Neutralité carbone : s'est-on posé les bonnes questions pour l'atteindre ?
2050 c'est presque demain dès lors que l'on évoque l'objectif de la neutralité carbone.
Peut-on décemment jouer la montre alors qu’une transition d’une telle ampleur est un bouleversement pour notre société, ses entreprises et ses citoyens ? Agir dès maintenant est probablement conseillé, à condition de déployer les bonnes conditions pour y parvenir, et ce n’est pas toujours celles auxquelles on pense.
La pression s’intensifie à n’en pas douter. S’imaginer vivre dans un monde à 4° est une projection quelque peu terrifiante pour peu qu’on en dessine les contours. Une société profondément différente qui n’aura sûrement rien à voir avec celle dans laquelle nous vivons aujourd’hui. Au risque de se répéter, l’urgence est réelle, et il semble que le législateur européen renforce progressivement la règlementation pour atteindre la neutralité carbone ou Net Zero Carbone d’ici 2050. Le Pacte vert en est l’incarnation la plus forte. Les entreprises, si elles ne suivent pas ce mouvement, risquent des sanctions règlementaires, des pertes de compétitivité et des risques de dégradation de leur image.
Les exigences sont fortes et les entreprises sont attendues au tournant. La transparence devient dès lors un défi clé face au risque de greenwashing ; et elles ont tout intérêt à s’appuyer sur des normes reconnues comme le Science-Based Targets Initiative (SBTi) pour fixer leurs objectifs sur les recommandations scientifiques. Néanmoins, au-delà des efforts logiques pour atteindre le Net Zero Carbone, il faudra une approche cohérente et crédible, loin des attentes parfois fantasmées en matière d’écologie.
Lever le tabou entre écologie et argent
Soyons clairs, l’objectif de neutralité carbone est si ambitieux qu’il est impératif de mettre toutes les chances de notre côté. Autrement dit : dépasser certaines approches pour éviter l’immobilisme. La vision de l’écologie ne doit plus seulement traduire une urgence mais aussi être claire sur les conditions nécessaires à mettre en place : oui, cette transition a un coût, et mettre la main au portefeuille est et sera essentiel pour atteindre cet objectif. Nous devons la rendre tangible en mesurant son impact sur les entreprises pour faciliter son acceptation. Elles n'auront d’autre choix que de la considérer comme un poste d’investissements comme un autre même si ces derniers peuvent être plus ou moins éloignés de leur cœur de métier.
Pour autant, nous ne pouvons tomber dans une politique du tout pour le tout dans le déploiement de stratégies de décarbonation, certaines technologies dédiées n’étant pas encore matures ou accessibles à grande échelle. Le législateur aura beau vouloir imprimer la cadence, les ambitions climatiques seront régulièrement freinées si l’État n’encourage pas suffisamment le changement par la mise en place de dispositifs adaptés : incitations financières, subventions, partenariats public-privé. En d’autres termes, il ne suffit pas seulement d’imposer les règles et de s’indigner quand elles ne sont pas respectées mais d’accompagner véritablement celles et ceux qui portent la transition. Cela légitimera peut-être davantage les mesures impopulaires comme celle portant sur la répartition des efforts. En demander plus à ceux qui le peuvent est, en effet, une piste à explorer, sous réserve qu’une telle mesure soit assez justifiée pour éviter de fortes injustices.
Réintroduire le protectionnisme économique
Au-delà de l’engagement financier des entreprises, celles-ci vivent également une transformation organisationnelle profonde tant d’un point de vue social qu’au niveau de la gouvernance propre des entreprises. La liste des défis est longue : former ses employés, revoir les processus internes, voire repenser totalement le modèle économique. Certaines industries sont même amenées à réduire leur production ou à restructurer leurs chaînes d’approvisionnement, ce qui peut créer des tensions et mener à des pertes d’emplois. Les efforts à fournir sont énormes et si nos entreprises doivent suivre ces règles, on ne peut que regretter qu’elles ne s’appliquent pas partout et de façon équitable.
Le libéralisme économique tel que nous le vivons n’est que très peu à l’avantage des entreprises françaises qui subissent la forte concurrence d’autres sociétés étrangères prêtes à casser leurs prix pour glaner des parts de marché. Disons-le sans détour, nous ne pourrons pas demander à nos entreprises de faire toujours plus d’efforts si nous autorisons une concurrence déloyale qui sape leur activité. Pour atteindre la neutralité carbone, il devient impératif de protéger notre espace économique en introduisant des mesures protectionnistes. Taxer les produits étrangers sera peut-être nécessaire pour légitimer la transition de nos entreprises.
Bien évidemment, le contexte politique incertain jette le flou sur la posture de notre gouvernement vis-à-vis du Net Zero Carbone. Reste à savoir quelles seront les véritables priorités de l’exécutif, notamment si les prévisions pour notre économie continuent de s’assombrir.