IoT : la guerre des nouveaux réseaux a commencé

IoT : la guerre des nouveaux réseaux a commencé Sigfox, Orange, Bouygues Telecom, Qowisio... Tour d'horizon de ces opérateurs qui misent sur l'Internet des objets. Le point sur leur stratégie.

Avec une prévision de 50 à 80 milliards d'objets connectés dans le monde d'ici à 2020, c'est devenu un véritable phénomène industriel. Et la tendance, si l'on en croit l'inflation d'études, de projections, de rapports en tout genre, n'est pas prête de s'inverser. Attention toutefois à ne pas confondre objets connectés et... objets connectés, selon qu'un objet est relié par Wi-fi, RFID, NFC, Bluetooth ou Ethernet, ou connecté à une infrastructure dédiée dans le cadre d'un réseau administré.

Ludovic Le Moan, PDG et fondateur de Sigfox, a levé plus de 150 M€ depuis la création de l'entreprise en 2009. Son réseau couvre aujourd'hui une dizaine de pays d'Europe. © Sigfox

Si l'on raisonne en termes de réseaux dédiés, le "machine to machine" ou M2M ne concernait "que" 1,4 milliard d'objets en 2015, selon l'Idate. Avec une prévision de 4,1 milliards d'objets connectés en 2019. Contrairement à une idée répandue, le cellulaire (2G, 3G, 4G) ne représente que 20% de la technologie employée pour connecter des objets à un réseau M2M, le solde se répartissant entre réseaux fixes, CPL, diverses technologies sans fil (Wi-fi, Bluetooth, ZigBee), et des réseaux dédiés parmi lesquels les fameux Low Power Wide Area (LPWA).

C'est sur la technologie LPWA que reposent les réseaux actuellement déployés par Sigfox, Qowisio, ou issus de LoRa : une alliance industrielle qui regroupe de très nombreux opérateurs et équipementiers. Ajoutons-y Matooma qui se positionne comme une interface fédérant différents systèmes (réseaux cellulaires et LPWA) pour compléter le panel

Le Français Sigfox déploie son réseau à l'international

Contrairement au M2M traditionnel utilisant une carte SIM (on compte plus de 8,2 millions de cartes M2M en France fin 2014 sur un total de près de 80 millions de cartes SIM), la plupart de ces nouveaux réseaux s'appuient sur une infrastructure spécifique relativement facile à déployer. C'est notamment le cas du français Sigfox qui couvre l'Hexagone avec seulement 1 500 émetteurs (avec une portée pouvant atteindre 40 kilomètres). Une infrastructure qui représente un investissement de l'ordre de 5 M€, grâce au recours à une bande très étroite (Ultra narrow band ou UNB) associée à l'envoi de messages extrêmement courts (seulement 12 octets). Idéal pour des communications sporadiques, avec une consommation mille fois inférieure à celle d'une carte SIM, dans un contexte où l'accès à la bande de fréquences utilisée (868 MHz) ne nécessite pas de licence.

Sigfox avance ses pions aux Etats-Unis et en Asie

Fortement médiatisé depuis le recrutement d'Anne Lauvergeon, l'ancienne patronne d'Areva, comme présidente de son conseil d'administration, et la levée de fonds de 115 M€ qui s'en est suivie, Sigfox affiche de grandes ambitions. Actuellement déployé (ou en cours de déploiement) dans une dizaine de pays (France, Espagne, Royaume-Uni, Pays-Bas, Irlande, Portugal, Belgique, Danemark, Luxembourg, Italie, République Tchèque), ainsi qu'à Moscou, Sigfox vise désormais les Etats-Unis (une dizaine de villes dans un premier temps) et l'Asie. Parmi ses références, il revendique Securitas Direct en Espagne (où Sigfox a déployé son réseau en partenariat avec Abertis Telecom), Cofely Services, Clear Channel, Sogedo, Glen Canyon, Engie en Belgique, la Poste, etc. Fort de sa visibilité, notamment médiatique, et du soutien de nombreux acteurs (Samsung, Air liquide, Eutelsat, Telefónica, SK Telecom, NTT DoCoMo, Engie), Sigfox n'a cependant pas l'exclusivité des futurs réseaux de l'Internet des objets

