui un nombre conséquent d'entreprises qui travaillent sur ces véhicules autonomes. Des start-up comme de grandes entreprises. La technologie est aujourd'hui plus mature et des entreprises comme Tesla ou Uber réalisent déjà des pilotes sur les routes. Tout ceci me laisse à penser que ces véhicules autonomes envahiront nos routes plus tôt qu'on ne le pense. S'il reste évidemment encore des progrès à faire d'un point de vue technologique, il faut aussi et surtout que la législation suive. 

Par exemple, dans beaucoup de pays un véhicule n'a pas le droit de rouler s'il n'est pas équipé d'un volant et de rétroviseurs. Pourtant ces éléments sont tout à fait superflus dans un véhicule autonome qui fonctionne avec des capteurs !  Il faudra aussi que la mentalité des consommateurs évolue pour que ce bouleversement puisse avoir lieu. 

Croyez-vous que le futur leader du véhicule connecté puisse être une start-up ?

Il est très difficile de prédire qui remportera la bataille du véhicule autonome à l'heure actuelle. Dès qu'un nouveau secteur émerge, cela crée évidemment beaucoup d'opportunités pour les start-up. Si construire une voiture connectée coûte cher, ces véhicules nécessitent néanmoins tout un tas de technologies qui peuvent être développées par de jeunes pousses. Je pense par exemple aux systèmes de navigation ou encore aux systèmes de détection de collision. Intel Capital a ainsi récemment investi dans une start-up française, Chronocam, qui est à l'origine d'une technologie de capteurs vidéo pouvant parfaitement être intégrés aux véhicules autonomes pour détecter des collisions (Intel Capital a annoncé en octobre 2016 un investissement de 38 millions de dollars dans 12 start-up, dont Chronocam, ndlr).

Pourquoi investissez-vous autant dans le Big Data et le Machine Learning ?

Ce n'est pas un secret, il y a de plus en plus de données récoltées grâce à tous les capteurs qui nous entourent. Selon des spécialistes, près de 90% des données disponibles dans le monde auraient été créées au cours des 12 derniers mois ! Un véhicule connecté peut ainsi générer des centaines de Gigabytes de données à chaque minute. Pourtant, la majorité de ces données ne sont pas analysées. C'est la raison pour laquelle nous investissons dans des start-up spécialisées dans le Big Data. Nous misons sur des entreprises capables d'extraire des informations de cette manne de données en trouvant des corrélations entre elles. Je peux vous citer l'exemple de Good Data, une entreprise de notre portfolio basée en République Tchèque qui permet de traiter et de visualiser des données non-structurées à grande échelle.

Pouvez-vous donner quelques exemples concrets des bénéfices tirés de cette exploitation des données ?

Regardez les systèmes de navigation actuels, ils peuvent prédire avec exactitude le temps que vous allez mettre pour vous rendre d'un point A à un point B. Si cette exploitation des données offre des avantages pour le consommateur, je pense qu'elle aura un impact considérable dans le monde industriel et qu'elle permettra de réaliser des gains de productivité énormes. Prenez l'exemple de la maintenance industrielle. Si vous êtes gestionnaire d'une usine, il vous est généralement recommandé de réaliser une maintenance de vos lignes de production chaque année. Or, fermer une ligne de production est extrêmement coûteux pour une entreprise, d'autant que cette ligne n'a peut-être pas été très exploitée et qu'elle n'a donc pas forcément besoin d'une maintenance... Grâce à la technologie, il est désormais possible de prédire à quel moment telle ou telle ligne de production aura besoin d'effectuer une maintenance en se basant sur leur utilisation réelle. 

L'une des craintes liées au développement de la technologie, et notamment du Machine Learning, est qu'elle conduirait inévitablement à des destructions d'emploi. Quel est votre point de vue? 

"Israël reste le second hub technologique mondial"

Je ne regarde pas la situation sous cet angle-là. Je pense surtout que le développement technologique ouvre la porte à de nouvelles opportunités. N'oublions pas qu'il faudra aussi des hommes pour créer ces nouvelles technologies. Les emplois de demain seront ainsi concentrés dans le domaine de la R&D et feront appel au potentiel intellectuel de l'humain. Ces jobs sont généralement très bien payés et nécessitent un niveau d'éducation élevé, ce qui devrait donc aussi tirer le système éducatif vers le haut à plus long terme. Enfin, les entreprises technologiques, lorsqu'elles connaissent le succès, ont un impact bénéfique sur l'Economie. Alors certes, la destruction d'emplois est toujours une étape difficile et certaines tâches basiques et répétitives vont être remplacées par la technologie. Pour autant, les bénéfices liés au progrès de la technologie sur notre société sont incontestables.

Avez-vous prévu d'autres investissements en France ? Quel regard portez-vous sur l'écosystème français ?

Depuis sa création, Intel Capital a investi 1,8 milliard de dollars en Europe dans plus de 300 entreprises. Historiquement, nous avons toujours investi dans des entreprises françaises et j'aimerais même y investir davantage. La France est aujourd'hui l'un des marchés les plus actifs du capital risque en Europe. Pour autant, Londres est depuis toujours le principal hub pour les start-up en Europe et j''observe aussi que l'écosystème de Berlin croit à grande vitesse. Mais si ces trois villes sont intéressantes, Israël reste à mes yeux le second hub technologique mondial derrière la Silicon Valley. 

Marcin Hejka est l'un des vice-présidents du fonds Intel Capital. Il est notamment responsable de tous les investissements menés en Europe et en Inde. Avant de rejoindre Intel Capital en 1999, Marcin Hejka a été 5 ans vice-président dans un fonds d'investissement polonais appelé 'Poland Growth Fund'. Il est diplômé d'un master en économie de l'université polonaise de Gdansk.