Henri Capoul (Bolt) "Bolt a dépassé le million d'utilisateurs actifs en France"
Le DG France du VTC estonien (ex-Taxify), plus gros concurrent d'Uber en Europe, tire le bilan de ses deux premières années sur le marché français et revient sur l'échec de son service de trottinettes à Paris.
JDN. Présente dans 35 pays et 100 villes, la plateforme VTC estonienne Bolt (ex-Taxify) fête début octobre ses deux ans d'activité en France. Où en êtes-vous aujourd'hui ?

Henri Capoul. Quand je regarde en arrière, je trouve que nous avons fait un très beau travail. Nous avons pu grossir et trouver notre place sur le marché avec une petite équipe de 25 personnes en France. Nous sommes aujourd'hui présents à Paris et à Lyon et avons dépassé le million d'utilisateurs mensuels actifs cette année. Côté chauffeurs, entre 18 et 19 000 d'entre eux réalisent au moins une course sur Bolt sur trois mois roulants. Ce qui correspond à la quasi-totalité des professionnels du marché. La grande majorité des chauffeurs et des utilisateurs se trouve à Paris, qui représente les trois quarts du marché national des VTC.
Nous avons aussi su trouver un business plan plus sain tout en continuant à croître. Lorsque nous sommes arrivés, nous distribuions d'énormes réductions aux clients et de gros bonus aux chauffeurs. Nos pratiques sont plus rationnelles aujourd'hui, car nous ne pouvions rester aux mêmes niveaux d'investissement qu'à notre arrivée. Mais notre activité n'est pas encore rentable en France, car nous continuons d'investir dans notre croissance.
Vous êtes arrivés en France avec la promesse d'être le moins cher pour l'utilisateur et le plus rentable pour les chauffeurs, avec une commission à 15%. Cette commission est passée à 19%, et votre prix à la minute a augmenté de 20%. Cette promesse est-elle encore tenue ?
Il est vrai que nous sommes arrivés sur le marché avec des prix très agressifs, mais avec comme fil directeur de mieux rémunérer les chauffeurs. Ces changements de tarification visent justement à améliorer leur rétribution. A 19%, notre commission demeure plus basse que chez les gros acteurs (25% chez Uber, 22% chez Kapten, ndlr), même si d'autres prélèvent en effet moins (par exemple Heetch, à 15%, ndlr).
Sauf qu'avec l'augmentation des prix, les chauffeurs gagnent en moyenne 10% de plus qu'avant. Nous investissons aussi une partie de nos marges dans un nouveau programme de fidélité lancé en septembre. Il réduit progressivement notre commission en fonction du nombre de courses effectuées chaque semaine par un chauffeur sur Bolt. Nous ne prélevons plus du tout de commission au-delà de 50 courses.
"Nous ne pouvions rester aux mêmes niveaux d'investissement qu'à notre arrivée"
Ces augmentations signifient-elles que vous vous sentez en meilleure position sur le marché pour améliorer vos marges ?
C'est surtout une compétition pour attirer les chauffeurs, qui ne sont pas assez nombreux et sont atomisés entre plusieurs plateformes. Payer 1 euro de plus son voyage ne changera pas grand-chose pour nos utilisateurs, alors qu'un euro de plus par trajet pour nos chauffeurs peut faire une énorme différence.
Prévoyez-vous des lancements dans d'autres villes françaises ?
Pas dans les mois à venir. Mais nous avons bien l'intention à terme d'ouvrir d'autres grandes villes comme Lille, Bordeaux ou Toulouse. Nous commencerons à nous y intéresser en 2020.
En 2018, Bolt a lancé en grande pompe un service de trottinettes électriques à Paris, son tout premier marché sur cette nouvelle activité. Neuf mois plus tard, vous vous êtes retiré de la capitale. Que s'est-il passé ?
C'était un marché compliqué, avec douze acteurs et beaucoup de dégradations par rapport aux niveaux constatés en Europe du Nord et de l'Est. Etant donné le besoin d'avoir des volumes importants pour dégager des revenus stables, nous avons fait le constat que ce n'était pas le bon moment pour lancer cette activité à Paris.
Les choses se sont calmées aujourd'hui. Il ne reste que cinq ou six opérateurs, et encore : certains ont seulement quelques dizaines de trottinettes actives. Plusieurs start-up seront bientôt à court de cash et auront du mal à lever à nouveau des fonds. Le sursaut de la mairie de Paris, qui souhaite organiser un appel d'offres limitant le nombre d'opérateurs, a été salutaire car la situation devenait chaotique en avril-mai. Je reste toutefois convaincu que les trottinettes sont un moyen de transport viable. Nous allons donc nous préparer pour répondre à l'appel d'offres, qui permettra des conditions plus saines de rentabilité, mais aussi de croissance. Car on ne peut pas diviser Paris entre douze opérateurs.
"Nous allons répondre à l'appel d'offres sur les trottinettes de la mairie de Paris"
N'est-ce pas un peu facile de mettre en cause les dégradations ? C'est un phénomène bien connu depuis les Vélib' et les vélos en libre-service. N'auriez-vous pas dû intégrer ces coûts à votre business model ?
Nous avons pris en compte ces pertes, mais le véritable sujet est la concurrence. Le niveau de dégradation est insoutenable dans un contexte de compétition entre douze acteurs. C'est pour cela que nous avons décidé d'arrêter notre activité et de revenir uniquement si la mairie nous choisit lors de l'appel d'offres. D'autant que les parts de marché d'un opérateur peuvent s'écrouler du jour au lendemain s'il n'est pas retenu.
Poursuivez-vous votre activité trottinettes hors de France ?
Oui et c'est un vrai succès dans plusieurs villes d'Estonie. Nous préparons aussi un nouveau produit qui permettra à des entreprises de connecter leurs flottes de trottinettes à notre application, à la manière de la mise en relation que nous faisons entre chauffeurs VTC et clients. Ce nouveau modèle existera en parallèle de nos propres flottes de trottinettes que nous gérons nous-mêmes avec l'aide de prestataires.