L'énergie abondante, verte et pilotable, c'est possible avant 2050 : voici ce qui échappe à Jean-Marc Jancovici

La chute continue du coût de l'énergie solaire photovoltaïque va bientôt permettre de générer du méthane vert à partir du CO2 de l'atmopshère compétitif face aux gaz fossile bien, voici comment.

Dans les débats sur la transition énergétique, la figure de Jean-Marc Jancovici est incontournable : à l'écouter, si nous voulons limiter les dégâts, il est urgent de réduire notre consommation d'hydrocarbures, et dans tous les cas, ceux-ci ne seront plus aussi abondants que par le passé. Il aime à répéter que le pic de production mondiale du pétrole conventionnel a été atteint en 2008 par exemple.

Compte tenu d’une part des difficultés à déployer en masse énergies renouvelables et nucléaire, et d’autre part du problème de l'intermittence pour les énergies renouvelables non-pilotables, on n'aura le choix au XXIème siècle, dit-il, qu'entre privations subies ou choisies : pauvreté ou sobriété.

C'était un raisonnement imparable et tout à fait pertinent...jusqu'à récemment : nous avons depuis quelques années assez de recul sur certaines tendances de fond pour pouvoir dire qu'il comporte des failles majeures quant à l’après 2050, que nous allons aborder dans cette tribune.

En résumé

  •  1. Le prix de l’énergie solaire photovoltaïque (PV) baisse de façon quasi continue depuis 1970
  • 2. Au rythme actuel, avant 2040 il va devenir moins cher de produire du gaz de synthèse neutre en carbone grâce à l’air ambiant et au solaire PV que de l’extraire du sol dans la plupart des cas
  • 3. Il y a assez de matières premières et de surfaces ensoleillées dans le monde pour construire et installer un parc de panneaux à même de générer chaque année en gaz l’équivalent de notre consommation actuelle en énergies fossiles
  • 4. Au rythme actuel des déploiements de panneaux, avec un parc total installé qui double tous les 2 ans, on pourrait atteindre la taille critique dès 2040
  • 5. Et c’est sans compter les progrès sur la fusion. Jean-Marc Jancovici n’envisage pas un début d’exploitation commerciale avant 2095, mais des entreprises en pointe prévoient un début d’exploitation avant fin 2030.

On en conclura que l’abondance énergétique neutre en carbone est en vue avant 2050, ce qui nous permettra de faire chuter d’ici là à quasi zéro les émissions nettes mondiales de CO2 et donc de limiter la hausse du réchauffement climatique aux fameux 1.5°C. L’objectif supposait en effet d’y arriver d’ici 2050 d’après le GIEC.

Les incitations économiques se mettent en place pour cela, mais tout effort de sobriété et investissement supplémentaire dans les autres énergies décarbonées sont plus que bienvenus pour limiter plus encore la casse.

1. La vertigineuse chute du coût de l’énergie solaire photovoltaïque (PV)

Une façon de quantifier l’énergie produite ou consommée est d’utiliser l’unité MWh, pour mégawatt-heure. 1 MWh est égal à 1,000 kWh (kilowatt-heure).

Pour contexte, un foyer français consomme en moyenne 350 kWh d’électricité par mois, dont le coût moyen en 2022 était de 0.21€/kWh, représentant une facture moyenne de 70€ par mois.

Voyez ce graphique ci-dessous, il représente l’évolution du coût de production d’1 MWh pour différentes sources de 2009 à 2019.

© Our World in data

Regardez la courbe rouge de l’électricité solaire PV : elle a décliné de 89% en 10 ans pour devenir la moins chère !

On parle ici du coût « LCOE », pour « Levelized Cost Of Energy », qui prend le coût initial de construction d’une infrastructure et l’ajoute aux coûts d’opération et de maintenance (dont les coûts financiers, le loyer) sur toute sa durée de vie, et divise ce tout par la quantité totale d’énergie qui sera produite, pour arriver à un coût complet par unité d’énergie produite.

Ce coût ne tient pas compte par défaut de l’intermittence de certaines énergies, mais nous allons expliquer plus loin pourquoi ce n’est pas un problème pour la synthèse d’hydrocarbures neutres en carbone.

On voit donc qu’on est passé de plus de 350 US$ en 2009 à 40 US$ le MWh en 2019, ce qui revient à 0.04$ le kWh (kiloWatt-heure).

