Guillaume Princen (Stripe) "En mars, Stripe a enregistré 20 000 nouveaux commerçants en France"

Le JDN poursuit sa série d'interviews de dirigeants face au coronavirus. Le directeur général France du prestataire de paiement revient sur l'explosion de son activité dans l'Hexagone et dans le monde.

JDN. Quelles ont été les impacts du confinement sur l'activité de Stripe en France ?

Guillaume Princen, directeur général de Stripe pour la France et l’Europe du Sud. © Stripe

Guillaume Princen. Nous avons constaté une accélération de l'offline vers le online. Deux statistiques montrent le changement de comportement des Français pendant la crise : 10% des internautes ont utilisé pour la première fois un outil de paiement en ligne et 19% des internautes ont pour la première fois acheté des produits alimentaires en ligne, principalement pour du click and collect. Certains de nos clients ont été très touchés, en particulier dans le transport et le voyage. D'autres ont, au contraire, bénéficié de cette crise, dans la médecine, l'alimentaire, l'éducation… Pour certains, c'était un peu Black Friday tous les jours. Par exemple, nous comptons parmi nos clients ManoMano qui a connu une forte croissance, Doctolib qui est passé de 1 000 à 100 000 téléconsultations par jour en quelques semaines, l'épicerie en ligne La Belle Vie, qui a quadruplé son activité pendant le confinement, et Décathlon qui a doublé son chiffre d'affaires en ligne. Rungis a de son côté développé un service de livraison direct to consumer, Qualifrais. Plus de 1 000 paniers sont livrés par jour et 40% des consommateurs reviennent sur la plateforme. Au niveau mondial, nous avons signé avec Zoom pendant le confinement. Son nombre d'utilisateurs a été multiplié par 20 entre décembre 2019 et mars 2020.

Avez-vous signé de nouveaux clients français pendant le confinement ? 

En mars, nous avons enregistré 20 000 nouveaux commerçants en France. Depuis, ils ont généré plusieurs centaines de millions d'euros de revenus. Il s'agit de petits commerçants comme par exemple un vendeur de fraises de Savoie qui a, du jour au lendemain, décidé de monter un site en ligne. De grandes enseignes nous aussi rejoint comme Décathlon et Monceau Fleurs. Aujourd'hui, nous ajoutons un client grand compte par jour dans le monde. 

Comment ces marchands, pas forcément habitués aux outils numériques, sont arrivés chez vous ?

Stripe est partenaire de nombreuses plateformes d'e-commerce comme Prestashop, Shopify, Salesforce et Magento. Certaines entreprises, qui ont créé elles-mêmes leurs propres sites web, nous ont contactés directement pour avoir une brique de paiement.

Les marchands vous ont-ils fait des demandes particulières ces dernières semaines ?

"Aucun marchand n'a fermé son canal online quand les magasins ont rouvert" 

Oui, nous en avons eu beaucoup. Par exemple, les places de marché voulaient des fonctionnalités permettant de mettre en pause un abonnement l'espace de quelques mois. De nombreux marchands nous ont aussi demandé des outils pour mieux gérer leur trésorerie, en particulier pour mieux prévoir les demandes de remboursement. Nous avons aussi eu des demandes pour les aider à mieux comprendre les aides d'Etat par pays.

Avez-vous observé une baisse de l'activité e-commerce de vos clients depuis le déconfinement et la réouverture des commerces ?

Aucun marchand n'a fermé son canal online quand les magasins ont rouvert. Le canal online est devenu un canal clé comme l'offline. Il faut prendre du recul sur ce qui s'est passé au début de la crise. Le gouvernement a rapidement pris des mesures pour digitaliser certains secteurs comme la téléconsultation ou les acquisitions immobilières, et donc pour permettre de payer en ligne ces services. La question qui se pose aujourd'hui est : quel va être le comportement du consommateur dans le futur ? Va-t-il prendre l'habitude de consommer en ligne ?  C'est évidemment difficile à prévoir. Je suis très optimiste de manière générale sur cette économie. Comme à chaque crise, les modes de vie et de consommation sont secoués et il en ressort toujours de nouveaux concepts et parfois même des géants du web. 

Avez-vous mis en suspens certains projets pendant le confinement ?

"L'offre de paiement en magasin arrivera très bientôt en Europe"

Pas vraiment, nous avons justement profité de cette période pour accélérer nos investissements. C'est d'ailleurs l'objet de la levée de fonds de 600 millions d'euros que nous avons annoncée en avril dernier. Nous continuons à renforcer les fondamentaux, comme l'infrastructure, pour être capables de toujours plus absorber de volumes. Nous avons aussi signé des partenariats stratégiques et intégré de gros réseaux de carte. 

Contrairement à Adyen, Stripe mise très peu sur le paiement en magasin. Cette crise vous conforte-t-elle dans ce choix ?

Nous avons lancé Terminal (le nom de l'offre de paiement en magasin, ndlr) aux Etats-Unis en 2018, et l'offre arrivera très bientôt en Europe. Nous ne faisons pas d'opposition entre offline et online. Les marchands ont simplement besoin d'une infrastructure unifiée pour leur permettre de proposer l'expérience client qui leur correspond le mieux. Terminal peut être un complément extrêmement intéressant dans certains cas, pour un pop-up store ou un réseau de franchise par exemple.

Quelle est votre roadmap 2020 pour la France ?

Nous reparlerons au moment de Sessions (conférence dédiée aux utilisateurs de Stripe fin 2020, ndlr). Certains produits que nous avons lancés dans d'autres géographies du monde vont arriver prochainement en France. Nous allons aussi nous appuyer sur notre hub d'ingénieurs en Europe pour continuer à investir ici.

Les banques et commerçants français demandent un report de l'authentification forte. Etes-vous d'accord avec eux ?

Nous ne prenons pas forcément de position là-dessus. Nous avons fait le pari d'être prêts au plus tôt pour permettre aux marchands de se préparer. Nos API seront adaptées quel que soit les changements à venir.

Guillaume Princen est directeur général de Stripe France depuis mai 2014. De 2010 à 2014, il était senior engagement manager chez McKinsey. En avril 2009, il a fondé MyC, une application de publicité mobile.

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