Leadership affectif : le seul et unique levier d'engagement et de rétention des salariés ?

La fuite des talents et le détachement des salariés sont la conséquence d'un dégât des hommes. Et si le leadership affectif était la clé pour renouer ce lien entre les individus et leur entreprise ?

Désengagement historique, grande démission, explosion des burn-out, désertion des locaux professionnels, crise de l’autorité, défiance envers les dirigeants et les organisations. La fuite des talents et le détachement des salariés sont la conséquence d’un dégât des hommes. Et si le leadership affectif était la clé pour renouer ce lien entre les individus et leur entreprise ?

Cachez cet affect que je ne saurais voir 

Associer affection et leadership, un blasphème professionnel Français ? 

Affection. Le mot peut faire peur dans le langage aseptisé des affaires. Admettons-le, nous n’avons pas la culture la plus émotionnelle qu’il soit. Disons que l’héritage cartésien et la culture d’ingénieurs de notre élite, du fait du rôle des grandes écoles d’ingénieurs dans notre pays, n'aide pas. Mais surtout la culture française est très dissociative. Par exemple, nous n’avons pas la culture de l’after work comme au Royaume-Uni. Nous préférons rentrer chez nous après les heures de bureau. En Asie par exemple, il n'existe pas de distinction entre le professionnel et le personnel : le temps social et économique est le même. Pour faire des affaires, il faut passer du temps avec ses associés sur son temps privé.

Nous partons généralement du préjugé que nous ne sommes pas au travail pour nous faire des amis, que nous sommes là pour travailler. Point barre. C’est un peu triste car la réalité c’est que nous passons généralement plus de temps au travail qu’avec notre famille et nos amis. Mais aussi, nous oublions que nous ne travaillons jamais seuls. Nous avons besoin des autres (de notre manager, de nos collègues, de clients, de partenaires) pour atteindre nos objectifs. Et pour cela il est préférable d’entretenir de bonnes relations avec eux.

L’amitié, le meilleur allié pour la qualité de vie au travail ?

Fort heureusement, il en va autrement dans la pratique ! Un sondage mené par le site d’emploi Comparably indique que sur 33 000 travailleurs, 60% des femmes et 56% des hommes avaient un(e) “ami(e) proche” au travail. C’est non seulement rassurant - nous serions des êtres humains capables de tisser des liens affectifs avec nos collègues - mais c’est aussi bénéfique : la qualité de nos relations aux autres est un critère d’engagement fondamental et un facteur clé de bien-être au travail.

Le magazine Fast Company rapporte notamment qu’une amitié professionnelle a des effets très bénéfiques sur la santé mentale car elle constitue un rempart contre le stress ou le risque de burn out. Et l’étude Comparably mentionnée plus tôt révèle même que les employés qui ont au moins un ami au travail se sentent 7 fois plus engagés dans leur vie professionnelle que ceux qui n’en ont pas. L'engagement est bel et bien un attachement émotionnel à l’entreprise et aux personnes qui la composent.

Quand la vitesse prend le pas sur l’affect

Le péril humain

Tisser des liens affectifs au travail est donc bon pour le moral et la productivité. Si cela est vrai pour la relation entre collègues, mon point est qu’il faut également le développer dans son management. Cela peut sembler étrange de devoir écrire un article pour expliquer que les liens affectifs entre les personnes sont un levier de motivation imparable. Mais je crois qu’il n’a jamais été aussi nécessaire de le rappeler.

Car évoluer dans un monde volatile, incertain, complexe et ambiguë (désigné par l’acronyme anglais VUCA) est devenu notre quotidien. Et en réponse à cela, le rythme de travail s’accélère : tout va de plus en plus vite, tout le monde est dans le rush, engagé dans une course contre la montre pour délivrer à temps, pour ne pas se laisser distancer par ses concurrents, pour ne pas rater une opportunité, pour répondre à une demande de plus en plus intolérante à l’attente. Cette réalité a une répercussion immédiate sur l’organisation du travail et le management.

