Fintechs et fonds de financement spécialisés : un couple en pleine lune de miel
Depuis plusieurs années déjà, des fintechs européennes investissent des segments de marché délaissés ou mal appréhendés par les banques pour développer de nouveaux modes de financement.
Depuis plusieurs années déjà, des fintechs européennes investissent des segments de marché délaissés ou mal appréhendés par les banques pour développer de nouveaux modes de financement des acteurs économiques. Si leur capacité d’innovation, le soutien de business angels et les opportunités considérables ouvertes par l’open banking leur ont permis d’amorcer leur activité et d’atteindre des niveaux de croissance importants, passer les étapes supérieures exigent d’augmenter leurs volumes de prêt en s’appuyant sur des financements supplémentaires. Or, les seuls acteurs en capacité d’assurer ce rôle si particulier sont aujourd’hui des fonds spécialisés qui dépoussièrent les codes de la finance.
Du revenue-based financing au paiement fractionné, un contexte favorable à l’émergence de nouveaux marchés
La créativité des fintechs européennes leur a permis de transformer les interstices laissés par les acteurs majeurs de la finance en marchés considérables sur lesquels prospérer tout en offrant des services précieux aux consommateurs et en permettant à d’autres acteurs économiques de se développer. C’est notamment le cas de celles qui développent de nouveaux modèles de paiement fractionné pour les particuliers, comme Pledg, mais aussi de celles qui développent le modèle du « revenue-based financing » pour les sociétés basées sur des technologies SaaS ou les e-commerçants, comme Silvr ou Karmen. La croissance extrêmement rapide de ces acteurs au savoir-faire tant technologique que financier repose sur un contexte favorable et de nombreux atouts. La digitalisation des outils d’évaluation financière des emprunteurs permet ainsi à ces acteurs d’octroyer des crédits dans des délais jusqu’ici inenvisageables mais aussi de développer une approche différente des risques, basée sur un ensemble large et dynamique d’informations. Le contexte réglementaire dans lequel ils évoluent est par ailleurs plus souple que celui que connaissent les banques et a notamment vu en 2019 l’entrée en vigueur de la directive européenne sur les services de paiement (DSP2) accélérant l’émergence de l’open banking.
Un financement classique non adapté à la croissance des fintechs
Dans ce secteur, le développement d’une technologie de rupture et l’investissement en R&D sont similaires à ceux des sociétés de technologie opérant sur d’autres marchés. Le capital alloué par les business angels et les fonds d’amorçage sert, comme ailleurs, à recruter une équipe et faire les investissements nécessaires au développement d’outils technologiques spécifiques. Ces premiers capitaux permettent également d’amorcer la pompe des premiers financements pour construire un début de track record et le « proof of concept ». Mais le véritable défi pour ces sociétés consiste à franchir l’étape supplémentaire, à savoir accélérer leur activité en augmentant leurs volumes prêtés afin d’atteindre l’équilibre d’exploitation, voire la rentabilité. Un moment décisif qui exige d’avoir recours à d’importants financements. Or, les pistes de financements classiques sont inadaptées. Toutes visent en effet le financement des investissements ou du BFR de la société pour sa croissance et non le capital disponible à être prêté à des tiers.
Le crédit bancaire est ainsi inaccessible aux startups faiblement capitalisées, sans actifs tangibles et non rentables. L’augmentation des fonds propres n’est quant à elle pas souhaitable car les actionnaires et fondateurs n’ont pas d’appétit pour la forte dilution de leur participation au capital entraînée par une nouvelle levée de fonds qui peut par ailleurs se révéler chronophage. Les fonds de venture debt, les prêts subventionnés ou en obligations souscrites par des business angels offrent pour la plupart des montants insuffisants pour cette étape tandis la titrisation est impossible face à un historique de performance souvent faible.
Le cercle vertueux de l’association avec la specialty finance
L’unique voie ouverte pour ces acteurs innovants est donc celle des fonds de dette privée spécialisés, ou « specialty finance ». Ceux-ci sont en effet les seuls à pouvoir leur apporter des capitaux à déployer en prêts permettant de passer du « proof of concept » au début de l’industrialisation, potentiellement stables sur 2 à 5 ans et pouvant être structurés de multiples manières de façon à assurer un alignement d’intérêts entre le fonds et la Fintech. Un tel alignement d’intérêts peut exiger une structuration complexe et impliquer des covenants, ces mécanismes de protection des capitaux engagés ou encore une participation optionnelle du fonds au capital de la Fintech, mais il est essentiel à la réussite du projet. C’est en effet celui-ci qui permet de garantir une prise de risque mesurée pour le fonds en échange d’un financement précieux à un coût raisonnable.
Une complémentarité entre financeurs en fonds propres et fonds de specialty finance
Des opérations de ce type constituent de véritables partenariats de long terme dans lesquels les fonds de specialty finance apportent leur expertise et jouent un rôle de mentor mais aussi de garde-fou afin d’éviter la dégradation de la performance accompagnant parfois l’augmentation des volumes prêtés. Tandis que les financeurs en fonds propres s’attachent dans un premier temps à estimer le marché et la croissance potentiels de la fintech, les équipes du fonds de financement évaluent précisément la rentabilité des opérations de prêts et s’attachent à ajuster finement l’ensemble de la mécanique de financement. Les approches de ces deux acteurs du financement se révèlent donc parfaitement complémentaires. Le fonds apporte un financement rare et essentiel à un stade crucial de son développement, généralement entre early stage et série A, et reçoit en compensation des options sur le capital de la fintech afin de bénéficier de sa valorisation sur le long terme.
La création de telles synergies illustre la capacité des acteurs de la specialty finance à soutenir des acteurs émergents en développant des modes de financement innovants. A ce titre, elles constituent des opportunités majeures pour l’ensemble de l’écosystème fintech français.