Les 4 familles sociales de L'indépendance numérique

Quand on analyse les réactions sur la question brûlantes actuelle de l'indépendance numérique ou souveraineté numérique... Quatre familles bien distinctes d'opinions se dégagent sur le sujet. : Les militants, les opportunistes, les frustrés et les résignés.

Étant très impliqué dans la question d’indépendance numérique (que je préfère au terme de souveraineté numérique), je suis frappé de voir qu’il y a autant de réactions différentes notamment sur les réseaux sociaux, lieu idéal pour une étude "sociologique" … je vous propose de faire le tour du bestiaire et des attitudes qui entourent la question de la souveraineté numérique…

D’abord, juste par rappel du sujet, l’idée derrière  "l’indépendance numérique" est un constat – partagé pour le coup– que 92% de la force numérique logicielle en France (et en Europe) est importée des US. Et que la question de "reprendre" du terrain est posée… c’est ce point qui fait débat. Oui, non. Comment, avec qui ? … Quelle(s) réponse(s) apporter ?

Et en analysant les réactions, j’ai vu qu’il y avait deux "dimensions" sous-jacentes à cette communauté autour du sujet de l’indépendance numérique et de la "reprise de terrain" :

Il y a ceux qui pensent que "ce n’est pas possible", et ce pour de nombreux arguments (pas tous partagés d’ailleurs) : les Américains sont trop loin devant, la culture Européenne n’est pas au niveau, les financements sont insuffisants en France, les politiques sont mauvais, etc… la liste est longue…

Evidemment, à contrario, il y a ceux qui estiment que "C’est possible" de reprendre du terrain sur notre indépendance, les Chinois l’ont bien fait, alors pourquoi pas l'Europe. Il suffit de (là aussi les arguments sont multiples) : injecter des capitaux, changer la commande publique, faire évoluer l’école, changer le mental des dirigeants, changer la loi européenne etc…

C’est souvent le débat qui semble le plus évident et le plus direct… mais en fait, il cache une autre dimension, que je considère plus "pernicieuse" car elle n’est pas affichée directement sur les échanges des réseaux sociaux en général alors qu’elle en dit plus sur les protagonistes…

Il y a ceux qui pensent que "Ce n’est pas souhaitable" (ils ne le disent jamais ou très rarement directement), mais cela revient à çà. Là aussi des arguments variés : il faut laisser la libre concurrence jouer sans intervenir, il faut laisser le consommateur décider sans l’influencer, on a d’autres sujets plus importants (ex l’écologie, l’énergie, le chômage, les pauvres…), on gagne beaucoup d’argent avec ce modèle merci de ne pas le casser (ceux-là ne le disent jamais en public #tabou de gagner de l’argent oblige), etc…

Là aussi, en contre point, il y a ceux qui pensent que "C’est souhaitable" que ce soit par ce que l’économie s’en porterait mieux, qu’on regagnerait en indépendance, que cela ouvrira des jobs pour nos enfants, que cela sera meilleur pour l’écologie, que nous augmenterons notre PIB et le revenu des Européens, etc…

Un point est sûr : rarement ces dimensions sont totalement assumées… d’où des débats sur Twitter notamment, qui tournent au pugilat et à l’invective… Cela donne une matrice des comportements, et j’ai donné des noms à ces 4 familles…

NB : Comme je vais parler des biais cognitifs, je commence par m’analyser et donc me classer. Je suis un militant… donc forcément plus enclin à voir ces arguments pro-indépendance. Il n’empêche, que je suis sûr que les persona que vous êtes se reconnaîtront dans mes descriptions.

Pour la question de la « proportion », j’ai pris mes 10 derniers Posts sur Linkedin (ce qui correspond à +80 personnes différentes), et sur les commentaires, j’ai classé chaque intervention selon les 4 familles. Donc, comme je suis Militant, cela donne un biais positif pour les Militants bien sûr

Famille : Les Militants

Devise : On doit reprendre notre souveraineté maintenant et des alternatives existent!

