"Start-up nation", et si l'on arrêtait la mascarade ?

La start-up mania dont on nous rebat les oreilles comme à la fin des années 90, se terminera de la même façon : quelques formidables succès et une myriade d’échecs, bien vite oubliés grâce au biais du survivant. Mais d’ici là, que de désillusions, que de souffrances !

Bien sûr, la start-up recèle des opportunités extraordinaires. Elle est porteuse de bien des espoirs pour notre société. Elle peut même être considérée comme révolutionnaire. Véritable gisement d’énergie, de désir, de créativité le phénomène de la start-up présente pourtant également bien des aspects d’une vaste mascarade. Les start-up elles-mêmes en sont le moteur.Cette détestable "coolitude", qui n’est que la dernière itération d’un ensemble de pratiques faussement empathiques. Où le tutoiement et la stratégie de proximité avec les salariés n’ont d’autre visée que de les leurrer et d’en accentuer le contrôle.Cet hubris porté à son extrême où chaque idée (généralement une copie d’un modèle nord-américain - est présentée comme un changement du monde, si ce n’est de l’humanité).

Les grands groupes complices...

Les directions générales des grands groupes utilisent les start-up comme levier de communication auprès de leur actionnariat. Elles se dédouanent ainsi de réaliser les mutations structurelles qu’exige un monde devenu VUCA (Volatile, Incertain, Complexe et Ambigu), ce qui leur feraient prendre des risques et les mettraient en danger. Quand le soufflet retombera, ces salariés cooptés seront bien loin, avec une retraite dorée.

Et la classe politique aussi

Pour la classe politique, "l'effet start-up" est une opportunité de communication et de résolution partielle du chômage, via la précarisation et l’exclusion de chômeurs des statistiques. Dans bien des cas, les start-uper peuvent être qualifiés de prolétaires du digital. Un nombre non négligeable gagne d'ailleurs moins que le Smic. Le cœur de la mascarade est de faire croire que entrepreneuriat est fait pour tout le monde. Or ce n’est pas le cas. Pas plus que tout le monde n’est fait pour être chirurgien, professeur ou plombier. Ce n’est pas honteux de ne pas avoir le tempérament, l’aptitude de entrepreneuriat. Il existe bien d’autres voies de création, tout aussi épanouissantes pour l’individu et bénéfiques pour la collectivité. Cet aspect de la mascarade me semble le plus préoccupant car la plupart de ceux qui véhiculent le message de "entrepreneuriat pour tous", au travers de la sublimation de l’entreprise qu’est la start-up, ignorent la réalité de l’entrepreneuriat et, de fait, la méprisent.

Politiques, hauts fonctionnaires, universitaires aiment à dire que l'Hexagone est un paradis pour les entrepreneurs. Ils me font penser à leurs semblables envoyant à la boucherie toute une génération en 1914. La guerre "la fleur au fusil" est un mensonge. La "start-up pour tous" en est un autre. L’une mène à la mort, l’autre à la précarité, une forme de mort sociale. Les deux mènent à la souffrance.