Le partage des données au coeur de la transformation économique, politique, et même humanitaire

À l'heure de la pandémie, nous réalisons bien plus qu'avant l'importance de la disponibilité de données fiables, précises, en temps réel et à une échelle globale.

Combien de personnes sont contaminées et quand aurons-nous atteint l’immunité de groupe ? Comment expliquer que tel hôpital, région, ou pays obtienne de meilleurs résultats que d’autres ? Pour le déconfinement, disposerons nous d’une application mobile apte à minimiser les risques de contamination sans pour autant nuire à notre vie privée ?

Pourtant, la montée en puissance de la pandémie a repoussé, voire selon certains remis en cause, le déploiement de la nouvelle stratégie européenne en termes de données et d’intelligence artificielle annoncée au mois de février dernier. L’UE, à travers Margrethe Vestager à la tête du portefeuille de la Concurrence et du Numérique et de Thierry Breton, commissaire Européen au marché intérieur, souhaitait y affirmer ses ambitions en termes de leadership et de souveraineté.

Elle s’est d’ailleurs fixé quelques objectifs pour ce nouveau mandat dont celui de mieux encadrer l’exploitation des données, de faciliter leur partage et de développer les partenariats publics/privé pour accélérer la recherche et le développement. Le débat a été rattrapé par la crise du Covid-19, après l’appel lancé par plusieurs gouvernements dans le monde demandant aux opérateurs mobiles et aux géants du Web de partager leurs données. Mais trouver une solution commune n’est pas chose simple comme le montrent les multiples initiatives de chaque pays qui pose question sur leur capacité d’interopérer au travers des pays européens.

Comment faciliter le partage des données entre organisations et des frontières temporaires ou permanentes sans briser la confiance du public et veiller à la bonne utilisation de celles-ci ? Comment convaincre les entreprises qui possèdent les plus grands volumes de les partager ? La donnée peut-elle être vue comme un principe fondamental d’une société ?

L’Europe : chef de file d’une nouvelle ère des données 

"Faire en sorte que l’UE devienne un modèle et un acteur majeur d’une société dont les moyens d’action sont renforcés par les données" : c’est la phrase d’accroche que l’on peut lire sur la page dédiée à la stratégie numérique de l’UE. La stratégie de l’Europe ne se limite pas à établir des règles pour l’accès aux données, leur exploitation et leur circulation au sein et au-delà de l’UE. Elle envisage la mise en place de "data spaces" destinés au partage des données pour l’industrie, la santé, l’environnement ; elle souhaite aussi animer un programme d’éducation aux données pour les citoyens Européens.

L’ambition est aussi de dessiner les nouvelles règles d’une société où la donnée devient un principe phare et une des clés pour un futur qui s’adapte sans heurts aux changements. Elle souhaite toutefois que l’Homme garde le contrôle sur les données et les algorithmes et propose à ce titre d’établir une base réglementaire pour les déploiements de l’IA et l’exploitation des données biométriques.

Après le RGPD, l’Europe ouvre la voie vers une société pleinement consciente des données en permettant à chacun d’en comprendre les enjeux, le potentiel et les risques. Il s’agit de mettre en place non seulement une économie mais aussi une "démocratie des données" où des règles communes et égalitaires géreront échanges et initiatives.

Des enjeux de taille

Depuis l’avènement des Big Data la question de l’ouverture de ces données a été largement débattue et pour cause : leur partage est identifié par beaucoup comme un levier majeur de compétitivité et d’innovation dans la mesure où nombre d’entreprises et institutions publiques pourraient en tirer des services innovants

Certains secteurs sont particulièrement avancés dans l’exploitation des données mais aussi dans leur partage, à l’image du secteur bancaire.  D’autres secteurs comme l’agriculture ou encore le transport sont appelés à partager d’avantage leurs données pour encourager l’innovation.

Notre activité génère quotidiennement des données qui sont ensuite recueillies par des organisations privées ou publiques. La collecte des données et notamment des données personnelles peut-être encore perçue de manière négative par le grand public, malgré l’entrée en vigueur du RGPD.

Malheureusement beaucoup d’entreprises sont encore réticentes à l’idée d’ouvrir leur coffre-fort de données. Partager ses données permet de positionner l’entreprise comme un leader dans son secteur qui contribue à stimuler l’innovation dans son industrie et à la création de nouveaux services pour les usagers. 
C’est pourquoi la création de plateformes dédiées à des industries spécifiques, voient le jour. Dans le secteur aéronautique, Airbus a lancé la plateforme de partage de données Skywise, pour collecter et connecter le plus grand nombre de données associées aux avions pour en améliorer la performance et prévenir les incidents.

Le secteur de la santé n’est pas en reste avec son Health Data Hub. Cette structure publique fonctionne comme un guichet unique, sécurisé, à destination des acteurs de la santé. Il rassemblera les données diverses issues de l'Assurance-maladie et des données cliniques. Lancé en fin d’année 2019, le système n’en est qu’à ses prémices, mais souligne la volonté gouvernementale de mettre les données au premier plan de la recherche et de l’innovation dans la médecine.

L’ouverture des bases de données privées pour le bien public dans le secteur de la santé est malheureusement plus que jamais d’actualité. Récemment, des chefs d’Etats ont demandé aux plus grands détenteurs de données de géolocalisation, les géants du Web, ainsi qu’aux opérateurs mobiles, d’ouvrir leurs bases de données aux instituts de recherche médicale pour lutter contre la propagation du coronavirus. En effet, de telles données peuvent permettre d’affiner nos connaissances sur la propagation d’un virus en étudiant de manière plus précise les déplacements de la population et les régions les plus critiques pour mobiliser les moyens nécessaires.

Certaines situations, comme celle que nous sommes en train de vivre en ce moment, confèrent à la donnée un caractère d’utilité publique. Les données deviennent alors une arme puissante qui, si elle est correctement utilisée, transparente et gouvernée, devient un levier considérable de gestion des risques.

Le partage des données permet à tout un chacun d’avoir une meilleure connaissance des évènements qui bouleversent notre monde mais donne également une puissance supplémentaire aux initiatives de groupe dans les domaines qualifiés de « data for good ». Le partage des données peut amener vers la construction d’une nouvelle société protectrice où de nouveaux moyens d’assistance peuvent être mis en place par les gouvernements grâce à des données privées. En parcourant l’explorer de Datacollaborative.org, on découvre ainsi que BBVA, en partenariat avec United Nations Global Pulse, a analysé les données de transactions bancaires avant, pendant et après l’ouragan Odile en 2014 pour mesurer la résilience des communautés après une catastrophe naturelle. Ou encore le projet data2x Financial Inclusion for Women où plusieurs organisations financières ont pour projet de collecter des données bancaires où les femmes seraient discriminées afin de leur fournir un meilleur accès aux services financiers.

Cependant, la vigilance doit être de mise car on peut se noyer très vite dans un océan de données si on ne sait pas correctement nager. Si un programme éducatif démocratisé de la donnée n’est pas mis en place, le partage des données à des fins citoyennes peut très vite avoir un effet contraire ; la donnée deviendrait incomprise ou mal interprétée. Cela creuserait également une inégalité des données, déjà installée. Il en va de même de la qualité et de la pertinence des données.

Nul doute que nous pouvons tous bénéficier du partage des données. La première décennie de la data qui vient de se terminer a vu naitre la science des données, gageons que les dix prochaines années verront le partage de ces données se généraliser. L’Union Européenne se veut en tous cas précurseur et législateur d’un partage de données encadré, pour le bien commun et pour une économie dynamique.