Lawrence Leuschner (Tier Mobility) "Tier Mobility pourrait acquérir des concurrents dans les trottinettes électriques en 2021"

Discret acteur de la trottinette électrique en libre-service en France, l'allemand Tier a pourtant gagné trois des quatre appels d'offres organisés dans l'Hexagone (Paris, Lyon, Grenoble). Son PDG détaille sa stratégie.

JDN. Pouvez-vous présenter Tier et son modèle économique ?

Lawrence Leuschner est le co-fondateur et PDG de Tier Mobility. © Tier Mobility

Lawrence Leuschner. Nous avons fondé l'entreprise en 2018 à Berlin avec Mathias Laug et Julian Blessin. Depuis, nous avons déployé plus de 50 000 trottinettes actives dans 75 villes européennes, dont 35 en Allemagne. Nous sommes leaders en Europe en termes de trottinettes déployées et d'appels d'offres gagnés. Depuis le début, notre stratégie consiste à développer un modèle entièrement intégré, avec nos propres employés et non pas des auto-entrepreneurs, ainsi que nos propres entrepôts. Ce qui nous amène à employer aujourd'hui 700 personnes. Puisque nous avions moins de capital que nos gros concurrents américains, nous nous sommes focalisés sur la durée de vie de nos appareils, qui est passée de quelques mois à trois ans avec notre dernier modèle. Car si vous avez des durées de vie dix fois supérieures, vous avez besoin de dix fois moins de capital. Et vous pouvez déployer davantage de trottinettes avec la même somme.

50 000 trottinettes pour 75 villes, cela signifie que vous déployez d'assez petites flottes. Pourquoi ne pas avoir concentré vos efforts sur moins de villes à plus grande échelle, comme l'ont fait certains de vos concurrents ?

En effet, notre flotte moyenne par ville est comprise entre 600 et 700 trottinettes. Notre stratégie a toujours été d'avoir de petites flottes dans un grand nombre de villes. Grâce à notre levée de fonds en série B à 100 millions de dollars bouclée début 2020, nous pouvons à présent nous permettre d'augmenter progressivement la taille moyenne des flottes pour qu'elles atteignent quelques milliers d'appareils dans les mois à venir, là où les autorités le permettront. A Paris, nous sommes prêts à passer d'ici quelques semaines à 5 000 appareils à la suite de l'appel d'offres que nous avons remporté (aux côtés de deux autres opérateurs, Dott et Lime, ndlr). La capitale française deviendra ainsi notre plus gros marché au monde.

"Paris à elle seule représente un potentiel de 15 millions d'euros par an"

Quels revenus annuels vous attendez-vous à toucher grâce aux différents appels d'offres remportés en Europe ?

Nous en avons gagné trois en France : Paris, Lyon et Grenoble, trois dans les pays nordiques et un en Suisse. Paris à elle seule représente un potentiel de 15 millions d'euros par an. Les autres marchés remportés devraient apporter 15 autres millions d'euros.

En passant d'un marché libre à un marché encadré, le nombre de courses par appareil ne devient-il pas la seule manière de continuer à croître, puisque la taille des flottes est limitée ?

Absolument, c'est l'indicateur sur lequel il faut travailler. Pour ne pas perdre de courses potentielles, il faut maintenir la flotte en bon état, s'assurer d'une bonne distribution des appareils sur le territoire et respecter les régulations locales.

Vous avez racheté 5 000 scooters en libre-service au défunt Coup (Bosch). Comptez-vous venir concurrencer Cityscoot en France, ou plutôt trouver des marchés avec des acteurs moins dominants ?

Nous nous concentrons sur l'Allemagne où nous avons déployé ces scooters dans trois villes : Berlin, Munich et Cologne. La France nous intéresse, mais je n'ai pas de calendrier à communiquer pour le moment.

"Pour nos scooters, la France nous intéresse"

D'après vos premières observations dans ces trois villes, scooters et trottinettes sont-ils complémentaires ou recouvrent-ils les mêmes usages ?

Nous constatons que 50% de nos utilisateurs de scooters utilisent aussi nos trottinettes, il y a donc un chevauchement entre les deux pratiques. Mais nous observons également que les scooters sont utilisés pour des trajets plus longs. Par ailleurs, ils nous aident à recruter de nouveaux clients : 50% des nouveaux utilisateurs de Tier sont des utilisateurs de scooters.

Que pensez-vous des mouvements de concentration à l'œuvre sur le marché, par exemple avec les rachats de Circ par Bird et de Jump par Lime ?

A mon avis, il ne restera à terme que trois acteurs. Puisque nous sommes les leaders en Europe, nous étudierons des opportunités d'acquisition de concurrents l'année prochaine. Nous investissons aussi dans l'infrastructure, par exemple avec le rachat de la start-up Pushme, qui nous permet de proposer des stations de recharge dans des magasins.

Après une phase d'expansion agressive et de dépenses, les opérateurs cherchent désormais à devenir rentables. Où en êtes-vous ?

Nous sommes devenus rentables en Ebitda (avant intérêts, impôts, dépréciation et amortissement, ndlr) en juin. Nous avons assez de capital pour financer notre développement sans nouvelles levées de fonds, mais nous devrons en repasser par là si nous voulons financer des acquisitions.

Lawrence Leuschner est un entrepreneur allemand, co-fondateur et PDG de Tier Mobility. Il a également fondé en 2017 et dirige toujours le fonds d'investissement Blue Impact Ventures, ainsi que le site de vente de produits électroniques d'occasion reBuy (2004), dont il a abandonné la direction en 2017 pour se consacrer à Tier.