Robert Vesoul (Illuin Technology) "LIAGORA se concentrera sur les agents IA, le RAG de nouvelle génération et la sécurisation des systèmes"
Illuin Technology et le laboratoire MICS de CentraleSupelec lancent LIAGORA, un laboratoire commun dédié à l'intelligence artificielle.

JDN. Vous lancez ce mardi 28 janvier LIAGORA, un laboratoire d'IA issu d'une collaboration entre CentraleSupélec et Illuin Technology. Quels vont être les objectifs premiers de ce laboratoire ?
Robert Vesoul. Les objectifs de ce laboratoire commun sont d'explorer les sujets avancés en IA générative, avec un focus particulier sur trois axes majeurs : les agents d'IA, les systèmes RAG de nouvelle génération, et la sécurisation des systèmes.
Notre approche s'inscrit dans l'ADN historique d'Illuin Technology : créer des ponts entre la recherche fondamentale et ses applications industrielles. L'objectif de ce laboratoire, sur une durée initiale de cinq ans, est d'établir le meilleur continuum possible entre les découvertes scientifiques et leur mise en œuvre pratique. Il s'agit non seulement d'exploiter les nouvelles publications scientifiques, mais aussi de contribuer à l'avancement de ces trois domaines clés par nos propres recherches.
Comptez-vous également développer des modèles d'intelligence artificielle ?
Notre approche consistera à travailler étroitement avec des modèles existants, qu'ils soient open source ou commerciaux, notamment auprès des acteurs français du domaine, même s'ils sont peu nombreux. Si cette réponse peut sembler défensive, c'est parce que le périmètre est déjà suffisamment complexe en lui-même.
Aujourd'hui, dans le domaine des modèles d'IA, on observe deux tendances : d'un côté le développement de modèles toujours plus volumineux et généralistes, et de l'autre la création de modèles de plus en plus spécialisés. Notre laboratoire travaillera avec ces derniers, en accord avec nos valeurs communes de frugalité et d'explicabilité, qui sont des principes directeurs pour nos travaux de recherche. Il est essentiel pour nous de privilégier les approches les plus frugales possibles. Bien que cela ne nous empêche pas théoriquement de développer des modèles de fondation, ce n'est pas inclus dans la feuille de route actuelle.
Prévoyez-vous de développer des collaborations avec des sociétés ou laboratoires européens ? Par exemple avec LightOn ou Mistral AI ?
Des discussions sont en cours, notamment avec Mistral AI. Pour 2025, nous prévoyons d'explorer de nouvelles collaborations, notamment grâce aux connections européennes établies par le laboratoire MICS. L'Europe compte d'excellents laboratoires, parfois méconnus en France, avec lesquels nous envisageons des travaux communs.
Quelles seront les ressources de calcul à disposition du laboratoire ?
D'une part, nous aurons accès aux infrastructures de CentraleSupélec, notamment aux supercalculateurs Jean Zay et autres calculateurs nationaux via le GENCI (Grand équipement national de calcul intensif, ndlr). D'autre part, grâce aux nombreux partenariats européens du laboratoire MICS, nous pourrons accéder à d'autres ressources de calcul. L'un des atouts majeurs du laboratoire est justement cette capacité à accéder à des ressources de calcul diverses, que ce soit à travers des équipes européennes ou des universités américaines.
Comment comptez-vous attirer et retenir les talents face à la concurrence des Gafam et leurs salaires attractifs ?
Chez Illuin, nous avons déjà réussi à constituer une équipe de plus de 110 personnes. Notre domaine exige une excellente maîtrise des mathématiques, c'est pourquoi nous recrutons des diplômés issus des meilleures formations académiques françaises et européennes. Nous avons notamment des partenariats avec CentraleSupélec, Polytechnique, et l'EPFL (École Polytechnique Fédérale de Lausanne, ndlr), qui sont de véritables viviers d'excellence. Jusqu'à présent, nous avons plutôt bien réussi à attirer et fidéliser les talents dans ce contexte de forte concurrence.
La question salariale est évidemment cruciale. L'avantage d'un laboratoire public-privé est que les acteurs privés peuvent offrir des rémunérations alignées sur le marché. Certes, nous ne pouvons pas totalement rivaliser avec les packages proposés par les acteurs américains qui disposent de moyens considérables grâce à leurs importantes levées de fonds. Cependant, nous constatons qu'à condition d'offrir des rémunérations cohérentes - sans nécessairement atteindre les niveaux américains - nous pouvons attirer des chercheurs motivés par la contribution à une souveraineté technologique française.
L'annonce de LIAGORA intervient quelques jours avant le sommet sur l'IA en France. Dans ce contexte, comment évaluez-vous la capacité de la France à combler l'écart technologique avec les Etats-Unis et la Chine ?
Face à nous, nous avons des acteurs qui lèvent des fonds considérables avec la promesse d'une IA générale capable de tout résoudre. Cependant, l'intégration de ces IA dans l'économie et nos vies nécessite encore beaucoup de recherche, tant fondamentale qu'appliquée. Ainsi, nous excellons dans la recherche fondamentale et appliquée. Notre projet ColPali (un système de RAG de nouvelle génération, ndlr), par exemple, montre que nous pouvons innover sur des aspects critiques que les grands acteurs américains n'adressent pas complètement.
Enfin, les Etats-Unis reconnaissent la qualité des talents européens. Et l'Europe a ses atouts : nous avons des industries de pointe dans plusieurs secteurs - prenez EDF dans le nucléaire par exemple. La combinaison de ces champions industriels avec nos capacités en IA peut donner naissance à une nouvelle génération de leaders technologiques.