Cette chute spectaculaire a fait mentir le pronostic de l’Agence Internationale de l’Énergie (IEA en anglais) formulé en 2010 pour la décennie qui allait suivre. L’IEA en 2010 prévoyait qu’en 2019 l’énergie solaire PV coûterait autour de 0.23$/kWh, près de 6 fois plus que la réalité des 0.04$/kWh !

À la vitesse à laquelle en 2010 l’IEA voyait ces coûts baisser, il aurait fallu encore attendre 100 ans pour arriver au coût auquel on est en fait aujourd’hui.

Mais pourquoi les prix de l’énergie solaire PV ont-ils chuté à ce point ?

Les panneaux solaires se prêtent à la loi de Wright, une loi empirique qui décrit cette tendance des produits construits en masse et dont la demande n’est pas saturée à voir leur coût baisser d’un pourcentage à peu près constant à chaque doublement de la production totale cumulée, du fait de l’innovation, de la concurrence et des économies d’échelle. On connaît bien le nom de cette loi pour les microprocesseurs, la loi de Moore, et elle porte aussi un nom pour les panneaux solaires, la loi de Swanson. Un cycle vertueux a été enclenché, plus le coût de fabrication des panneaux baisse, plus on en installe, et plus on en installe, plus on investit dans la recherche et plus on apprend à les faire et les installer plus efficacement, et plus leur coût de fabrication baisse, et ainsi de suite.

De 1970 à 2020, le coût d’un panneau solaire a ainsi été divisé par 500, passant de 100$/watt à 0.2$/watt. Cette chute des prix est en fait unique dans l’histoire du déploiement d’infrastructures physiques, selon l’expert en énergie Ramez Naam. On peut calculer que le prix a baissé en moyenne de 20% à chaque doublement du parc total installé sur cette période.

Et si on en revient au coût de l’énergie solaire PV produite, le « Levelized Cost Of Energy», l’Agence Internationale pour les Énergies Renouvelables (IRENA en anglais) a calculé qu’il baisse de 38% chaque doublement du parc total installé. La conséquence est qu’on assiste à une explosion de la production et des installations année après année.

La capacité installée totale cumulée dans le monde croît de façon exponentielle également au sens où elle double à intervalle de temps régulier. C’est même mieux que cela, cet intervalle de temps se réduit ! Il a fallu 4 ans pour arriver au doublement en 2015, que 3 ans pour le doublement d’après en 2018, et moins de 2 ans pour le dernier doublement achevé en 2023.

Cette explosion a en fait surpris tout le monde, il est intéressant d’en revenir aux prévisions de l’Agence Internationale de l’Énergie (IEA), elle s’est systématiquement trompée. Son rapport de 2019 prévoyait qu’en 2021 on installerait moins de 125GW de panneaux solaires. En réalité 180GW ont été installés cette année, et l’explosion du déploiement se poursuit à ce jour !

Pourquoi les prix de l’énergie solaire PV continueraient-ils à baisser dans les prochaines années ?

Car hausse de la demande, augmentation des volumes et baisse des prix s’autoalimentent, et que les ressources nécessaires pour produire les panneaux sont suffisamment abondantes (cf partie 3).

L’énergie solaire PV est déjà moins chère que ses concurrentes dans certains endroits du monde, où il est maintenant plus rentable d'installer et d'opérer un nouveau champ de panneaux solaires que de continuer à opérer une centrale existante au charbon ou au gaz.

Compte tenu de l’appétit insatiable de nos économies modernes pour l’énergie, et plus encore pour une énergie propre et bon marché, à mesure que les coûts baissent, il sera rentable de produire cette énergie renouvelable dans toujours plus d’endroits sur Terre. La demande ne peut donc que continuer à exploser tant que les prix baissent.

Et les prix baisseront en parallèle on l’a dit du fait des économies d’échelle réalisées grâce aux volumes de production toujours plus grands, grâce aux investissements en R&D, grâce aux améliorations apportées aux processus de fabrication des panneaux et de leur installation, exploitation et maintenance.

