La fin de carrière : un angle mort RH ?
Alors que l'on parle sans cesse d'attractivité et de fidélisation, la fin de carrière reste un angle mort des politiques RH.
À l’heure où l’on demande aux salariés de travailler plus longtemps, comment expliquer ce grand silence ? Et si valoriser les dernières années devenait un levier d’engagement autant qu’un enjeu de compétitivité ? La récente campagne gouvernementale « Les travailleurs expérimentés ont de l’avenir » amorce une prise de conscience. Elle rappelle ce que les chiffres confirment : les travailleurs de 50 ans et plus ne sont ni un poids, ni une anomalie, mais une ressource stratégique trop souvent sous-exploitée.
Selon une enquête OpinionWay menée en juin 2025, 43 % des Français perçoivent la fin de carrière comme une transition vers une nouvelle vie. Mais près de 38 % y associent aussi une forme de vide ou de rupture identitaire. Ce paradoxe interroge : comment un moment aussi structurant est-il si peu accompagné ?
Une phase vécue, mais rarement pensée
Aujourd’hui, la fin de carrière est rarement envisagée comme un temps à part entière. Ni reconnue, ni aménagée, elle se vit souvent entre soulagement et frustration, sans cadre ni récit.
Et pourtant, les attentes sont nettes :
- 69 % des Français désignent la santé physique et mentale comme critère central d’une fin de carrière réussie.
- 53 % expriment le besoin de stabilité financière, condition sine qua non à toute bifurcation.
- 80 % estiment que les travailleurs expérimentés ne sont pas suffisamment valorisés dans leur entreprise.
Un autre chiffre frappe : plus d’un Français sur deux souhaiterait tester une nouvelle activité professionnelle en fin de carrière. Mais dans les faits, seuls 4 % des retraités poursuivent une activité aujourd’hui. Le désir est là. L’offre, l’écoute et le cadre manquent.
Un nouveau récit est possible
Il faut sortir d’un schéma binaire : actif ou retraité, dedans ou dehors. Il existe un entre-deux fertile, à la croisée de la transmission, de l’envie, et du ralentissement choisi. C’est là que peut émerger un nouveau contrat social, adapté aux parcours non-linéaires.
Car ce que demandent les actifs en fin de carrière n’est pas de “partir plus tôt”, mais de partir mieux. D’aménager leur rythme. De transmettre leur savoir. D’oser un “métier plaisir” ou un “projet personnel” sans risquer d’être marginalisés.
Le moment est venu de reconnaître ces aspirations comme légitimes, utiles et fécondes — non pas en marge de l’entreprise, mais en son sein.
Répondre à ceux qui veulent « autre chose »
Multi-activité, cumul emploi-retraite ou reconversion souple ne sont pas des utopies, mais des scénarios possibles, recherchés, estimés inspirants par plus de la moitié des Français selon cette même étude.
Si l’on veut sortir de l’angle mort, trois pivots sont possibles :
- Imaginer une fin de carrière progressive, où l’on peut ajuster son temps et ses responsabilités sans rupture brutale.
- Repenser le statut des “travailleurs expérimentés” pour qu’il invite à la transmission, à l’artisanat de passion, à l’expérimentation — au lieu d’effacer ces profils dans les organigrammes.
- Favoriser la reconnaissance du projet personnel : permettre à chacun de tester une activité “plaisir”, de la reconversion modulée, de choisir le moment, le rythme, le niveau de responsabilités, tout en valorisant l’expérience acquise.
Une opportunité pour les RH… et un chantier pour la société
Penser la fin de carrière, c’est repenser le travail dans son intégralité, jusqu’à son dernier chapitre. C’est transformer une sortie souvent brutale en transition digne, progressive, féconde. C’est reconnaître que les dernières années professionnelles peuvent être aussi stratégiques que les premières.
Alors que le gouvernement cherche des leviers pour maintenir les seniors en emploi, les entreprises gagneraient à anticiper ces attentes plutôt qu’à les subir. Car le maintien dans l’emploi ne peut reposer sur l’usure ou le renoncement, mais sur le choix, la souplesse et la reconnaissance.
Moins de 4 % des retraités sont actifs aujourd’hui, alors qu’un tiers des actifs expriment le désir d’en faire partie. On voit là un décalage entre une aspiration largement partagée et une réalité institutionnelle trop rigide.
Il est temps d’en finir avec les non-dits. La fin de carrière ne doit plus être ce moment de rupture silencieuse, mais une phase choisie, apaisée, et pleinement assumée.
Pour que ce nouveau récit soit possible, les DRH, les entreprises, les syndicats et les pouvoirs publics doivent enfin traiter cette période comme un véritable segment stratégique — non pas pour faire plaisir, mais parce qu’il s’y joue le respect, la dignité et le sens du travail humain.