La carrière comme œuvre, pas comme transaction

La génération Z confond acheter et gagner sa réussite. À l'ère du clic facile, rappeler la valeur du mérite n'est plus un luxe, mais une urgence éducative.

La jeune génération, bercée par l’immédiateté des récompenses numériques, peine à distinguer deux verbes essentiels à la compréhension des carrières durables : acheter et gagner. Cette confusion sape sa vision du succès professionnel, trop souvent calquée sur des modèles consuméristes.

Il suffit d’un clic aujourd’hui pour acquérir une certification en ligne, une visibilité instantanée sur les réseaux sociaux ou un « poste de rêve » dans une start-up au nom ronflant. Cette facilité nourrit un mythe dangereux : celui d’une carrière qui se commande, comme on remplirait un panier sur Amazon.

Mais une confusion s’installe. Dans la langue anglaise, « to buy something » suppose une transaction rapide, souvent superficielle ; « to earn something » implique de l’effort, du temps, de la constance. Or les trajectoires solides s’inscrivent dans la seconde logique. Elles ne sont pas acquises. Elles se méritent.

Du diplôme au désenchantement

Beaucoup de jeunes diplômés arrivent sur le marché du travail avec une attente implicite : « J’ai payé mes études, j’ai coché les bonnes cases, où est mon dû ? » Ils perçoivent leur carrière comme un produit, assorti d’une garantie. Mais le monde professionnel, lui, obéit à des logiques plus lentes, souvent cruelles.

Une enquête de Gallup (2023) révèle que 71 % des jeunes actifs ressentent une « dissonance » entre leurs attentes de carrière et la réalité. Ce fossé n’est pas seulement conjoncturel ; il est culturel. Il s’explique, en partie, par l’illusion que la réussite serait un droit.

Le piège de la gratification instantanée

La génération Z grandit dans un environnement saturé de feedback immédiat : likes, abonnés, récompenses algorithmiques. Ce conditionnement biaise leur rapport au temps long, pourtant essentiel à toute construction sérieuse. Un like n’est pas une compétence. Un following n’est pas un réseau.

À rebours de cette logique, les parcours les plus respectés se sont forgés dans l’effort silencieux. On pense à Simone Veil, bâtissant sa légitimité dans l’adversité. À Elon Musk, qui dort sur le sol de ses usines. Ou encore à Marie Curie, qui passa des années à manipuler des tonnes de pechblende (minéral naturellement radioactif) pour extraire quelques milligrammes de radium. Rien de cela ne s’achète.

La carrière comme œuvre, pas comme transaction

Le vocabulaire trahit la pensée. Acheter une carrière, c’est la consommer ; la gagner, c’est l’écrire. Cette distinction est fondamentale. La première est immédiate, éphémère, souvent vide. La seconde est progressive, parfois ingrate, mais elle construit.

Ce que la jeune génération perçoit comme des privilèges sont souvent les fruits d’un travail invisible. Ce que l’on croit voir comme des « raccourcis » sont souvent des résultats différés. Il faut laissé du temp au temps. Qui mieux que Warren Buffett pour le rappeler : « Il faut neuf mois pour faire un bébé, même si neuf femmes sont enceintes en même temps. »

Redéfinir la réussite, ce n’est pas revenir à un élitisme poussiéreux, mais remettre la temporalité et le mérite au centre. Cela passe par une éducation au réel. Enseigner que la lenteur n’est pas un échec, que le doute fait partie du chemin, que l’on ne devient pas crédible sur LinkedIn, mais sur le terrain.

La réussite ne s’achète pas. Elle se gagne. Il ne s’agit pas d’une simple nuance linguistique, mais d’un changement de paradigme. Une carrière digne de ce nom se construit à coups d’efforts invisibles, de patience active et de défis surmontés dans l’ombre. C’est ce que la génération montante doit entendre — avant que les désillusions ne deviennent structurelles. Et vous, que cherchez-vous : un poste à acheter ou une œuvre à bâtir ?