Prenons l’exemple de l’entreprise Erthos qui aux Etats-Unis révolutionne le secteur avec le concept de pose à même le sol des panneaux, là où jusqu’à maintenant on les posait en position inclinée accrochés à des supports en acier, des supports soit fixes, soit avec la possibilité de bouger pour suivre le soleil. Avec leur système, Erthos peut certes capter moins d’énergie par panneau, mais elle peut disposer bien plus de panneaux au total dans un périmètre donné, voici la liste des avantages :

  • Les panneaux solaires n’ont plus besoin de supports en acier, ce qui économise 35 tonnes d’acier par MW de panneaux installés 
  • Un tel champ de panneaux solaires à plat s’installe 4 fois plus vite que la norme jusque-là
  • 70% moins de câbles utilisés
  • 70% moins de travaux de terrassement
  • 70% moins d'eau utilisée
  • Résiste beaucoup mieux aux tornades car moins de prise au vent
  • Entretien moins cher car automatisé avec des robots nettoyants capables de rouler sur les panneaux posés à l’horizontal parterre
  • Jusqu'à deux fois plus d'énergie produite par unité de surface vs l'état de l'art, car plus de panneaux installés dans un périmètre donné : besoin de 9,310m2 pour installer 1MW de puissance, contre entre 20,000 et 40,000m2 pour la norme jusque-là

Avec ces innovations, le CEO d’Erthos expliquait fin août 2023 qu’ils sont en mesure de proposer aujourd’hui un « Levelized Cost Of Energy» pour des projets dans le sud des Etats-Unis de 25-26$/MWh, alors que les prix de marché des concurrents sont autour de 31-32$. Et ce prix va bien sûr continuer de baisser au fur et à mesure que le coût de fabrication des panneaux baissera lui-même.

Est-ce que les prix vont continuer à baisser indéfiniment ?

Non bien sûr, mais en réalité il suffit juste qu’ils baissent encore quelques années au rythme actuel pour qu’on puisse produire du gaz et autres hydrocarbures de synthèse neutres en carbone à un prix compétitif d’abord, mais ensuite rapidement plus bas que ceux du marché, quasiment partout sur Terre. Cela permettra à l’explosion des installations de continuer jusqu’à saturation de la demande et élimination quasi totale des énergies fossiles à terme !

2. Avant 2040 il sera plus rentable de fabriquer du gaz de synthèse que de l’extraire du sol à peu près partout

La startup Terraform Industries, fondée par Casey Handmer, un ancien ingénieur du prestigieux labo Jet Propulsion Laboratory (JPL) de la NASA, a publié en janvier 2023 un livre blanc édifiant qui explique par le menu comment il sera très bientôt possible grâce à l’énergie solaire PV de transformer l’air de l’atmosphère en méthane (gaz naturel) à des prix compétitifs.

Un tel gaz de synthèse a l’avantage d’être neutre en carbone : on prend du carbone de l’atmosphère pour le synthétiser, et on en émet autant quand on le brûle, le bilan est nul, on n’a pas ajouté de CO2 à l’atmosphère en net.

Le concept est assez simple : utiliser l’énergie solaire PV pour capter eau et CO2 présents dans l’atmosphère, séparer l’eau par électrolyse en hydrogène H2 et oxygène O2, faire réagir hydrogène et CO2 pour produire du méthane (CH4) prêt à être injecté dans un pipeline, sans besoin de compression intermédiaire. Leur système génère même de l’eau liquide en excès, prélevée dans l’atmosphère, et ce même dans les zones désertiques.

Ce sont des techniques qui sont également envisagées pour produire du méthane et de l’oxygène sur Mars à partir des éléments présents sur la planète rouge, le méthane et l’oxygène constituant le couple carburant/comburant utilisé par la fusée Starship de spaceX en développement ! Ce n’est pas un hasard si le fondateur de Terraform Industries travaillait sur des rover martiens à la NASA !

Il est même possible de générer d’autres hydrocarbures à partir du méthane, comme le kérosène pour les avions. Cette technique va donc permettre de battre sur les prix à terme toutes les énergies fossiles ! La question est de savoir si on pourra la déployer assez vite et jusqu’à quelle échelle, ce que nous allons voir dans les prochaines parties.

La beauté, la simplicité de leur approche est de ne pas chercher à mettre au point les machines les plus efficaces qui soient pour ces procédés, mais les machines les moins chères possibles, en misant sur la baisse continue de l’énergie solaire PV.