Tweet : "Assez de ces grands groupes qui prennent les GAFAM alors qu’il existe des solutions Françaises"

Description : Le Militant est souvent indigné, toujours prêt à mener une bataille pour amener la lumière là où règne selon lui le royaume noir des GAFAMs. Tel un héros du Net, il pourfend les sociétés 10000 fois plus fortes que lui sans peur… mais toujours à l’affut du moindre faux pas de l’ennemi. Parfois un sentiment de lassitude l’étreint lui faisant comprendre pourquoi tant se sont résignés et que d’autres en profitent de manière opportune et lucrative. Quand il est au fond du trou il se dit "Les Chinois l’ont fait. Pourquoi pas l’Europe ?"

Proportion : 35%

Famille : Les Opportunistes

Devise : On pourrait avancer mais on ne doit pas reprendre notre souveraineté sans réfléchir à deux fois.

Tweet : "C’est vrai que des solutions existent, mais dans ce cas précis je soutiens la décision de prendre un GAFAM car c’est mieux de sauver des vies avec le Cloud Américain que d’en perdre non ?"

Description : L’opportuniste a bien conscience des enjeux. Mieux, il est au cœur du système mis en place par les GAFAMs et donc profite souvent d’un point de vue économique, ou de sa position sociale des avantages d’être avec le dominant. Il est -en off, ou en MP- prêt à dénoncer et voir les scandales et les pratiques douteuses des monopoles… mais en public, il est contraint de se plier aux règles "business" … Une de ses phrases fétiches : "Tu comprends ce n’est pas si simple".

Proportion : 16%

Famille : Les Frustrés

Devise : On doit reprendre notre souveraineté… mais on ne peut pas y arriver. On nous empêche.

Tweet : "Encore un exemple de choix de politiques sans courage qui nous tire vers le bas."

Description : Le frustré vit la question de manière un peu schizophrénique … Il trouve toujours les bonnes raisons pour qu’on n’y arrive pas et du coup est souvent déprimé, proche du désespoir. Il repère en premier toutes les fois où on aurait pu prendre la route souveraine et qu’un accident nous en a dévié. Il parfois très difficile à distinguer d’un militant ou d’un résigné. Mais sur le long terme, il finit toujours par se dévoiler en torpillant toutes les solutions des militants ou en s’indignant de la position des Résignés.

Proportion : 22%

Famille : Les Résignés

Devise : On ne doit pas reprendre notre souveraineté, ça tombe bien, de toute façon on ne peut pas.

Tweet : "N’essayer pas de vous battre sur le Cloud, ça ne sert à rien la bataille est déjà perdue et cela va contre les lois du marché."

Description : Le Résigné est au final assez direct dans les réseaux sociaux. Il a une forme de mépris à distance pour "ceux qui s’agitent" et "ceux qui prennent position". C’est sa façon à lui de se protéger. Le monde est injuste ? Et alors il l’a toujours été ! En revanche, il ne supporte pas qu’on lui renvoie cette image. Ce n’est pas lui qui a cette perception. C’est le monde qui est comme çà. Bref, tout est posé, une fois pour toute. Non ?

Proportion : 27%

J’espère que vous vous reconnaissez dans une ou plusieurs familles… Car sur ce sujet de la souveraineté comme pleins d’autres, la situation ne progresse pas car on est « aveuglé » par ces propres croyances. "Connais-toi toi-même" a dit le philosophe !

Deux conclusions à ce panel. D’une part, les résignés ne sont que 25%, et donc 75% c’est largement assez pour faire bouger les choses si on se serre les coudes. C’est donc possible que cela devienne possible.

Ensuite cette catégorisation montre qu’il s’agit d’un sujet éminemment politique, et non technique : tous les sujets de transformation de la société s’analysent peu ou prou ainsi. C’est sur le terrain qu’on doit aller pour faire basculer le mental Français et Européen. Les "Tek" doivent sortir de leur communauté pour aller convaincre Mme Michu. Moi le premier. Je vais voir ce que je peux faire cet été sur les plages !