L'arrosage connecté en ville devient de plus en plus intelligent
Avec l'arrivée du printemps, l'eau redevient une préoccupation majeure des collectivités. D'autant plus que la situation climatique fait office de sonnette d'alarme : malgré les inondations dans la Vienne et en Indre-et-Loire, une sécheresse frappe le Var et des pénuries d'eau potable sont annoncées dans l'Hérault cet été. Face à ces risques et aux restrictions possibles d'eau à venir, les collectivités s'intéressent à l'arrosage intelligent.
"Ce n'est pas un usage nouveau, les capteurs existent sur le marché depuis longtemps pour l'agriculture mais il y a une vraie prise de conscience des collectivités de la nécessité de l'adopter", constate Olivier Hersent, fondateur et PDG d'Actility, entreprise française experte des réseaux LPWAN qui opère quatre millions de capteurs actifs dans le monde. Un constat partagé par Pierre Dubuisson, market intelligence business manager chez Kurrant, cabinet de conseil spécialisé dans la digitalisation des villes et des utilities : "L'arrosage est lié à l'optimisation des consommations d'eau, la demande est vive en France, mais aussi à l'étranger, notamment en Grèce." Et pour répondre aux différents besoins des collectivités, les solutions s'axent davantage sur la prédiction.
L'anticipation
Les solutions requièrent en effet de croiser plus de données pour anticiper l'arrosage. "Jusqu'à présent, l'agent municipal chargé des espaces verts active un programme d'arrosage automatique au début de la saison et l'éteint en fin de saison. Or, pour économiser l'eau, le besoin des collectivités est d'arroser au bon moment, uniquement quand cela est nécessaire pour la plante", explique Fabrice Montbarbon, responsable arrosage espace vert et agritech chez Greencityzen, experte des solutions pour l'exploitation des réseaux d'eau par les données, qui gère l'arrosage de nombreuses collectivités dont Paris ou Toulouse.
L'entreprise mène un projet à Marseille depuis 2021. Près de 2 000 capteurs de Greencityzen, placés au niveau des racines des plantes dans une dizaine de parcs de la ville, croisent les données de suivi hydrique des plantes et d'humidité du sol pour arroser quand il faut seulement. Cela a abouti à une économie d'eau de l'ordre de 40% par an. Marseille étend donc la solution sur une dizaine de parcs et des terrains de sport. "Ajouter la prédiction météo sur la plateforme de données permettra de ne pas déclencher l'arrosage le matin, même si la plante en a besoin, dans le cas où de la pluie est prévue pour l'après-midi", précise de son côté Armel Le Blanc, directeur associé du cabinet de conseil et bureau d'études français en numérique territorial Risôm.
La détection de fuites
L'arrosage intelligent doit par ailleurs prédire le risque de fuite d'eau. "20% de l'eau du réseau français est perdue dans des fuites, et concernant l'arrosage, un tiers de l'eau prévue pour cet usage est perdue en fuite, indique Fabrice Montbarbon de Greencityzen. L'une des solutions est d'installer un compteur instrumenté pour détecter, par exemple, un sur-débit pendant l'arrosage."
Un résultat identifié au sein de la ville de Martigues, que Greencityzen accompagne dans son passage à l'échelle en vue d'équiper l'ensemble des espaces verts de la ville en 2024. "Nous avons détecté, grâce à un compteur connecté, une fuite sur la zone de l'Hôtel de Ville équivalent à deux piscines olympiques par an. Il s'agissait d'un raccord d'arrosage mal vissé", explique Sylvain Chauvet, chargé du développement de la ville connectée à Martigues. Les tests menés sur un an ont abouti à une baisse de 50% de la consommation en eau, soit 500 litres.
L'image de la ville
Du côté des équipements sportifs, un bon niveau d'arrosage est "un enjeu d'image. Les golfs ont ainsi été jusqu'à présent les principaux utilisateurs de solutions", souligne Emmanuel Mouton, PDG de l'éditeur IoT Synox. Dans ce domaine, la quantité d'eau doit être corrélée entre les besoins des végétaux, la météo, l'état du sol et la qualité de piétinement pour éviter le risque de glissade. Un exemple : la ville de Saint-Quentin s'est équipée en 2019 pour 76 000 euros d'investissement d'un système d'arrosage intelligent et autonome permettant d'optimiser l'arrosage de ses huit terrains de sport.
Ces solutions deviennent plus intelligentes en se révélant toujours plus accessibles. "Un capteur d'arrosage connecté revient à une cinquantaine d'euros", assure Olivier Hersent. Le retour sur investissement de l'arrosage connecté, en évitant notamment des pertes conséquentes dans des fuites, favorise l'essor de projets. "D'autant que des subventions sont disponibles via les agences de l'eau ou les départements à hauteur de 50% des projets, ce qui offre pour une solution un ROI inférieur à deux ans, les collectivités sont peu au courant", déplore Fabrice Montbarbon de Greencityzen. Le projet pilote mené depuis un an dans la commune de Lambersart est dupliqué en 2024 sur sept autres sites. "Nous avons économisé plus de 3 000 euros, ce qui a intégralement remboursé l'achat de l'électrovanne", témoigne Pierre Ciemniejewski, chef de projet pour la commune.
Le prochain enjeu dans l'arrosage connecté sera de prédire quand avoir recours aux eaux grises pour arroser, en fonction du niveau de remplissage des cuves. "Cette pratique est intéressante mais sa mise en œuvre reste complexe, il faut savoir comment stocker l'eau de pluie", met en garde Fabrice Montbarbon. A Lambersart, il s'agit de l'objectif du projet d'arrosage connecté (Découvrez comment la ville s'y prend lors de la table-ronde du 9 avril prochain animée par le JDN à l'IoT Day). Et Armel Le Blanc de conclure : "L'arrosage connecté s'inscrit désormais dans une pratique d'entretien des espaces vert, de préservation de la ressource en eau et de gestion environnementale."