Quand l’urgent l’emporte sur l’important

Comme il faut courir toujours plus vite, la vie émotionnelle et la qualité des relations au travail paraissent secondaires. Le temps qui leur est consacré apparaît même comme une perte de temps. Une étude de 2020 réalisée par Cadréo indiquait que 67% des managers passent entre 10 et 50% de leur temps avec leur équipe. Être manager au XXIème siècle ce n’est pas développer les hommes et créer des liens, c’est rapporter des chiffres à sa Direction, passer son temps en réunion, tout faire pour aller plus vite et faire plus avec moins.

Motivation rime avec affection, loyauté avec exemplarité

La loyauté, une denrée pas si rare qui se doit d’être cultivée

Fidélité, loyauté. Ces valeurs nobles reviennent en force dans le vocabulaire de nos organisations. On peut se désoler qu’elles n’apparaissent que dans un sens. On entend encore peu les termes de courage et d’exemplarité qui sont pourtant des comportements attendus de ceux qui nous dirigent. En réalité, si la loyauté est sous les projecteurs, c’est qu’elle s’affaiblit et empêche nos dirigeants de dormir. Et ça se comprend : une étude réalisée par Microsoft au niveau mondial a révélé que 41% des salariés envisagent de démissionner en 2022. Or, une fois qu’ils en ont ressenti l’envie, les salariés français ne tardent pas à passer à l’acte. 60% des personnes ayant déjà démissionné l’ont ainsi fait dans les 3 mois après en avoir ressenti l’envie, et 1 salarié sur 5 a mis moins d’un mois à agir.

Le piège serait de croire que la loyauté soit une qualité dont certains seraient dotés et d’autres non, ou qui serait l’apanage d’une époque ou d’une génération. Mais interrogeons-nous : qu’est-ce qui fait que nous sommes fidèles ? C’est parce que nous admirons une personne d’autorité pour son courage, ses compétences, son parcours. Parce que nous pensons que nous pouvons apprendre d’elle. C’est aussi parce que cette personne nous a témoigné de l’attention, a cherché à nous faire grandir, est restée à l’écoute et s’est intéressée à nous en tant qu’individu et pas seulement comme une ressource. Bref on est loyal parce qu’une personne a généré chez nous de l’admiration par son exemplarité et qu’on a créé un lien affectif à l’autre.

Le management, une affaire de cœur

Car rappelons-le, le manager est un meneur d’hommes et les hommes se mènent par les sentiments dont les émotions sont la source. Qu’on le veuille ou non, le rapport que l’on entretient avec ses collaborateurs est d’ordre affectif et sentimental. La motivation au travail dépend dans une large mesure de l’affection que nos collaborateurs nous portent.

C’est non seulement important pour vos managés mais ça l’est aussi pour vos managers. Les salariés n’ont pas le monopole de la perte de sens. Les managers aussi ont besoin qu’on leur rappelle le pourquoi de leur travail, et qu’on leur donne un objectif inspiré d’un idéal non seulement ambitieux, mais généreux. Créer des liens affectifs authentiques avec son équipe pour devenir un meilleur manager c’est un objectif qui justifie des contributions extraordinaires. Davantage que le contrôle en tout cas.

L’humain, la compétence qui fait la différence

L’Université Québécoise TELUQ parle de « leader socio-affectif » dont le rôle est de faciliter les interactions dans le groupe, d’en maintenir les valeurs et d’assurer la dynamique des émotions. Sa contribution porte en grande partie sur la communication entre les membres du groupe et ses actions visent à faire émerger de la solidarité entre les personnes et de renforcer le sentiment d’appartenance du groupe. Et si le leadership affectif pouvait remettre au goût du jour le feu sacré et la fidélité des salariés envers leur entreprise ?

Ce qui est certain c’est qu’aucun leader ne peut se permettre d’être indifférent à ces enjeux de nos jours. Or ce style de management demande de renforcer considérablement les compétences émotionnelles de nos managers. Il devient urgent et important de former les managers à l’intelligence émotionnelle et de mettre l’affect à l’ordre du jour des agendas de chacun. Et en haut de la pile.