La technologie LoRa retenue par Orange et Bouygues Telecom

LoRa (pour Long range ou longue portée), une alliance industrielle qui regroupe 130 entreprises de la IT. Sa technologie a été retenue par de nombreux opérateurs européens dont Bouygues Telecom et Orange.   © Lora

Relativement discrète, l'alliance LoRa semble également bien partie. Membre fondateur du consortium (aux côtés d'IBM, Cisco, Sagem, Éolane, Semtech ou Actility), Bouygues Telecom déploie actuellement un réseau basé sur son protocole, réseau qui devrait être disponible sur plus de 50% du territoire mi-2016. L'alliance compte aujourd'hui 130 membres, et de nombreux opérateurs européens (Belgacom, KPN, Swisscom) déploient actuellement des réseaux LoRa. Après une période de tests à Grenoble autour de cette technologie, Orange s'apprête à faire de même. Un choix en ligne avec celui de m2ocity, sa filiale commune avec Véolia dans la télé-relève de compteurs, qui revendique la place de premier opérateur français de l'internet des objets (et utilisateur du protocole LoRa) avec 1,7 million d'objets connectés dans plus de 2 000 villes.

Au plan technique, LoRa se distingue par une vitesse de transmission plus élevée que Sigfox (de 300 bits/s à 100 kbit/s), une communication bidirectionnelle (alors que les premiers déploiements de Sigfox étaient unidirectionnels) et des messages pesant jusqu'à 240 octets. A noter que LoRa recourt à une technologie radio dite "à étalement de spectre", par opposition à la technologie en bande étroite (UNB) de Sigfox, tout en utilisant la même bande de fréquence (868 MHz).      

Qowisio et Matooma cherchent à se démarquer

Autre entreprise tricolore de l'Internet des objets, Matooma, une start-up montpelliéraine qui pariait à l'origine sur du M2M exclusivement basé sur des cartes SIM multi-opérateurs afin d'optimiser sa couverture tout en se développant rapidement à l'international grâce à divers accords d'itinérance. La société (3,4 M€ de chiffre d'affaires en 2015) compte notamment BNP Paribas, Groupama, Mondial Assistance, Vinci, Air liquide, parmi ses clients. Aux dernières nouvelles, Matooma envisagerait de se rapprocher des LPWA pour se positionner comme une plateforme permettant de dialoguer avec n'importe quel capteur ou objet connecté quel que soit le réseau utilisé.

Bouygues Telecom prévoit de couvrir plus de 50% du territoire mi-2016 avec son réseau dédié à l'Internet des objets. ©  vege - Fotolia

Dernier acteur à faire parler de lui, Qowisio, une start-up angevine qui a levé 10 M€ en juin 2015 et qui cherche à se faufiler entre Sigfox et Lora à travers le déploiement d'un réseau Ultra Narrow Band (UNB), la technologie retenue par Sigfox, tout en étant compatible avec le protocole de communication LoRa. Autre caractéristique de Qowisio, sa présence sur l'ensemble de la chaîne de valeur (réseau, capteurs, cloud, briques applicatives) à des prix attractifs. Fort de l'expérience acquise dans le déploiement de réseaux privés à l'étranger (Afrique, Moyen-Orient, Europe de l'Est) pour des clients issus de la banque ou de l'énergie, Qowisio espère couvrir 80% de la population française d'ici à la fin de l'année avec moins de 2 000 antennes déployées en liaison avec TDF.  

Après un départ en fanfare, ces divers acteurs doivent maintenant convaincre les industriels de la pertinence de leur offre, notamment au plan technologique. Pragmatique, la SNCF a décidé d'évaluer simultanément le potentiel de Sigfox et de LoRa pour certaines applications de maintenance prédictive (type caténaires et pantographes), tout en réfléchissant à la manière de connecter les 20 000 ascenseurs de ses gares. Comme quoi, la bataille des réseaux ne fait que commencer dans un contexte où certains évoquent à demi-mots un risque de "bulle technologique"...