L’obsession pour les millenials est un mirage

Dans un contexte de vieillissement de la population, d’allongement de la durée de vie professionnelle et de pénuerie de talents, l’avenir professionnel appartient (aussi) aux plus de 45 ans

Il ne passe pas un jour sans que paraisse un article qui appuie les qualités des millenials. Pourquoi une génération fait-elle couler tant d’encre, quand le futur du travail est également entre les mains des plus de 45 ans ? Outre d’avoir du dynamisme à revendre, ces derniers constituent un précieux réservoir d’expertise. Notre population vieillit vite, et il n’est pas une entreprise — ni a fortiori un pays  qui puisse fonctionner sans ses aînés, qui se trouvent aussi être… plus jeunes que jamais.

Une société qui vieillit vite

Plus notre société vieillit, moins nous acceptons ce vieillissement. Plus de la moitié de la population des pays occidentaux aura plus de 45 ans d’ici moins de 10 ans. Dans la plupart des pays développés, l’âge médian est déjà supérieur à 40 ans — 40,2 ans au Royaume-Uni, 41 ans en France et même 47,3 ans au Japon. Le vieillissement se fait donc naturellement sentir dans la classe active. L’âge légal de départ à la retraite augmente partout. En France, il devrait progressivement passer de 65 à 67 ans d’ici 2023 ; et d’ici 2029 en Allemagne. Mais il s’agit là seulement de l’âge légal, car en réalité certains choisissent de travailler plus longtemps. D’autres, à cause de pensions de retraite trop faibles, n’auront d’autre choix que de continuer à travailler pour compléter leurs revenus. En France, plus de 20 % des seniors travaillent, soit une augmentation de près de 10 % en 10 ans, et il s’agit là d’un chiffre fort bas par rapport à des pays tels que les États-Unis.

Des carrières qui s’allongent

De ce fait, la plupart des carrières s’étaleront désormais sur 40 ou 50 ans. Pour les entreprises, cela signifie que le développement des talents prendra de plus en plus d’importance. Pour les personnes, cela implique de cultiver de nouvelles capacités d’adaptation et de passer par des phases différentes les unes des autres. En outre, parce qu’ils sont régulièrement discriminés en entreprise, le développement d’une activité de travailleur indépendant pour les plus de 45 ans deviendra une étape incontournable dans une carrière. Cette phase offre plusieurs avantages : elle permet à ces professionnels de contourner la discrimination liée à l’âge, de changer de rythme, de préparer une reconversion professionnelle, ou encore de compléter leurs revenus. De plus en plus de collaborateurs séniors s’épanouissent d’ailleurs dans ce statut qui s’est considérablement amélioré au cours des dernières années.

Le jeunisme nous fait du mal à tous

Au cœur du phénomène de la discrimination fondée sur l’âge se trouve un paradoxe : plus notre société vieillit, plus nous pratiquons le culte de la jeunesse. Hélas, l’âgisme est en train de devenir un problème majeur pour les entreprises, particulièrement lors de la phase de recrutement. Pourtant, si les employeurs ne tiennent pas compte de la démographie, ils risquent de réduire considérablement leur vivier de talents. L’obsession portée à une génération est une chose à laquelle on se raccroche quand le monde est en train de changer et qu’on ne sait pas encore vers où il tend. Surtout, elle repose sur deux erreurs : la première est de croire que seuls les jeunes sont l’avenir — ce qui est démographiquement douteux — la seconde qu’ils sont fondamentalement différents. Les attitudes et valeurs au travail ne changent pas réellement avec la classe d’âge. En réalité, cette différence vient en grande partie du fait que les gens sont à différentes phases de leurs vies ; et non qu’ils appartiennent à des générations différentes.

Les vies longues sont des vies faites de transitions : il faut donc ménager ses ressources pour se transformer, en termes de capital relationnel, de capacités cognitives, de connaissance de soi et de curiosité. Redevenir étudiant, apprendre un nouveau métier, passer par une période de freelance, développer un nouveau réseau professionnel… tout cela se fait de plus en plus souvent après 40 ans. Les ressources pour se transformer nous permettent de conserver les qualités que l’on attribue à tort uniquement à la jeunesse : le dynamisme, l’enthousiasme, la capacité à apprendre. Jeunesse et dynamisme ne sont plus synonymes. Mais l’ont-ils jamais été ?

Chronique cosignée par Laetitia Vitaud, auteure et conférencière sur le futur du travail.