Ergonomie : faut-il tourner la page Steve Jobs ?

L'ergonomie moderne doit intégrer la sensibilisation aux impacts environnementaux du numérique. Repenser la conception pour un numérique plus responsable.

iPhones, assistants vocaux, tablettes tactiles, enceintes connectées… le succès des produits iconiques de la tech repose pour beaucoup sur l’effacement de la technologie. Cette dernière disparait derrière l’usage pour davantage de simplicité, d’adoption et un bénéfice immédiat pour l’utilisateur. Mais effacer la technologie au profit de l’usage, c’est aussi dissimuler en partie son impact sur l’environnement et déresponsabiliser les utilisateurs. Certains principes de conception ergonomique ne seraient-ils pas contre-productifs pour un numérique plus responsable ?

L’effacement de la technique : un principe dépassé ?

« Focus et simplicité » était l’un des mantras de Steve Jobs, célèbre fondateur d’Apple. Rendre la technique transparente pour favoriser l’accès du plus grand nombre à des technologies complexes est l’un de ses principaux enseignements. On parle bien ici d’ergonomie informatique, donc de capacité d’un produit à être facilement utilisé par un individu. Pendant plusieurs décennies, les innovations de l’entrepreneur et son équipe ont ainsi participé à la création de véritables révolutions numériques.

Qu’en est-il aujourd’hui ? Alors que le streaming se généralise, que l’IA générative s’impose et que les réseaux sociaux et assistants vocaux font partie de notre quotidien, la question de l’impact environnemental du numérique se fait de plus en plus prégnante. Or, si l’effacement de la technologie permet une adhésion populaire massive, il a tendance à masquer la consommation énergétique. Face à des objets numériques toujours plus simples et intuitifs, la prise de conscience de leur impact devient difficile à matérialiser.

Les principes qui ont permis le succès d’Apple et des géants de la tech ne semblent plus en phase avec la réalité de notre époque. Pour un numérique plus frugal et plus responsable, il est temps de refaire apparaître la technologie. 

Numérique : un impact environnemental colossal

Selon l’Arcep (Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse), le numérique représente près de 4% des émissions de gaz à effet de serre (GES) dans le monde et 2,5% de l’empreinte carbone nationale, soit l’équivalent de l’impact du transport aérien… C’est colossal ! Et le développement de l’IA générative ne fait qu’amplifier le phénomène. La consommation d’eau nécessaire au refroidissement des data centers explose : 10 à 50 réponses de ChatGPT équivaudraient à boire une bouteille d’eau de 500 ml. L’IA pourrait également faire augmenter les GES des data centers de 1% à 14% d’ici 2040, selon plusieurs études d’universités américaines.

Aujourd’hui, l’impact environnemental du numérique repose sur deux étapes distinctes (source : ADEME) : 78% des émissions GES sont liées à la fabrication (qui implique extraction de métaux rares, pollution et transport), et 21% concernent la phase d’usage (dont le stockage des données dans des datacenters particulièrement énergivores). Pour réduire notre empreinte numérique, il nous faut donc jouer sur les deux leviers : conserver plus longtemps nos terminaux, et adopter des comportements plus frugaux dans leur utilisation. Si la nécessité de limiter ses déplacements en avion a fait son chemin dans la conscience collective, les bonnes pratiques en matière d’usage numérique peinent quant à elles à se répandre… De nouveaux codes, de nouvelles règlementations semblent nécessaires pour influencer à la fois fabricants et utilisateurs.

L’ergonomie d’aujourd’hui : accessible ET pédagogique

Des vidéos qui se déclenchent automatiquement lorsqu’elles arrivent sur un écran, des photographies par défaut en très haute résolution, des films disponibles en définition maximale, des sauvegardes multiples pour un même fichier… les usages actuels sont nativement énergivores, sans que l’utilisateur ne s’en rende compte. C’est bien là qu’il faut agir.

Au même titre que la pression de l’eau destinée aux usages domestiques est règlementée par l’Union européenne, pourquoi ne pas développer un cadre légal plus contraignant pour les usages numériques ?

L’idée n’est bien sûr pas de réduire l’accessibilité en compliquant l’ergonomie, mais bien d’inclure une dimension de sensibilisation native aux outils. Concrètement, cela peut être une information sur l’impact CO2 d’un document au moment de son enregistrement, le paramétrage de photographies par défaut en basse définition, la compression de fichiers au moment de leur envoi, la mention systématique de l’indice de réparabilité…

Nous ne pouvons plus ignorer les répercussions grandissantes de nos usages numériques sur l’environnement. Il est de la responsabilité des industriels et concepteurs des interfaces de rendre visible l’impact de la technologie. La frugalité devient ici plus vertueuse que l’extrême simplicité. L’époque a changé, à nous d’adapter nos usages technologiques en conséquence !