Industrie 5.0 : l'usine du futur se conçoit d'abord virtuellement

La simulation, alliée à l'IA, aux capteurs et aux jumeaux numériques, s'impose comme un levier central de l'industrie 5.0, en transformant dès la conception les modèles de production.

Comme pour l’intelligence artificielle, l’automatisation suscite encore des craintes, notamment celle de voir les machines remplacer l’humain. Pourtant, avec la transition de l’industrie 4.0 vers le modèle 5.0, un changement de regard s’impose. Si la quatrième révolution industrielle était centrée sur la technologie, la cinquième remet l’humain au cœur du système productif, dans une logique de collaboration entre homme et machine. La Commission européenne définit cette évolution comme plus large et plus systémique, articulée autour de trois piliers : durabilité, résilience et approche humaine. Une orientation pleinement en phase avec la montée en puissance du smart manufacturing, socle de l’industrie de demain.

Vers un pilotage intelligent de l’usine

Le CESMII (The Smart facturing Institute) définit le smart manufacturing comme une orchestration intégrée des opérations physiques et numériques d’une usine. Ce modèle repose sur des systèmes collaboratifs, pilotés par la donnée, capables d’analyser les événements en temps réel et de réagir de manière autonome. Les opérations sont surveillées en continu, les capteurs collectent des données sur le terrain, et les modèles analytiques automatisent les tâches courantes tout en recommandant des actions en cas d’imprévus. C’est cette approche qui a donné naissance aux usines dites intelligentes, également appelées usines numériques ou autonomes.

La simulation multiphysique joue un rôle central dans cette dynamique. Elle apporte les capacités de prédiction nécessaires pour exploiter pleinement les données issues des capteurs et renforcer les modèles décisionnels. Combinée à l’IA et au machine learning, elle permet d’activer des technologies de pointe comme les jumeaux numériques, la fabrication additive ou l’automatisation avancée. Intégrée dans les processus industriels, la simulation devient ainsi un moteur d’optimisation continue, au cœur même des principes du smart manufacturing.

Un modèle flexible et des gains concrets

D’après McKinsey & Company, l’adoption à grande échelle de la simulation, de l’IA, du machine learning et de l’analyse avancée permettrait de réduire les arrêts machines de 30 à 50 %, d’augmenter la productivité de 10 à 30 % et d’atteindre jusqu’à 85 % de précision dans les prévisions. Pour y parvenir, les usines intelligentes s’appuient sur des réseaux interconnectés, des capteurs IIoT (Industrial Internet of Things), des technologies cloud et des plateformes d’analyse, souvent combinés à l’automatisation ou à la robotique. Ce socle technologique permet de mobiliser les données à grande échelle, d’accélérer les flux de production et d’améliorer les performances.

Chaque site reste cependant unique dans son niveau de maturité digitale. Certains privilégient l’IA ou le cloud computing, d’autres des systèmes embarqués ou des outils analytiques spécifiques. Les choix d’infrastructure réseau varient aussi : une petite usine pourra s’appuyer sur le Wi-Fi, tandis qu’un site industriel plus complexe optera pour un réseau 5G privé, garantissant débit, réactivité et sécurité.

Penser la performance dans la durée

Si chaque usine intelligente développe sa propre configuration, toutes misent sur l’innovation pour renforcer leur efficacité à chaque étape du cycle de vie produit : conception, fabrication, maintenance. Un levier central dans cette démarche est le New Product Introduction (NPI), un processus qui, à la différence du design classique, se concentre sur la fabricabilité, la scalabilité, les coûts et les délais de mise sur le marché. Il implique très en amont les équipes de production, illustrant pleinement l’approche systémique du smart manufacturing et les valeurs de l’industrie 5.0, où transversalité, anticipation et efficacité guident la transformation.

Plusieurs technologies structurent ces nouveaux modèles industriels :

  • L’analyse avancée et l’IA accélèrent les flux de données et la prise de décision. L’automatisation industrielle remplace ou complète les tâches manuelles comme la palettisation ou certaines étapes de fabrication additive.
  • La digitalisation des workflows, à l’aide de logiciels de simulation, permet d’automatiser et d’optimiser les processus internes.
  • Les dispositifs autonomes, contrôlés à distance via jumeaux numériques et IA, renforcent l’efficacité et la sécurité en temps réel.
  • Les essais virtuels, la maintenance prédictive et une ingénierie optimisée réduisent les déchets, la consommation de ressources et les cycles de développement, avec à la clé un triple gain : économique, opérationnel et environnemental.

Ces industriels qui ouvrent la voie

La transition vers ce modèle industriel est portée par plusieurs initiatives internationales. Le Global Lighthouse Network, lancé par le Forum économique mondial, en est un exemple emblématique. Il distingue près de 200 sites industriels dans le monde pour leur capacité à déployer à grande échelle les technologies de l’industrie 4.0, avec à la clé des bénéfices concrets en matière de compétitivité, de productivité et de durabilité. Ces transformations profondes reconfigurent aussi bien les usines que les chaînes de valeur et les modèles économiques.

Parmi ces pionniers, Tata Steel Nederland - l’un des principaux producteurs d’acier en Europe - s’est engagé dans une refonte stratégique de sa production. La simulation joue un rôle déterminant dans le pilotage de cette transformation. L’entreprise s’appuie sur une solution logicielle combinant jumeaux numériques et IA pour optimiser ses procédés, limiter les pertes énergétiques et avancer vers ses objectifs de décarbonation : une réduction de 30 à 40 % des émissions d’ici 2030, et la neutralité carbone à horizon 2045.

La simulation, nouveau socle de compétitivité industrielle

Dans un environnement en constante évolution, la simulation s’impose comme un levier stratégique de performance. En s’inscrivant dans une logique « shift left », elle peut être intégrée très tôt dans le processus de conception, offrant aux équipes les moyens d’optimiser les choix techniques, d’anticiper les défaillances, de réduire les coûts de développement et d’accélérer la mise sur le marché.

L’impact de la simulation ne se limite pas au design : combinée à l’IA, aux capteurs, aux jumeaux numériques et au ML, elle permet d’exploiter les données en temps réel, de piloter la maintenance de manière prédictive et de maximiser la durée de vie des équipements. Elle favorise une gestion plus sobre des ressources, tout en garantissant fiabilité et efficacité opérationnelle. Véritable accélérateur de technologies émergentes comme la fabrication additive, elle améliore les taux de réussite, limite les itérations, réduit les déchets et renforce la résilience des chaînes d’approvisionnement, en rendant possible une production locale, à la demande.

À l’échelle mondiale, l’ingénierie numérique portée par la simulation redéfinit déjà les standards de compétitivité industrielle, tous secteurs confondus. D’ici 2030, le marché des usines intelligentes pourrait atteindre 619 milliards de dollars selon Mordor Intelligence, signe que la bascule est en cours. Dans ce nouveau paysage, les industriels n’ont plus intérêt à suivre, mais à devancer. Faire de la simulation le socle de leur stratégie industrielle, c’est investir dans une innovation plus rapide, une production plus intelligente, et un avantage concurrentiel durable.