Bernard-Louis Roques (Truffle Capital) "Certaines start-up nous communiquent un chiffre d'affaires absurde pour obtenir un bon classement au Fintech 100"
Le palmarès Fintech 100, qui classe les fintech les plus performantes de l'année 2024, est publié ce 3 juin. Le cofondateur de Truffle Capital, qui coorganise ce classement, en dévoile les coulisses au JDN.
JDN. La publication du palmarès Fintech 100 est devenue un rendez-vous important dans la fintech française. Pourquoi avoir mis en place un tel classement ?

Bernard-Louis Roques. Pendant plusieurs années, on a publié le Truffle 100, un classement des 100 éditeurs français de logiciel les plus performants. On a voulu faire pareil avec la fintech. L'objectif n'est pas seulement de publier un classement, c'est aussi d'apporter de la donnée pour quantifier ce marché. Pour établir ce palmarès, on analyse au moins 150 entreprises. Cela nous permet d'obtenir un panorama assez global de la fintech française. Avec le temps, (il s'agit de la quatrième édition du Fintech 100, ndlr), la publication du classement est devenue le premier rendez-vous pour avoir une idée du marché et des tendances de l'écosystème. Les fintechs attendent le résultat avec impatience. Le jour de la publication du palmarès, beaucoup d'entre elles se précipitent sur LinkedIn pour publier leur classement !
Quels sont les critères utilisés pour établir le classement ?
On fonctionne avec cinq critères : les fonds levés, le nombre d'employés, le chiffre d'affaires, la croissance du chiffre d'affaires et le capital efficiency (qui mesure le rapport entre les fonds levés et les revenus qu'ils permettent de générer, ndlr). Les quatre premiers critères comptent chacun pour 22,5% et le capital efficiency vaut 10%. En fonction de ces critères, chaque entreprise obtient une note globale qui détermine son classement.
Cette année, 12 fintechs n'ont pas souhaité communiquer leurs données financières…
Certaines d'entre elles adoptent une posture défensive et ont peur d'être mal classées. Souvent, c'est le chiffre d'affaires qui pose problème. Mais petit à petit, on a réussi à gagner leur confiance car on ne publie pas leur chiffre d'affaires et aussi parce qu'elles se rendent compte de l'utilité du classement. Dans la majorité des cas, les fintechs jouent le jeu. Certaines d'entre elles nous contactent même quelques jours avant la publication du classement pour s'assurer qu'on a bien reçu les chiffres qu'elles nous ont envoyés. A fortiori quand elles imaginent que ces chiffres vont leur garantir une bonne position.
Comment faites-vous quand une fintech refuse de communiquer son chiffre d'affaires ?
On réalise des estimations basées sur un certain nombre de données comme des rapports ou le nombre de clients. Ensuite, on envoie à la fintech une fourchette basse de notre estimation. Si elle ne conteste pas notre estimation avec des preuves, on sait que le chiffre d'affaires qu'on a calculé est proche du chiffre d'affaires réel. Il peut éventuellement être légèrement supérieur mais on sait qu'il n'est pas trop bas !
Est-ce déjà arrivé que des entreprises vous transmettent des données hasardeuses ?
La croissance, l'effectif et les levées de fonds sont des données facilement vérifiables. Mais on a déjà eu des entreprises qui nous ont communiqué un chiffre d'affaires absurde pour obtenir un bon classement. Une année, une entreprise a refusé de nous transmettre son CA. On l'a alors estimé à 10 millions d'euros. En retour, ils ont annoncé un chiffre d'affaires de 30 millions d'euros, ce qui nous a paru beaucoup trop élevé. Pour tester leur réaction, on a volontairement revu notre estimation à la baisse, à 6 millions d'euros. Ils nous ont aussitôt corrigés : "Ah non, on n'est pas si bas !". Au final, on a validé un chiffre d'affaires de 7,5 millions d'euros.
Le classement est publié ce 3 juin. Votre téléphone risque de sonner dans les jours qui suivent…
C'est vrai qu'une fois que le classement est publié, des sociétés nous appellent pour se plaindre de leur classement et nous expliquent que notre méthodologie n'est pas bonne. Mais cette situation se raréfie au fil des années. Personnellement, je n'ai pas accès aux données donc on ne peut pas m'accuser de favoriser les fintechs du portefeuille de Truffle Capital.