Toujours payée chaque mois alors qu'elle est licenciée depuis deux ans, cette salariée convainc la justice qu'elle n'a pas à rembourser son ex-employeur
L'employeur pensait avoir un coup d'avance sur les juges avec cette stratégie audacieuse, malheureusement pour lui la Cour de cassation a eu le dernier mot.
S'il y avait une récompense pour les entreprises les moins bien gérées, cette société de nettoyage ferait office de favorite. Basée dans les Hauts-de-Seine, elle emploie plus de 800 personnes mais une seule salarié nous intéresse présentement, car son histoire a de quoi étonner. Voici déjà son parcours : elle entre dans l'entreprise en 1999, elle y reste plusieurs décennies et est élue déléguée du personnel et membre du comité d'entreprise en 2013. Un mandat qui lui donne le statut de salariée protégée, ce qui va avoir son importance.
Quatre ans plus tard, en 2017, elle est déclarée inapte. L'employeur enclenche alors une procédure de licenciement mais se précipite un peu trop. "Quelques jours après avoir licencié la salariée, l'entreprise s'est rendue compte que c'était une salariée protégée et donc que c'était une procédure spéciale où l'aval de l'inspection du travail est nécessaire", explique Anthony Coursaget, avocat en droit social. Elle tente alors de rétracter son licenciement pour en refaire un avec la procédure correcte.
Seulement, l'entreprise est piégée. "Pour qu'un licenciement puisse être rétracté, il faut que la salariée licenciée donne son accord, ici ce n'était pas le cas", décrit l'avocat. L'employeur tente donc tous les moyens possibles pour que le licenciement devienne légal.

Il demande l'autorisation de licencier sa salariée à l'inspection du travail, puis au ministère du Travail. Il essuie deux refus. "L'inspection et le ministère ont répondu qu'ils ne pouvaient pas autoriser le licenciement d'une salariée déjà licenciée officiellement", résume Anthony Coursaget.
L'employeur, qui a fait une erreur, sait qu'il risque d'être condamné. Il anticipe que le licenciement risque d'être déclaré nul par les juges. Or, avec un licenciement nul, il peut être contraint de verser tous les salaires manquants et des dommages et intérêts. Si la salariée le demande, elle pourra même obtenir sa réintégration dans l'entreprise.
Anticipant le pire, l'employeur décide délibérément de continuer à payer la salariée licenciée. Il espère ainsi limiter les coûts au moment de sa future condamnation. "Dans le même temps, la salariée obtient la nullité du licenciement mais elle ne demande pas sa réintégration, ni le paiement de dommages et intérêts", raconte Anthony Coursaget.
L'employeur n'est donc pas condamné à verser les salaires qu'il a payé de lui-même pendant deux ans, entre 2017 et 2019. Il a anticipé une condamnation qui n'a pas eu lieu. "Il saisit donc les prud'hommes, puis la Cour d'appel, puis la Cour de cassation en demandant la restitution de ces salaires. Il estime qu'il a payé en trop et veut la restitution de l'indu", explique l'avocat.
Si la demande semble légitime, elle tombe à l'eau à cause d'une autre erreur de l'employeur (décidément). "En pensant qu'il allait devoir réintégrer la salariée, l'employeur ne lui a pas donné de documents de fin de contrat. Elle n'a pas pu percevoir le chômage ou s'inscrire à Pôle Emploi devenu France Travail. Il a causé un préjudice à sa salariée", appuie Anthony Coursaget.
Les juges de la Cour d'appel, puis de la Cour de cassation ont estimé que le paiement de ces salaires était une forme de réparation du préjudice de la salariée. En une affaire, l'employeur a réussi à faire trois erreurs : il a raté le licenciement, a payé 2 ans de salaires à son ex-salariée sans y être obligé, le tout en faisant l'erreur de ne pas lui donner ses documents de fin de contrat. Trois erreurs pour le prix d'une, ou plutôt trois erreurs et des milliers d'euros de perdus.