Citons un passage tiré de leur livre blanc qui illustre parfaitement leur philosophie :

  • « Nos machines sont simples. Elles utilisent des matériaux et des pièces standard disponibles presque partout sur Terre. Leur fabrication est simple et ne nécessite aucun outillage de précision, aucune formation approfondie ou matériaux particulièrement dangereux. (…) Les outils sont à notre disposition. Les brevets ont expiré il y a 50 ans. Ce processus n’est pas particulièrement difficile, il s’est simplement révélé historiquement peu rentable car l’électricité n’était pas assez bon marché à l’époque. Elle l’est maintenant. »

Leur machine, dévoilée en juin, est conçue pour convertir de l’électricité à 0,01$/kWh en gaz naturel (méthane) neutre en carbone à un prix de moins de 0.5€/m3. Pour contexte on était entre 1€ et 3€ le m3 de gaz selon les critères en France en décembre 2022.

Leur machine pourra tenir démontée dans un container, sa production démarre en 2024. Elle n’a pas à être reliée au réseau électrique : couplée à un champ de panneaux solaires, elle utilise directement toute l’électricité produite pour générer du méthane sur place.

Mais quand diable sera-t-on à 0,01$/kWh pour l’énergie solaire PV ? Cela va bien sûr dépendre notamment des endroits dans le monde et du coût des panneaux solaire. Au rythme actuel de la baisse des coûts des panneaux, les endroits les plus propices permettront de produire du méthane de synthèse compétitif dès 2024, les endroits intermédiaires d’ici à 2032 et les marchés les moins propices avant 2040. Cela pourrait prendre plus de temps mais ne change rien à l’issue finale, c’est inévitable. En réalité, du fait des subventions aux Etats Unis suite à l’Inflation Reduction Act, couplée à la guerre en Ukraine, c’est déjà rentable dans le sud-ouest des Etats-Unis !

Compte tenu des prix du gaz en Europe, s’ils y installaient des machines aujourd’hui et s’il y avait assez de panneaux solaires en place, même à leur prix d’aujourd’hui, alors ils seraient déjà meilleur marché que le gaz que l’Europe importe !

Pourquoi ne pas en rester à de l’hydrogène vert ? Pourquoi ne pas tout miser sur la “hydrogen economy” ?

Nous avons dit que la production d’hydrogène était une des étapes intermédiaires, mais pourquoi ne pas en rester là ? En effet, ce serait un hydrogène vert au prix compétitif !

C’est possible, mais l’hydrogène est bien plus difficile et cher à stocker et transporter que le méthane. Le méthane est dix fois plus dense à température ambiante que l’hydrogène, au format gazeux. Une tonne d’hydrogène va ainsi occuper dix fois plus de volume qu’une tonne de méthane. Sachant aussi que le méthane se liquéfie à -160°C contre -253°C pour l’hydrogène, et que le méthane liquide reste encore 6 fois plus dense que l’hydrogène liquide. L’hydrogène H2 est un très petit composé, qui s’infiltre partout, fuit très facilement. Il est aussi très instable, très dangereux, avec un grand risque d’explosion en contact avec l’oxygène dans les milieux confinés, et à partir de concentrations bien plus faibles que les hydrocarbures. Les risques d’accident sont donc très élevés et si nous devions tout miser sur la “hydrogen economy”, une catastrophe finirait par arriver inévitablement, ce qui ne manquerait pas d’ébranler une telle transition.

Comme les baisses de coût de l’énergie solaire PV à venir vont permettre aussi de produire du méthane vert compétitif, autant le faire, car il est beaucoup plus facile à stocker et transporter, la demande est bien plus grande, et les infrastructures déjà existantes, contrairement à l’hydrogène où tout reste largement à faire !

3. Il y a assez de matières premières et de surfaces ensoleillées dans le monde pour construire et installer un parc de panneaux et de machines à même de générer chaque année le gaz de synthèse équivalent à notre consommation actuelle d’énergies fossiles

Partons de la consommation mondiale annuelle totale d’hydrocarbures en 2022 qu’on peut arrondir à 140,000 TWh, c’est-à-dire 140 millions de GWh. Supposons qu’on produise tous ces hydrocarbures sous la forme de gaz de synthèse avec de l’électricité solaire PV et les machines de Terraform Industries, voyons si c’est possible.

