Paiement inclusif : attention à ne pas freiner le progrès !
L'industrie du paiement risque de compromettre l'inclusivité numérique face à des contraintes techniques et financières, ce qui contredirait son histoire marquée par l'inclusion.
L’industrie du paiement est-elle en train de renoncer à l’inclusivité numérique face aux défis techniques et financiers ? Ce choix serait à la fois une erreur stratégique, une injustice sociale et un contre-sens historique. Depuis toujours, l’histoire du paiement s’est construite sur une quête d’inclusion. L’arrivée de la carte bancaire, devenue incontournable dans le commerce de détail, a incarné une promesse d’universalité : un outil simple et accessible à tous, facilitant des transactions sécurisées. Le slogan "Pour tout le reste, il y a Mastercard" reflétait parfaitement cette vision démocratique.
Historiquement, le secteur du paiement s’est montré attentif à ces problématiques d'inclusivité. Les exemples abondent : terminaux plus simples et moins onéreux pour les petits commerçants, Compte Nickel offrant une solution bancaire simple sans conditions de revenus, paiements en plusieurs fois répondant aux difficultés de pouvoir d’achat... Ces innovations ont toutes contribué à construire un environnement fluide et simple pour toutes les transactions. Aujourd'hui, cependant, la situation s’inverse. Les innovations récentes dans le domaine des paiements présentent des risques de plus en plus marqués en matière d’exclusion. En cause : l'accessibilité des technologies numériques et les critères d’éligibilité technique potentiellement discriminants.
Rappelons qu'aujourd'hui encore, toutes les banques ne sont pas compatibles avec les wallets de paiement mobile (surtout pour les détenteurs de smartphone Android avec Google Pay ou Samsung Pay). Autre exemple : si depuis 2022 il était possible d’acheter ses tickets de métro RATP sur les téléphones Android, les iPhones étaient exclus de cette innovation jusqu’en 2024 ! Enfin, lors des JO, l'application “Paris 2024 Tickets”, qui permettait notamment de revendre ses billets, n’étaient compatibles qu’avec certaines versions d’Android ou d’iOS. Autant d’occurrences ou la technologie est venue entraver l’inclusivité au lieu de la favoriser.
L’expérience de paiement a connu des transformations majeures, notamment avec l’accélération des usages durant la pandémie de Covid-19. Le sans contact s’est imposé comme une norme, réduisant les frictions et offrant une accessibilité accrue. Cependant, d’autres pratiques, comme l’utilisation massive de QR codes dans la restauration pour commander et payer directement à table, soulèvent des questions d’inclusivité. Pour les personnes moins à l’aise avec le numérique, cela peut devenir une source de frustration. Derrière cette évolution, la logique financière : ces outils, sous couvert de modernité, permettent aussi de réduire les coûts de personnel dans certains établissements, au détriment de l’expérience client d’une partie de la population.
Or, la fracture numérique persiste : selon l’INSEE en 2024, 14% de la population française n’a pas utilisé Internet au cours des 3 mois précédant l’enquête. On note aussi des disparités fortes à la fois géographiques et sociales : pour revenir aux usages liés au paiement, selon le baromètre annuel Opinion Way pour Lyf, quand près de 50% des franciliens déclarent avoir adopté le paiement mobile, ils ne sont qu’un tiers en régions.
A rebours de cette tendance, on trouve l’industrie du crédit qui semble avoir compris le danger de l’exclusion et entame le chemin inverse. Alors même que, par définition, le crédit cherche à discriminer, les biais de sélection ne sont pas une fatalité. Grâce à l’open banking (partage, par le demandeur d’un prêt, de son historique de transaction bancaire à l’établissement de crédit qu’il sollicite) et à l’IA, nous sommes désormais capables d’observer une amélioration significative du taux d’acceptation pour des populations solvables mais n’ayant pas facilement accès au crédit (travailleurs indépendants, moins de 35 ans, …).
L’industrie du paiement pourrait s’en inspirer pour retrouver une vision claire de l’inclusivité. Cela signifie non seulement offrir des solutions financières adaptées, comme le paiement en plusieurs fois, mais aussi garantir que les technologies sous-jacentes – intelligence artificielle, interfaces utilisateur, systèmes de paiement – soient conçues pour être accessibles à tous et faire preuve de pédagogie pour assurer l’adoption des consommateurs. L’avenir du secteur ne doit pas aller au rebours de l’histoire. Au contraire, il se doit de poursuivre son rôle d’intégrateur économique et social, en veillant à ce que l’inclusion reste au cœur de l’innovation.