La nécessaire convergence des intérêts individuels et collectifs pour pérenniser le mode hybride

Le secret de pérennité du télétravail selon moi ? Trouver le juste équilibre du mode hybride prenant en compte les besoins individuels, les objectifs des équipes et les enjeux de l'organisation.

Alors qu’en 2017 seulement 3% des salariés déclaraient pratiquer le télétravail au moins une fois par semaine, cette proportion a triplé après la crise sanitaire, atteignant les 22% en 2021. L’épidémie que nous avons connue a très largement développé le mode hybride selon lequel les individus sont amenés à travailler du bureau mais aussi de chez eux et / ou d’un tiers lieu comme le coworking par exemple. Nous sommes nombreux à identifier les divers avantages à pouvoir choisir son lieu de travail lorsque notre emploi nous le permet. Pour autant, il existe aussi certains risques. Ainsi, les télétravailleurs éprouvent plus souvent de nouvelles douleurs musculo-squelettiques, à la fois plus fréquentes et plus fortes que les non-télétravailleurs. De même, les troubles du sommeil sont plus importants ainsi que les symptômes dépressifs (37% vs 23%) pour ceux qui travaillent régulièrement à distance. Des questions d’ordre organisationnel se posent également : quid de la vie d’équipe ? de la capacité collective d’innovation ? de la collaboration transversale entre les équipes ? de l’ancrage de la culture d’entreprise et du sentiment d’appartenance ? de l’intégration des nouvelles recrues ?...

A ce stade de l’article, vous pourriez vous dire : soit ce n’est pas la grande forme, soit il s’agit d’un pamphlet anti-télétravail, soit les deux. Eh bien non, rien de tout cela ! Je suis convaincue que le télétravail est une réelle avancée au niveau individuel, organisationnel et même environnemental, à condition que sa mise en œuvre soit efficiente. C’est précisément pour cette raison qu’il me paraît essentiel de se demander comment pérenniser ce que nous avons su mettre en place dans l’urgence en 2020 de manière à capitaliser sur le positif de ce mode de travail et en éviter les écueils. A l’heure où les grands comme Apple, Google ou encore Disney donnent le sentiment de faire marche arrière en termes de politique de télétravail, il me semble intéressant de se pencher sur les conditions de son déploiement pour trouver le bon équilibre favorisant performance et épanouissement individuels et collectifs.

Dépasser la question de l’efficacité technologique

Ce premier point n’est peut-être pas le plus ambitieux mais il est à la base de tout travail à distance. Que la barrière soit purement technique (un matériel qui ne fonctionne pas ou pas bien) ou dotée d’une composante plus humaine (« je ne sais pas / je ne veux pas utiliser ce matériel »), il est essentiel de régler ce problème pour qu’il ne devienne pas le totem d’immunité permettant de couper court à toute idée de mise en œuvre de modes de fonctionnement nouveaux, s’appuyant notamment sur le numérique. Les équipes IT et RH doivent pouvoir s’engager dans cette entreprise et des approches comme la sensibilisation, la formation ou encore le reverse mentoring peuvent être de bons leviers. 

Définir un cadre clair : quand et pourquoi se réunir ?

Le travail hybride doit nous amener à plus d’agilité et donc de liberté. Toutefois, cette liberté individuelle doit s’accompagner d’une responsabilité accrue vis-à-vis du collectif. Venir au bureau lorsque cela m’arrange (pour des raisons d’organisation personnelle ou même professionnelle) ne doit pas empiéter sur la liberté de l’autre, incluant sa liberté de choisir ce qui est le mieux pour lui pour performer, se développer, être motivé et engagé… Parmi nos clients, ceux qui avaient posé un cadre clair en amont du déploiement du travail hybride généralisé sont ceux qui le vivent le mieux (par exemple : fixer une fréquence minimale ou des jours de présence au bureau). Attention toutefois, le cadre ne doit pas renvoyer à un principe normatif dénué de sens, ou pire, à un nouveau moyen de contrôle pour les managers les plus démunis. Le cadre doit permettre de formaliser ce qui est incontournable pour l’entreprise c’est-à-dire les conditions clefs pour que les individus puissent bien travailler ensemble. Voilà ce qui doit être posé dans le cadre : quand et pourquoi se réunir ?

Accompagner les individus et en particulier les managers

De mon point de vue, le travail hybride n’implique pas nécessairement de révolution en termes de bonnes pratiques managériales : donner du sens, être à l’écoute, trouver le juste équilibre entre exigence et bienveillance, savoir donner et recevoir du feedback... On peut néanmoins noter que celles-ci sont d’autant plus vraies aujourd’hui avec la difficulté supplémentaire de n’avoir que trop peu accès aux signaux faibles. Ces derniers sont pourtant fondamentaux lorsqu’il s’agit de comprendre et s’adapter aux besoins des membres de son équipe. Je vous livre deux pistes intéressantes, mises en place chez nos clients :

Partager une analyse commune de l’expérience vécue

Parce qu’il s’agit de la première étape avant tout changement, prendre conscience et connaissance des enjeux liés au mode hybride, non seulement pour soi mais aussi pour les autres, est essentiel. Comprendre, au-delà de son propre ressenti, que si certaines activités sont dites « télérobustes » (activités individuelles et routinières ou habituelles), d’autres sont « téléfragiles » (activités collectives, nouvelles ou créatives), selon Olivier Sibony. Cette distinction est importante lorsqu’il s’agit d’organiser son travail de la manière la plus efficace possible entre le bureau et chez soi. L’ouverture nécessaire à cette prise de conscience peut prendre différentes formes :

  • des formations pour monter en compétences
  • des retours d’expériences pour valoriser les réalisations concrètes,
  • du co-développement pour renforcer la solidarité et constituer des communautés apprenantes… 

Structurer les échanges entre les individus

Nous l’avons vu, notre lieu de travail optimal n’est pas le même en fonction de ce que l’on a à faire. C’est aussi vrai en fonction de qui on est. En effet, le rapport des uns et des autres au travail à distance n’est pas le même. Selon notre niveau d’expérience, notre ancienneté dans l’entreprise, et tout simplement notre personnalité, nous n’aurons pas les mêmes besoins pour contribuer au mieux au travail collectif. Or ces besoins sont à prendre en compte pour constituer une équipe performante géographiquement dispersée. Dans un monde hybride où l’informel trouve difficilement sa place, il est nécessaire de réinvestir la relation et compenser ainsi la distance. Différents formats complémentaires sont envisageables :

  • Des rituels corporate pour célébrer, partager de l’information et des moments ensemble
  • Des rituels collectifs au niveau des équipes pour co-construire des modes de coopération efficaces et motivants
  • Des rituels en one-to-one pour faciliter l’expression libre des individus

En conclusion, le travail hybride est une bonne occasion de replacer la confiance et la responsabilisation de tous au cœur des fonctionnements de l’entreprise, de permettre aux managers d’enrichir leur pratique et leur posture à cette occasion et d’offrir aux collaborateurs plus de flexibilité et de liberté dans leur travail et leur vie personnelle. Pour cela, il faut penser avec soin son déploiement, au-delà d’une simple règle étiquetée pour alimenter la marque employeur. Il s’agit de définir ensemble le bon équilibre en fonction des besoins des individus, des objectifs de l’équipe et des enjeux de l’organisation.