Expérimentalement, l’efficacité de la conversion d’énergie électrique en gaz est autour de 30%, il faut donc 3.33 unités d’énergie électrique pour avoir une unité d’énergie sous forme de gaz. Il nous faudra donc produire 420 millions GWh d’énergie solaire PV par an pour produire l’équivalent de toutes les énergies fossiles que nous avons consommées dans le monde en 2022.

Il s’agit là d’un besoin probablement supérieur à celui de 2040, car en réalité la consommation mondiale d’hydrocarbures baissera à terme du fait de l’électrification, entre autres, du transport terrestre, du chauffage (pompes à chaleur) et des plaques de cuisson.

En effet, ces activités, une fois électrifiées, demanderont moins d’énergie pour le même résultat :

  • Une voiture électrique transforme près de 90% de l’énergie consommée en mouvement, contre 20% pour une voiture thermique : à énergie égale, une voiture électrique ira plus de quatre fois plus loin !
  • Certains modèles de pompe à chaleur affichent un rendement de 400 % ou plus, ce qui signifie que 4 kWh de chaleur peuvent être créés dans une maison pour 1 kWh d'électricité consommé par la pompe. Les chaudières à gaz modernes font au mieux 90% et ne peuvent pas dépasser les 100% du fait des lois de la physique.

Ainsi, même si toute l’électricité supplémentaire pour cette électrification est produite en brûlant des hydrocarbures, il en faudra beaucoup moins qu’on en brûle aujourd’hui pour cela dans les véhicules thermiques et les systèmes de chauffage et de cuisson.

Les économies d’énergie primaire réalisées par l’électrification devraient plus que compenser par ailleurs la hausse à venir des besoins énergétiques liés à l’essor du trafic aérien et maritime. Il y a de la marge vu que le transport routier émet aujourd’hui quatre fois plus de C02 que les transports aériens et maritimes réunis.

Nul besoin de batteries, nul besoin de raccorder le nouveau parc de panneaux au réseau

Comme toute l’énergie solaire PV générée va servir directement sur place à faire du gaz de synthèse neutre en carbone, nul besoin de se poser la question du cuivre ou des délais nécessaires pour raccorder les champs de panneaux au réseau électrique. Nul besoin non plus de se soucier de l’intermittence, nul besoin de se doter de batteries.

On se demande seulement dans notre scénario s’il va être possible de produire chaque année toute l’énergie solaire PV nécessaire pour synthétiser en gaz l’équivalent des énergies fossiles utilisées aujourd’hui, et à quelle échéance.

Commençons par la question de la surface requise

En partant de la technologie d’Erthos détaillée plus haut, on peut calculer qu’il faudrait pour cela une surface d’environ 2.2 millions de km2, soit 1.4% des terres émergées. Les déserts australiens occupent 2.7 millions de km2. On en aurait donc besoin de 80%. Mais tout n’aura pas besoin d’être en Australie, on pourra aussi installer des infrastructures dans le Sahara (qui fait 9.2 millions de km2), et les autres endroits arides et semi-arides dans le monde, en Arabie Saoudite, en Chine, etc. À vrai dire les Etats-Unis ont assez de place pour subvenir à leurs besoins actuels en hydrocarbures. Et après quelques années supplémentaires de baisse du prix des panneaux solaires, on finira aussi par avoir une énergie solaire PV suffisamment basse même dans les zones moins ensoleillées que ces zones arides.

Bref, la place n’est pas un facteur limitant. Quand l’énergie solaire PV permettra de produire du gaz de synthèse pour moins cher que les énergies fossiles qu’on extrait du sol, il y aura assez de place disponible sur Terre sans problème pour se déployer jusqu’à les remplacer quasiment toutes !

Quid maintenant des matières premières nécessaires ?

On peut estimer qu’il faudra environ 700 milliards de panneaux de 350 watts, sachant qu’un panneau solaire standard de 350 watts pèse aujourd’hui autour de 20kg dont 76% de verre, 10% de polymère plastique, 8% d'aluminium, 5% de silicium, 1% de cuivre et moins de 0,1 % d'argent et autres métaux.

Une des raisons pour lesquelles le coût des panneaux va baisser, on l’a vu, est qu’on parviendra à les produire avec moins de matière, les besoins en matières par watt de puissance installée ne peuvent donc que baisser !

