Petit traité de conduite du changement pour les nuls
Le changement n’est pas une question de recette à appliquer, mais d’erreurs à éviter.
On parle de changement comme d’une évidence. Est-ce le cas ?
Changement, de quoi parle-t-on ?
Quand quelqu’un parle de changement, il prend une mine
sentencieuse. Il cite Hippocrate. Ou dit qu’il est bien de changer. Que, lui, a
toujours changé… Changement individuel, permanent. Et justification du statu quo !
Eh bien, le changement dont parle l’entreprise ce n’est pas
cela. Pour elle, changement signifie fusion/acquisition, restructuration,
gain de productivité…
C’est un changement d’organisation du travail, de
comportements collectifs. Ce qui change, ce sont les règles qui organisent le travail
collectif des employés.
Ce changement n’est pas simple. Car ces règles sont surtout
implicites. Elles nous viennent, par exemple, de notre culture nationale, mais
aussi de celle propre à l’entreprise ou encore de la jurisprudence de
l’expérience. Culture est entendue ici au sens de l’anthropologie. Les règles
qui guident notre comportement.
Car nous sommes dans le domaine de l’anthropologie.
L’anthropologie étudie les groupes humains. Son grand apport ? La notion
de « culture », justement.
Sa découverte ? Les sociétés humaines
ont une capacité exceptionnelle à se transformer. Le changement (collectif) est
le propre de l’homme, dit, en substance, Maurice Godelier.
Le changement a ses techniques
On sera peut-être surpris d’apprendre que le changement a ses techniques. Un aperçu :
Changement planifié. Les
travaux modernes sur le changement ont pour origine Kurt Lewin. Aux alentours
de la seconde guerre. Il voulait rendre impossible le totalitarisme. Pour cela,
l’entreprise devait être démocratique.
Ses techniques sont appelées « changement planifié ». L’idée du
changement, ce qu’il faut changer, vient de l’intérieur de l’entreprise. Sa
mise en œuvre est ensuite coordonnée par ses dirigeants.
Ce type de changement fait l’hypothèse d’une société démocratique.
- Forces ? Jouer sur l’énergie et la motivation de l’organisation.
- Faiblesses ? Peut être compliqué, long et « irrationnel ».
Changement dirigé.
Kurt Lewin n’a pas eu le dernier mot. Comme l’explique John Kenneth Galbraith,
l’organisation des 30 glorieuses était technocratique. Dans un tel monde, le
changement est programmatique, ou
« dirigé ». Changement de haut en bas. C’est ainsi que l’on mène un
pays en guerre ou que l’on vaccine une population. C’est aussi comme cela que
le PC chinois conduit la modernisation de son pays, ou que Lénine ou Mme
Thatcher ont voulu changer les leurs.
Ce type de changement fait l’hypothèse d’une organisation
bureaucratique (ou d’une « organisation machine », selon l’expression
de March et Simon). Sa force est d’être rapide et systématique. Mais la
complexité le bloque. S’il n’est pas application d’une décision consensuelle,
il suscite la résistance au changement.
Et il peut basculer dans le
totalitarisme.
Changement adhocratique.
Les best sellers du management des années 80 attribuaient le déclin de
l’Occident à la rigidité technocratique. Ils en appelaient à « l’adhocracie »,
un terme que l’on doit à Henry Mintzberg. L’adhocracie, c’est la tribu
primitive ou l’équipe sportive. Comme dans un groupe de chasseurs pygmées,
celui qui est touché par la grâce de l’instant prend le commandement des
opérations.
Le changement adhocratique a besoin, donc, d’une organisation
équipe. Alors, il est rapide et efficient. Mais il lui faut des petits groupes.
Et ils doivent être soudés. Soit un long processus de socialisation. Sinon, il
peut produire le « chaos ».
Changement organique.
La mode adhocratique passée, les gourous du management, tels que Gary Hamel, nous
ont invités à construire l’entreprise sur le « modèle du marché ».
Enron fut longtemps leur idéal. Il s’agit ici du marché des théories
économiques. Théories qui font l’hypothèse que les hommes sont des électrons
libres en concurrence parfaite. Cette concurrence produit l’innovation.
Le
changement organique est le changement associé à ce modèle
Le changement est emmené par ceux qui sont les plus à même de juger de son intérêt. Mais, contrairement, à l’adhocratie, il ne conduit pas à une reconfiguration de la société. Il est supposé la régénérer par la « destruction créatrice » de Schumpeter. Cependant, un jardin laissé à lui-même ne produirait que « de la ronce et du chiendent » disait Charles Gide. Le marché aime les drogues, le fast food, etc. Il suit l’impulsion du moment, sans mesurer les conséquences de ses actes. Surtout, il nie qu’il y ait un lien entre les hommes, le principe de la société. Il nie aussi celui du capitalisme – le gain de productivité par spécialisation. Sans contrôle, la destruction est destructrice. C’est pourquoi le changement organique est aussi appelé « diviser pour régner ».
Quelle technique utiliser ?
Les sociétés et les marchés (réels, non théoriques) sont des
réseaux dont les nœuds sont ce que l’on appelle souvent des « leaders
(d’opinion) ».
Du coup, la communauté qui joue un rôle décisif à une étape
donnée du changement peut prendre différentes formes. Elle peut avoir le
comportement d’un marché, à qui il faut « vendre » le changement ;
d’une équipe, commando de résolution de problème ; d’une démocratie, dont
il faut gagner l’adhésion ; ou d’une technocratie, qui doit appliquer
impeccablement des mesures approuvées par tous. Chaque technique a son heure.
On change, ou on est changé ?
« N’est-ce pas un peu
illusoire de penser qu’on peut maitriser le changement quand en réalité on ne
sait jamais exactement où on va arriver ? » m’a-t-on demandé
récemment.
Il existe deux types de changement. Avec ou sans objectif. Kurt
Lewin compare le second à un « dégel ». Quand tout va bien, une
société humaine (par exemple une entreprise) n’est que certitudes. Lorsqu’elle
rencontre des difficultés, elle se met à douter. Elle remet en cause ce à quoi
elle croyait. De nouvelles idées germent.
Si sa situation s’améliore, ces idées
passent dans l’inconscient collectif. Il y a recongélation.
Le changement est donc en deux temps. Une phase durant laquelle
on prend conscience de la nécessité du changement, et on le formule précisément
et quantitativement. Une phase, consciente et maîtrisée, de mise en œuvre. Elle
utilise les techniques vues plus haut.
Il n’y a pas de bonne façon de mener le changement
Conclusion ? Il n’y a pas de bonne façon de mener le changement. En revanche, il y a des erreurs qui le tuent. En particulier, croire qu’il existe une bonne façon de conduire le changement… Ou, une fois que l’on sait ce que l’on veut faire, ne pas se donner les moyens de maîtriser le changement dans lequel on s’est engagé. Lorsque l’on a compris ceci, on a fait un grand pas vers le succès.