C’est le verre dont on aura le plus besoin à date. Pour en faire il faut surtout du sable et du calcaire, qui sont suffisamment abondants. Mais devinez quoi ? On sait déjà aujourd’hui faire des panneaux solaires sans verre ! C’est ce que fait l’entreprise Bila Solar, 350 watts à 6.4kg, plus que trois fois plus légers que la norme aujourd’hui, et pour une même durée de vie !

La matière souvent montrée du doigt est le cuivre. Pour notre parc de panneaux solaires à même de produire l’énergie solaire PV nécessaire pour produire l’équivalent en gaz de tous les hydrocarbures consommés en 2022, on peut calculer qu’il faudra en tout environ 150 millions de tonnes de cuivre.

Les réserves de cuivre dans le monde sont estimées aujourd’hui à 870 millions de tonnes, et les ressources en cuivre à 5,000 millions de tonnes. Les réserves sont des gisements qui ont été découverts, évalués et jugés rentables à ce jour. Les ressources sont bien plus importantes et comprennent des réserves, des gisements découverts potentiellement rentables et des gisements non découverts prévus sur la base d'études géologiques préliminaires. Le cuivre est naturellement présent dans la croûte terrestre. Pour se donner une idée, en l’an 2000 les réserves étaient estimées à moins de 350 millions de tonnes.

Pour la matière considérée comme la plus problématique, il faudra donc 17% des réserves estimées à ce jour, et 3 % des ressources. Et on ne le dit pas souvent, mais au pire des cas on peut substituer au cuivre l’aluminium, à coût et poids divisés par deux à conductivité égale. L'aluminium est 1 200 fois plus abondant que le cuivre.

Le silicium quant à lui, silicon en anglais, est ultra abondant, constitue plus de 27% de la croûte terrestre, on le trouve dans le sable et le quartz : il n’est pas limitant.

Bref, le cuivre et les autres matières premières ne seront pas non plus des facteurs limitants pour les panneaux solaires !

Quid des machines de Terraform Industries ?

Il faudra en tout et pour tout environ 236 millions de machines d’une masse de moins de 2 tonnes chacune, soit  maximum 500 millions de tonnes de masse. Leur machine Mark One n’utilise pas de métaux rares, c’est un impératif de conception pour l’entreprise. Juste un peu de nickel. Très peu de cuivre, juste pour les câbles.

L’entreprise prévoit qu’il suffira d’en construire 60 millions par an en vitesse de croisière. Soit 120 millions de tonnes de masse par an à raison de 2 tonnes par machine. Supposons que ce soit principalement de l’acier, il n’y aura pas de problème, la production d’acier était de près de 2 milliards de tonnes en 2022 et est largement extensible, car reposant sur le fer, parmi les éléments les plus abondants de la croûte terrestre.

Quant au nickel, on peut calculer qu’il faudra en tout et pour tout moins de 7% des réserves mondiales estimées à ce jour, sachant que le nickel, comme le cuivre et tous les métaux, se recycle sans problème.

La construction de ces machines ne sera pas non plus un facteur limitant.

Quid de l’énergie nécessaire pour produire les panneaux ?

Il faut environ 200 kWh d’énergie aujourd’hui pour produire un panneau de 100 watts. En étant conservateur, on peut estimer que dans les pays arides et semi-arides un tel panneau pourra produire sur toute sa durée de vie 4,400 kWh d’électricité, transformable en 1,300 kWh d’énergie sous la forme de gaz grâce aux machines de Terraform Industries.

Il faut donc investir au départ 200 kWh en énergie au maximum pour en obtenir ensuite 1,300 kWh sur 25 ans, un investissement énergétique plus que rentable. Le déploiement va prendre un certain temps, on va le voir dans la prochaine partie, mais le besoin énergétique ne peut pas l’empêcher !

4. Au rythme actuel des déploiements de panneaux, avec un parc total installé qui double tous les 2 ans, on pourrait atteindre la taille critique dès 2040

Nous avons vu en seconde partie que la démarche est déjà rentable dans certains endroits et le sera bientôt presque partout, apportant ainsi les incitations et le combustible financier pour une explosion exponentielle des installations, même si le coût des panneaux solaires cesse de baisser après cela.

En partie 3, nous avons constaté que ni la place, ni les matières premières, ni l’énergie ne pourront empêcher l’inévitable remplacement quasi-total des énergies fossiles par les hydrocarbures de synthèse.

Mais reste la question du calendrier, combien de temps cela va-t-il prendre pour arriver à 236,000 GW de puissance totale installée ? C’est le niveau requis pour produire l’équivalent en méthane de synthèse de notre consommation mondiale actuelle en énergies fossiles.

Le parc total mondial installé à fin 2023 sera autour de 1,600 GW. Nous avons vu précédemment qu’à fin 2023 il aura fallu moins de 2 ans pour voir ce parc total doubler. Le temps mis pour doubler s’est même réduit de doublement en doublement depuis un certain temps.

Supposons que le temps mis pour doubler cesse de se réduire et même ralentisse un peu pour se stabiliser à tous les 2 ans. Au bout de sept doublements, en 2039, on dépasse les 400,000 GW de puissance totale installée. Même sans suivre ce tempo, il semble possible d’atteindre les 236,000 GW installés d’ici à 2050.

Soyons clairs, on parle bien là d’un chantier titanesque, sans l’ombre d’un doute, l’industrie des panneaux solaires va exploser. Mais rien d’impossible ici, au contraire : la rentabilité, l’espace, les matières premières le permettent tout à fait. Cette révolution pourra être décalée, retardée de quelques années, mais elle paraît inéluctable, inarrêtable, et du reste déjà lancée.

Avant 2050, nous pourrions être en mesure de synthétiser de façon neutre en carbone pour l’atmosphère, et pour moins cher qu’aujourd’hui, l’équivalent en gaz de la quantité d’énergie fossile consommée en 2022 dans le monde.

5. La fusion nucléaire commerciale, ce n’est pas pour 2095

Jean-Marc Jancovici dans son cours à l’École des Mines numéro 6 n’envisage pas un début d’exploitation commerciale de la fusion nucléaire avant 2095, « Vous oubliez, cela ne fait pas partie des moyens du bord » dit-il ex cathedra. Il l’assimile au projet ITER qui effectivement ne progresse pas vite.

Mais dans le privé, l’écosytème est en plein boom, avec plus de 40 entreprises sur le créneau comme le rapporte The Economist, et il y a maintenant de sérieuses raisons d’avancer cette date drastiquement.

Parce que le nucléaire a longtemps voulu dire chantiers pharaoniques nécessitant l’intervention des états, Jean-Marc Jancovici considère sans doute que cela ne peut pas changer.

Mais on disait de même du spatial, souvenez-vous : seuls quelques états peuvent concevoir et fabriquer des fusées, et aucun d’entre eux ne pourra jamais les faire se reposer…jusqu’à ce qu’Elon Musk vienne dynamiter ces idées reçues. Il en a maintenant inspiré plus d’un dans d’autres domaines longtemps considérés la prérogative des nations.

Prenons par exemple l’entreprise Commonwealth Fusion Systems (CFS)

CFS a levé 2 milliards de $, elle vise la première réaction à énergie positive pour 2025, avec un déploiement commercial rapide à partir de 2030. 2030 ! Là où Jean-Marc Jancovici nous parle de 2095, mais que s’est-il passé ?

Voici le résumé d’un entretien avec le fondateur de CFS, intitulé « Peut-on remplacer toutes les centrales au charbon d’ici à 2040 ? »  :

  • Des innovations récentes en science des matériaux ont permis de mettre au point des superconducteurs qui peuvent ensuite être utilisés pour faire des aimants bien plus puissants que ce qu'on savait faire jusque-là : "un changement radical dans les 300 ans d’histoire des aimants".
  • La communauté des chercheurs sur la fusion leur a dit : " Si vous aviez cet aimant, cette machine fonctionnerait et serait très petite. Nous ne voyons pas de véritables obstacles à part cet aimant "
  • Ils ont réussi à le créer cet aimant, deux fois plus puissants que l'état de l'art jusque-là.
  • CFS s'en sert pour construire un appareil pour la fusion bien plus petit que ce que fait ITER qui n'utilise pas ces innovations : ça tient dans un garage, contre un bâtiment de la taille d'un stade pour ITER, qui est le plus grand projet de construction en Europe.
  • En fait CFS a fait en 3 ans sur leur technologie des aimants ce qui a pris 25 ans à ITER.
  • ITER vise la première réaction à énergie positive pour 2035, CFS vise 2025.
  • Ensuite, le déploiement commence en 2030, et pourra aller très vite. Comme CFS a un système compact et utilise la fusion pour faire chauffer de l'eau, pas forcément besoin de reconstruire des centrales de zéro, ils vont pouvoir reconvertir les centrales au charbon et gaz dans le monde.

En avril, les autorités aux Etats-Unis ont décidé que la fusion serait beaucoup moins réglementée que la fission nucléaire. Les déploiements seront bien plus faciles politiquement, et donc plus rapides et moins chers.

Intéressons-nous également à un deuxième acteur, Helion.

Helion a levé 500 millions de $ en 2021, dont 375 millions investis par Sam Altman, qui n’est autre que le CEO d’OpenAI. Avant cela il était le CEO de Y Combinator, l’incubateur à succès très réputé derrière des succès comme Airbnb, Dropbox ou Stripe.

Il s’agit de son plus gros investissement jamais réalisé dans une start-up. Il écrivait en juillet 2022 : « Helion a progressé encore plus vite que prévu et est en bonne voie en 2024 pour 1) démontrer la fusion avec un gain d'énergie net et 2) résoudre toutes les questions nécessaires à la conception d'un générateur de fusion à fabriquer en masse. »

« Les objectifs sont assez ambitieux : une énergie propre et à 0.01$/kWh et la capacité de fabriquer suffisamment de centrales électriques pour satisfaire la demande électrique actuelle de la Terre d’ici à dix ans. »

Sam Altman avait initialement investi 10 millions de $ dans Helion, mais avait ensuite considérablement augmenté son investissement, encore plus confiant que cela allait fonctionner.

Helion prévoit à terme de construire des centrales de la taille d’un grand container (15m2 d’empreinte au sol) capables de produire de l’électricité d’une puissance de 100MW. Par comparaison, avec des panneaux solaires il faudrait 931,000 m2, 62,000 fois plus de place.

En mai 2023, Helion annonçait un accord d'achat d'électricité avec le géant du logiciel Microsoft. Helion mettra sa première centrale en service en 2028, avec atteinte de sa pleine capacité de production d'au moins 50 MW moins d’un an plus tard.

« Il s'agit d'un accord contraignant qui entraîne des sanctions financières si nous ne parvenons pas à construire un système de fusion », a déclaré David Kirtley, fondateur et CEO d'Helion. « Nous nous sommes engagés à pouvoir construire un système et le vendre commercialement à Microsoft. »

Les progrès technologiques dans les domaines des ordinateurs, de l’électronique et des réseaux à fibres optiques rendent maintenant l’approche d’Helion possible. Helion compte utiliser de l’hélium-3, mais pas besoin d’aller le chercher sur la lune, il sera produit en fusionnant du deutérium dans ses générateurs à fusion. Les océans contiennent assez de deutérium pour répondre à tous les besoins énergétiques actuels de l’humanité pendant des milliards d’années.

Les entreprises les plus en pointe parlent donc d’un début de déploiement dès 2028 et 2030 ! Il y aura certainement du retard, mais de là à dire qu’il ne faut rien en attendre avant 2095, tout de même ! J’ai demandé à Jean-Marc Jancovici, qui m’a déjà répondu en personne sur d’autres points, s’il souhaitait revoir cette date à l’aune de ces dernières informations, j’attends encore sa réponse.

Concluons 

On s’en sortira avec le solaire par les prix, avec une abondance énergétique neutre en carbone en vue avant 2050. La fusion pourra venir aussi à la rescousse pour accélérer encore ce calendrier, mais ce n’est pas indispensable. Sachant que pour limiter le réchauffement à 1.5°C il faut atteindre le net zéro d’ici à 2050 d’après le GIEC, on devrait pouvoir y arriver sans avoir à choisir à partir de là entre pauvreté ou sobriété !

Mais d’ici là, toutes les émissions de CO2 qui ne pourront pas être capturées et stockées, c’est-à-dire la quasi-totalité, vont continuer de pourrir l’atmosphère, il reste donc urgent de continuer à investir dans les autres « climate tech » et de prôner la sobriété autant que possible pour limiter plus encore la casse et viser un réchauffement plus faible même que les 1.5°C !